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Israël: une droite disciplinée bat une gauche désunie

La fin d'un blocage politique.


Israël: une droite disciplinée bat une gauche désunie
Benjamin Netanyahou s'adresse à ses partisans, Jérusalem le 2 novembre 2022 Oren Ziv/AP/SIPA AP22736280_000002

Après quatre échecs, Netanyahou trouve la formule magique.


Après presque quatre ans de campagnes électorales quasiment incessantes et cinq élections, le blocage politique a été cassé : Netanyahou dispose d’une majorité claire (62-65 députés sur 120) et au-delà d’une bagarre pour les maroquins, il ne devrait pas avoir de difficultés majeures à former un gouvernement de coalition (la faire durer sera une autre paire de manches même si Netanyahou sait faire). Et s’il fallait tout cela pour arriver à ce résultat, ce n’est nullement à cause d’un clivage idéologique. Le débat d’idées a été tranché il y a longtemps et l’électorat israélien est clairement et solidement ancré à droite. La Gauche israélienne (le camp de la paix, c’est-à-dire ceux qui sont pour un retrait en Cisjordanie et le démantèlement des colonies dans le cadre d’un accord avec les Palestiniens) ne pèse pas plus de 20% de l’électorat, si on compte les partis arabes dont au moins un devrait être considéré comme un parti conservateur de droite si la question palestinienne et les relations avec la minorité arabe ne dominaient le champ politique israélien. En fait, la question à laquelle les Israéliens avaient autant de mal à répondre depuis 2019 est toute autre : Bibi or not Bibi.

Car pendant ces quelques années certains des gens de droite n’ont pas voté pour leurs idées mais pour empêcher Netanyahou d’exercer la fonction de chef de l’exécutif tout en étant l’accusé principal d’un procès pour corruption et abus de pouvoir. La loi l’interdit aux ministres, mais pas au premier d’entre eux, mais puisque ce n’est pas la première fois, beaucoup pensaient qu’un précédent l’obligeait à se retirer. Et c’est d’ailleurs Netanyahou lui-même qui l’avait dit en 2009 quand il s’agissait de son prédécesseur Olmert, embourbé dans un procès pour corruption. A l’époque, Netanyahou, chef de l’opposition, réclamait sa démission malgré le vide juridique parce qu’il est inconcevable qu’un premier ministre gère le pays en même temps qu’il se défend devant les juges.  Une décennie plus tard Netanyahou assurait que (a) « Ce n’est pas pareil » et (2) « Ça n’a rien à voir ».

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Quelques dizaines de milliers d’Israéliens, par ailleurs parfaitement en accord avec lui sur l’essentiel, n’ont pas voté pour lui pour cette raison. Et ça n’a pas vraiment changé car la victoire claire et nette de Netanyahou est le résultat d’une stratégie électorale magistrale à droite et d’un manque de stratégie à gauche. Côté Bibi, tout a été fait pour ne pas perdre un vote, y compris des unions presque contre nature obtenues uniquement grâce aux efforts de Netanyahou et dont le chef d’œuvre est le parti de MM. Ben Gvir et Smotritch, « Puissance Juive » (PJ), un aspirateur à voix d’une efficacité remarquable fabriqué à la base d’une analyse fine de la sociologie politique israélienne. Ainsi, autour d’un noyau dur de religieux nationaux et de colons, la PJ attirait une faune d’étudiants de Yeshiva désœuvrés et d’autres jeunes à la marge du monde orthodoxe appelés « shabab » (en arabe jeunesse mais utilisé dans le sens de racaille) et dont la série Netflix Our Boys donne un assez bon aperçu. D’autres « déçus en série » de l’offre politique et primo votants sensibles au charisme du député « le pistolet à la main », complètent le profil du vote PJ.    

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A gauche, les trois partis arabes (Nationalistes, Communistes et Islamistes conservateurs) qui présentaient une liste commune en avril 2021 sont partis en solo cette fois-ci. Résultat : les nationalistes n’ont pas passé le seuil de 3,25%  des voix et le front a perdu 25% de ses députés.  Chez les partis de Tel-Aviv (Travailliste et Meretz) pas d’union non plus. Selon l’un des sondeurs israéliens les plus expérimentés, la différence entre les deux blocs n’excède pas les 4000 voix sur les  250-300 000 que la gauche aurait gaspillées.  Et c’est ainsi qu’une situation 60/60 devient 65/55. Si Netanyahou s’est battu avec tant d’acharnement à refaçonner le paysage politique israélien, entrainant le pays dans quatre campagnes électorales, c’est parce qu’il souhaite très probablement échapper à son procès. Certes, il ne faut pas rajouter à tous ses procès un procès d’intention. Cependant, son allié M. Smotrich l’a dit pendant la campagne : une fois au pouvoir, un projet de loi va effacer certains actes considérés aujourd’hui comme crimes et délits. Et une fois votée, tous les procès en cours pour ces crimes et délits seront suspendus. CQFD. Pour sauver sa peau, Bibi a donc l’intention de détruire la justice israélienne. Et que dire de Ben Gvir, l’homme accueilli dans son QG de campagne aux cris « Mort aux arabes » ?  Il ne reste à court terme qu’un seul espoir : Ben Gvir et Smotrich qui ont une piètre opinion de Netanyahou, Smotrich l’ayant qualifié de « menteur fils de menteur » (terme que Ben Gvir a trouvé déplacé mais pas faux), risquent de se révéler des partenaires difficiles et avec un peu de chance carrément impossibles. A ce moment-là, un grand gouvernement de droite, appuyé sur 80-90 députés mais sans Netanyahou, sera envisageable. 




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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