Début mai, Benyamin Nétanyahou annonce qu’il va demander la dissolution de la Knesset et convoquer de nouvelles élections pour début septembre 2012, dix-huit mois avant le terme normal de la législature. Cette décision ne surprend personne : alors que la cote de popularité du Premier ministre est au plus haut, les sondages accordent au moins 31 sièges au Likoud (contre 28 aujourd’hui) et annoncent une déroute du principal parti d’opposition, Kadima (centre-gauche), fondé en 2005 par Ariel Sharon, qui pourrait perdre la moitié de ses 29 sièges, principalement au profit d’un Parti travailliste que sa nouvelle dirigeante, Shelly Yachimovich, a remis en ordre de marche. Selon les mêmes enquêtes d’opinion, Yesh Atid (Il y a un avenir), formation fondée par Yaïr Lapid, dont l’unique objectif est de combattre l’influence des religieux[1. Ex-vedette de télévision et fils du défunt politicien Tommy Lapid,
leader du parti ultra-laïque Shinui.], pourrait obtenir une dizaine de sièges. La commission des lois de la Knesset donne son feu vert à cette dissolution, approuvée même par les membres de Kadima, dont certains se mettent sur-le-champ en quête d’un nouveau job, tant leur perspective de réélection leur semble mince. Il ne reste plus qu’à faire voter le texte en séance plénière.
Nétanyahou espère bien sortir du scrutin avec une coalition plus facile à gérer que l’attelage baroque bricolé en 2009, dans lequel des partis ultra-orthodoxes cohabitent avec Israël Beitenou, formation laïque et droitière dirigée par le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, et avec les travaillistes dissidents du ministre de la Défense, Ehoud Barak, qui disposent de quatre sièges. Bref, sur l’épineux sujet des privilèges accordés aux orthodoxes, la majorité est pour le moins divisée. Or, la loi dite « Tal », qui permet aux étudiants des yeshivot[2. Yeshivot (sing. yeshivah) : centres d’étude de la Torah et du Talmud dans le judaïsme.] d’échapper au service militaire, arrive à échéance et Lieberman a menacé de quitter la coalition si le nouveau texte ne mettait pas un terme à ces exemptions.[access capability= »lire_inedits »] Le vote du budget 2013 s’annonce également tendu : en année électorale, chacun entend soigner sa clientèle, notamment les partis ultra-orthodoxes dont l’activité parlementaire consiste essentiellement à maintenir les subventions et avantages consentis par l’État aux haredim[3. Haredim (« Craignant Dieu ») : juifs ultra-orthodoxes.] – la plupart ne travaillent pas, ce qui fait enrager pas mal de monde.
En dépit de la bonne santé économique relative du pays, cette ponction sur la richesse produite par les actifs peut difficilement augmenter aussi vite que la démographie de ce secteur très prolifique de la population juive[4. C’était d’ailleurs l’un des griefs des « campeurs » du Boulevard Rothschild à Tel Aviv, pendant le mouvement de protestation des jeunes de la classe moyenne contre le coût du logement et la cherté de la vie dans les grandes villes..] De nouvelles élections pourraient se traduire par un renforcement du camp laïque et par le sacre d’un Nétanyahou moins vulnérable au
chantage de l’un ou l’autre de ses alliés. L’autre avantage de la dissolution serait d’inverser le calendrier des élections israélienne et américaine.
Si la législature va à son terme, Nétanyahou sera en fin de mandat au moment où Barack Obama sera réélu – comme on l’anticipe à Jérusalem. Le Président américain risque alors de se révéler peu accommodant. En revanche, s’il est en campagne électorale, il lui sera, par exemple, beaucoup plus difficile de s’opposer à une action militaire israélienne contre les installations nucléaires iraniennes. En somme, Nétanyahou peut rafler la mise sans prendre de risque. Autant dire que personne ne s’attend au coup de théâtre qui intervient dans la nuit du 9 au 10 mai. Nétanyahou renonce à convoquer des élections anticipées et annonce l’entrée au gouvernement de Kadima. Avec 94 sièges sur 120, il dispose ainsi de la plus large majorité qu’ait jamais eue un chef de gouvernement israélien.
