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Israël/Liban: qui sont ces enfants massacrés à Majdal Shams?

L’analyse géopolitique de Richard Prasquier


Israël/Liban: qui sont ces enfants massacrés à Majdal Shams?
Des jeunes hommes israéliens de la minorité druze assistent aux funérailles des enfants tués à Majdal Shams, 28 juillet 2024 © Matan Golan/Sipa USA/SIPA

Douze enfants et adolescents de la minorité druze ont été tués sur le terrain de football dans le village de Majdal Shams, le 27 juillet, après une frappe de roquette du Hezbollah. Les autorités israéliennes soupèsent les conséquences d’une riposte à cette attaque meurtrière. Le conflit pourrait changer d’échelle.


12 enfants et adolescents tués pendant qu’ils jouaient au football, des dizaines de blessés. La roquette qui a explosé à Majdal Shams, dans le Golan, a représenté la plus sanglante attaque commise par le Hezbollah depuis que le 8 octobre 2023 (oui, dès le lendemain du 7 octobre…) il a commencé à tirer des missiles sur Israël. 

Riposte puissante promise par Tsahal

La population israélienne a manifesté émotion et solidarité. L’Agence juive et le Keren Hayesod ont couvert leur siège à Jérusalem du drapeau druse et libéré des fonds d’urgence à la population traumatisée de la petite ville. Le Premier ministre, revenu d’urgence des États-Unis, a réuni son cabinet de sécurité, les appels à la riposte se font entendre de tous côtés, et en particulier chez les druses eux-mêmes. L’attaque la nuit suivante d’installations du Hezbollah au Liban ne sera certainement pas la seule et les autorités militaires ont confirmé que la réaction d’Israël serait « puissante », suivant les mots du chef d’état-major.

Beaucoup de confusion a suivi ce tragique événement. Qui sont les habitants de ce village? Quelle est leur relation à Israël? Est-on sûr qu’il s’agisse d’un missile du Hezbollah? Pourquoi le Dôme de fer ne l’a-t-il pas intercepté? Peut-on tenir l’État libanais comme responsable?  Quelles sont les réactions internationales? 
Essayons de préciser les choses.

Majdal Shams (la « citadelle du soleil »), située au pied du Hermon, à 1200 mètres d’altitude, est la plus importante agglomération (11000 habitants) parmi les quatre localités druses qui se trouvent sur le plateau du Golan, ce territoire conquis sur la Syrie au cours de la guerre des Six Jours, après qu’une offensive syrienne eut été lancée contre les forces israéliennes. Pour les gens de ma génération qui s’étaient rendus au Kibboutz de Ein Gev, sur la côte orientale du lac de Tibériade, en contre-bas du plateau et soumis à d’incessants bombardements syriens, la seule idée de rendre cette zone aux Syriens parait une aberration. C’est pourtant ce que réclament les chancelleries, le Quai d’Orsay en tête, quand elles parlent du « Golan illégalement occupé ». L’annexion de ce territoire à Israël en décembre 1981 avait été effectivement condamnée à l’unanimité par le Conseil de Sécurité de l’ONU qui avait souligné « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre », belle occasion de se donner bonne conscience en opposition avec toute l’histoire de l’humanité. Il la réitère chaque année, mais en mars 2019, les États-Unis de Donald Trump ont reconnu la souveraineté d’Israël sur le Golan. L’idée d’un retour au paradis syrien est devenue pour les druses (qui forment la moitié des 50 000 habitants du Golan) une alternative bien moins réjouissante depuis la guerre civile dans ce pays… Leur position vis-à-vis d’Israël s’est donc progressivement bonifiée. Le célèbre film israélien, la Fiancée syrienne, tourné à Majdal Shams au début des années 2000, montrait un village pro-syrien. Cela ne correspond plus à la réalité d’aujourd’hui. Si aucun habitant n’avait au cours de ces années saisi l’opportunité de citoyenneté israélienne qui leur avait été proposée lors de l’annexion du plateau, ils sont aujourd’hui 20% à l’avoir fait, surtout des jeunes, dont certains ont fait leur service militaire dans l’armée israélienne. Ils se rapprochent ainsi des druses de Galilée qui, faut-il le rappeler, sont fiers de leur citoyenneté israélienne et ont payé un lourd tribut à la guerre de Gaza. La majeure partie de la population de Majdal Shams garde encore le statut de « résident » et bénéficie de toute façon de tous les droits sociaux israéliens. On peut comprendre qu’elle soit hostile au ministre Bezalel Smotrich, en raison de ses positions « judéo-centrées » pour ne pas dire plus, et sa présence aux funérailles a été huée. Les habitants du village réclament à Israël la même réaction qu’il aurait eue si le missile avait tué des victimes juives. Ils veulent des actes et non des mots. 

