Sommes-nous en présence d’une guerre des civilisations ? L’analyse d’Elisabeth Lévy.
Avec quels mots dire ce qui s’est passé en Israël ? Mathilde Panot n’en démord pas. Selon elle, le Hamas a commis des « crimes de guerre ». Est-ce le mot qui convient ? Les images insoutenables de corps suppliciés et profanés, de bébés décapités, au cœur de l’utopie fraternelle des kibboutz fidèles à l’idéal des pionniers d’Israël, n’ont rien à voir avec la guerre, car la guerre a des lois et des règles.
Occidentaux et « Sud global »
C’est du terrorisme, évidemment, mais je crois que le terme est insuffisant. Nous assistons à un épisode paroxystique de la guerre des civilisations décrite par Samuel Huntington à la fin du siècle dernier, laquelle n’oppose pas seulement l’armée d’Israël aux assassins du Hamas, mais l’Occident au djihadisme malheureusement soutenu par une grande partie du monde islamique. On aimerait que ce soit le Hamas contre l’humanité rassemblée, mais non, une frontière civilisationnelle sépare ceux qui pleurent les morts israéliens et ceux qui, de Tunis à Sanaa, d’Alger à Téhéran, affichent leur joie. Et dans ce qu’on appelait autrefois le Tiers Monde (on dit aujourd’hui « Sud global »), on se contente d’appeler toutes les parties à la raison.
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Bien sûr, partout des individus restent libres et résistent à la haine folle (des juifs, des chrétiens, des occidentaux) qui est le carburant de régimes corrompus et impotents. Mais des foules déchaînées communient dans l’allégresse de voir des juifs massacrés. Cela rappelle une vidéo de Daech où deux djihadistes jouaient au football avec la tête d’un infidèle. « Jamais nous nous ne sommes sentis aussi frères », disait l’un d’eux. Frères par le sang versé.
L’Occident touché, tremble et chancèle
Mais l’Occident jouit encore d’une avance technologique, sociale ou culturelle… Même si par rapport à l’Asie, cela se discute, et que ce n’est pas vraiment le sujet. L’Occident possède surtout un trésor qui est la liberté. C’est peut-être cette liberté (et l’hédonisme individualiste qu’elle a engendré) qui nous empêche de voir que ce choc des civilisations a aussi pris ses quartiers chez nous.
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Nous sommes atteints par un désarmement intellectuel et moral. Munis de nos certitudes humanistes sur l’égalité entre les hommes et l’amitié entre les peuples, nous sommes devenus incapables de penser l’ennemi. Nous sommes même plutôt du genre à lui tendre l’autre joue. Dans un camp grec, des migrants attendant de demander l’asile ont accueilli les nouvelles d’Israël aux cris de « Allah akbar ». Ça n’empêchera pas nombre d’entre eux de s’installer dans nos villes. Je crains qu’on ait entendu les mêmes cris dans certaines cités françaises (et on en entendra de plus en plus, avec la montée en puissance de la riposte israélienne).
Une question terrible doit nous hanter. Qu’avons-nous, qu’ai-je de commun avec un homme ou une femme capable de se réjouir de l’ordalie sanglante du Hamas? Rien. D’accord, nous sommes tous humains, et ces gens ne sont pas des extra-terrestres. Mais nous n’appartenons pas à la même civilisation. La preuve, c’est que quand ils seront frappés, nous pleurerons aussi les enfants de Gaza.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio.
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