Sur le moment, personne ne comprend rien. Pourquoi avoir annoncé une dissolution pour rétropédaler dix jours après ? S’agissait-il de forcer la main au nouveau chef de Kadima, Shaul Mofaz ? Peut-être, mais pourquoi Shaul Mofaz a-t-il accepté, lui qui clamait que « jamais il ne participerait à un gouvernement dirigé par Benyamin Nétanyahou » – paroles que de bonnes âmes ne manquent pas de lui rappeler ? Par ailleurs, la déroute annoncée du petit parti d’Ehoud Barak aurait obligé Nétanyahou à se séparer de son ministre de la Défense, ce qu’il ne souhaite absolument pas. Ces considérations tactiques ont certainement leur importance. Mais ce revirement obéit peut-être, aussi, à des ambitions plus nobles. Seulement, pour le comprendre, il faut se départir des clichés inlassablement répétés, qui font de Nétanyahou un idéologue intransigeant poursuivant un seul but : l’expansion territoriale de l’État juif à travers le développement des implantations en Cisjordanie. Rappelons que, lors de son premier passage au pouvoir, à la fin des années 1990, il n’avait pas remis en question l’accord d’Oslo et même approuvé les accords de Wye Plantation qui conféraient de nouvelles prérogatives à l’Autorité palestinienne. Il n’est ni sourd, ni aveugle à ce qui se fait et se dit dans les enceintes internationales, à Washington et en Europe. Bref, l’isolement diplomatique croissant d’Israël et les échéances à venir, notamment la nouvelle demande de reconnaissance par l’ONU d’un État palestinien dans les frontières de 1967, obligent le Premier ministre à démontrer qu’il n’est pas totalement fermé à la négociation avec Mahmoud Abbas.
L’entrée de Kadima dans la coalition, qui était souhaitée depuis longtemps aussi bien à Washington que dans la plupart des capitales européennes, est un geste fort, ce parti s’étant toujours montré favorable à la reprise des négociations avec Ramallah.
Il y a deux ans, Shaul Mofaz avait même présenté un mémorandum prévoyant l’instauration immédiate d’un État palestinien dans des frontières provisoires qui auraient inclu 60 % du territoire et 90 % de la population arabe de Cisjordanie. Cet arrangement transitoire permettrait, selon Mofaz, de désamorcer les réticences israéliennes à l’installation d’un pouvoir hostile à portée de roquettes des centres névralgiques de l’État hébreu, et de créer entre les deux États des relations de confiance qui aboutiraient, à l’horizon d’une décennie, à un accord sur le tracé définitif de la frontière sur la base de la « Ligne verte » de 1967, des échanges de territoires permettant de rattacher à Israël le bloc d’implantations situé au-delà de cette ligne (Goush Etzion, Maale Adoumim, Ariel). Mofaz est également partisan du démantèlement immédiat des implantions illégales, comme Migron ou Ulpana, qui vient d’être exigé de la Cour suprême d’Israël, mais que le gouvernement ne pourra mettre en oeuvre tant qu’il sera vulnérable aux pressions de la droite nationaliste et des colons les plus extrémistes.
Alors, Nétanyahou n’est peut-être pas le dirigeant dont les élites éclairées de Tel Aviv, New York et Paris rêvent pour Israël. Il n’en a pas moins fait un choix crucial, qui n’est pas sans évoquer celui d’Ariel Sharon en 2005, lorsqu’il décida d’évacuer les implantations juives de Gaza, alors que les primaires au sein du Likoud menaçaient de renforcer le camp des durs. Enfin, la disparition, le 30 avril, à l’âge de 102 ans, de Benzion Nétanyahou, père du Premier ministre, a peut-être libéré celui-ci d’un surmoi ultranationaliste que cet historien, ancien secrétaire de Vladimir Jabotinski, faisait peser sur son rejeton. « Bibi » n’a sans doute pas fini de nous surprendre.[/access]
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