En un mois, deux femmes arabes ont été tuées en Israël. Une heure après la mort de la première, France 24 avait déjà dénoncé son coupable préféré [1]. Trois jours après celle de la deuxième, son nom était toujours inconnu de la version française de Google.
La voix du silence
Peut-être la première a-t-elle été assassinée et la seconde est-elle morte de vieillesse ?
Non la première était une reporter de guerre morte à 51 ans sur un champ de bataille : un risque du métier. La seconde avait 28 ans quand elle est morte dans l’explosion de sa voiture piégée : un meurtre avec préméditation.
Peut-être la première était-elle célèbre et l’autre pas ? Non : sa mort a rendu la journaliste Shireen Abu Akleh célèbre. Avant, c’est elle qui interviewait des peoples.
Peut-être l’une faisait-elle un métier cher au public et l’autre pas ? Seuls 16% des Français déclarent faire confiance aux journalistes[2]. Mais c’est eux qui tiennent le micro…
À l’inverse, les militantes féministes, comme celles qui œuvrent contre la violence, ont le vent en poupe. Son engagement est justement la raison pour laquelle Johara Khnifes a été tuée[3].
Dénonciations, accusations y réfutations
Les autorités palestiniennes accusent leur ennemi d’avoir assassiné pour le plaisir une journaliste. C’est de bonne guerre : leur champs de bataille est plus souvent médiatique que soldatesque. En revanche, quand la presse internationale leur emboîte le pas de l’oie, c’est plus suspect.
Le ministre israélien des Affaires étrangères a réfuté l’accusation de journalisticide dans une tribune publiée par le Wall Street Journal. Quand Shireen Abu Akleh est décédée dans des tirs croisés, il y a un mois, elle travaillait en Israël pour Al Jazeera depuis 20 ans, comme nombre de ses collègues qui ne portent pas l’État juif dans leur cœur et qui le démontrent dans chacun de leurs articles ou reportages. Al Jazeera elle-même appartient au Qatar, un Etat islamiste ouvertement hostile à Israël, ce qui n’empêche pas ses envoyés permanents d’y être « protégés par l’État que la chaîne calomnie régulièrement. Le conflit israélo-palestinien bénéficie d’une couverture disproportionnée par rapport à tout autre conflit sur terre… tout ce que vous savez sur ce conflit est le produit de centaines de journalistes qui travaillent sur le terrain sous la protection d’un État démocratique qui croit de tout son cœur à la fois à la liberté d’expression et à la liberté de la presse.[4]»
Silence, indifférence, absence de conscience
La famille de Johara Khnifes fait partie des « Arabes de 48 » : ceux qui sont restés en Israël quand le pays a été attaqué par sept armées arabes, le jour de son Indépendance, le 15 mai 1948. De ce fait, ses membres sont citoyens israéliens depuis cette date.
A relire, Pierre Lurçat: Shireen Abu Akleh: vie et mort d’une journaliste très engagée
Le grand-père de Johara avait été député dans les années 1950, son père est maire adjoint de Shefar Am, une ville de 42 000 habitants dans le nord d’Israël, et sa mère est présidente de l’Unité pour l’avancement des femmes de la ville.
La police ne pense pas que les parents étaient visés. Ses soupçons se dirigent vers ceux qui se sentaient visés par les déclarations de la jeune femme, dans sa lutte contre la violence endémique dans les communautés arabes d’Israël et dans son action militante en faveur des femmes arabes.
« La violence endémique », n’est-ce pas là une phrase islamophobe ? Non, c’est une citation. De la jeune femme assassinée, mais aussi de Mansour Abbas, chef de la Liste arabe unie et ministre délégué au cabinet du Premier ministre, chargé des Affaires arabes.
Fin août 2021, on comptait déjà 81 citoyens arabes victimes de la violence. Nul média français n’en ayant fait état, il s’agissait bien de violences intra-ethniques. « Israël est en partie un État de droit et d’ordre et en partie un Far West », avait déclaré le Comité des autorités locales arabes en Israël dans un communiqué, exigeant que « le chef de la police donne une explication immédiate sur la manière dont il entend combattre la […] violence…[5] »
La médiatisation des morts en Israël ne dépend pas de la victime
Elle dépend exclusivement de la possibilité d’accuser l’État juif. Dans le cas de la journaliste, c’est d’autant plus facile que les autorités palestiniennes refusent de partager l’enquête et de montrer la balle retirée du corps. Résultat : le 10 juin 2022, presque un mois après sa mort, son nom sur Google donne environ 5 millions de résultats en 0,63 secondes.
Dans le cas de la militante des droits des femmes anti-violences inter-arabes, il est quasiment impossible d’incriminer Israël. Résultat, à la même date, son nom donne environ 858 résultats en 0,55 secondes, dont les trois en français sont des médias dits « communautaires ».
« J’insiste sur le fait que nous devons… faire face à la violence et à ses causes, afin de pouvoir vivre en paix, en sécurité et dans la tranquillité, comme les autres nations avancées qui jouissent de la sécurité et de la sûreté » avait-elle dit.
Elle n’a obtenu ni sécurité ni sûreté, mais le silence. Ce n’est un luxe que dans l’immobilier.
[1] https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220511-une-journaliste-d-al-jazeera-tu%C3%A9e-par-un-tir-de-l-arm%C3%A9e-isra%C3%A9lienne-en-cisjordanie
[2] https://www.ipsos.com/fr-fr/seuls-16-des-francais-declarent-faire-confiance-aux-journalistes
[5] https://worldisraelnews.com/like-the-wild-west-4-arab-israelis-murdered-over-the-weekend/