Les dirigeants druses du Liban, qui sont tributaires du Hezbollah, s’élèvent, quant à eux, contre une « instrumentalisation » de la tragédie de Majdal Shams par Israël et taisent les responsabilités dans le drame.

Un missile de confection iranienne

Le tir a été effectué par une roquette Falaq 1, de fabrication iranienne Aucune autre milice que le Hezbollah ne se sert de cet engin et encore moins, évidemment, l’armée israélienne. La portée de ce missile non guidé (c’est la définition d’une roquette) ne dépasse pas les 10 km mais sa charge explosive (50 kg) est importante. 

La responsabilité de l’attaque ne fait strictement aucun doute, mais peu de chancelleries ont nommément incriminé le Hezbollah. Les États-Unis et l’Allemagne sont des exceptions, la France une fois de plus n’en est pas, et on ne parle pas des Nations Unies, ni du commissaire Borrell de l’Union européenne. Il est de bon ton de réclamer une « enquête indépendante », ce qui  laisse persister une incertitude ; celle-ci génère un soupçon à l’égard d’Israël, suivant une technique visant à mettre en doute les évidences, grand classique de la propagande anti-israélienne. 

Qui nous prouve au fond que ce n’est pas Israël qui a envoyé cet engin pour enflammer les druses contre leurs frères arabes ? On connait la musique: qui nous prouve que ce ne sont pas les Israéliens qui ont commis les soi-disant massacres du 7 octobre? Et d’ailleurs, qui nous prouve que ce ne sont pas les sionistes qui se sont alliés aux nazis pour effectuer la Shoah (qui par ailleurs n’existe pas, elle non plus….) de façon à pouvoir impunément voler leurs terres aux Palestiniens, ce qui est plus ou moins la thèse de Mahmoud Abbas? Faurisson, Soral, Dieudonné et d’autres, comme les complotistes du Covid, nous ont montré jusqu’où pouvait aller le désir de se croire plus malin que les autres, en général aux dépens des Juifs. En laissant le doute planer, parce qu’ils ne veulent pas, pour des raisons troubles dont ils sont coutumiers, accuser le Hezbollah de front, des diplomates entrent dans une spirale négationniste.

Un doute plus crédible est celui qui porte sur le Dôme de fer. Comment se fait-il que ce système si efficace, dont des batteries sont déployées dans le Golan, n’ait pas détecté l’engin ? Et l’insinuation qui suit: serait-ce que l’on protège moins les Druses que les Juifs ? Les spécialistes expliquent que le Dôme de fer n’a globalement qu’une efficacité de 90% – mais pas de 100% – et que les échecs sont plus grands quand l’engin vole à basse altitude, dans une région vallonneuse et boisée, surtout lorsqu’il se passe moins de 10 secondes entre son point d’envoi (le village de Sheba, au Liban) et son point de chute à Majdal Shams.

Si la responsabilité du Hezbollah dans le tir est certaine, la volonté de tuer des enfants druses ne l’est pas. On a du mal à y trouver une logique mais ce n’est ni de logique, ni de précision que s’encombrent les tireurs du Hezbollah: là-bas, en face d’eux, il n’y a que des ennemis et il est hors de question de reconnaitre une erreur de tir. C’est une question d’image: jamais le Hezbollah n’a admis avoir tué des civils.

Quant au Liban, dont il était de bon ton pendant longtemps de louer le système multiconfessionnel, il ne mérite plus le nom d’État depuis des années. Le docteur Macron n’a pas pu guérir le cancer Hezbollah après les explosions de 2020 dans le port de Beyrouth. Évoquer la responsabilité pourtant évidente de cette organisation dans ces explosions peut coûter la vie aux téméraires. Aucune force interne ne semble de taille à s’opposer à la puissance du Hezbollah, c’est-à-dire de l’Iran, sur le Liban. 

Cela confronte Israël à des choix dramatiques, alors que le nord de la Galilée est devenu inhabitable. Est-ce que ce massacre d’enfants sur le Golan sera la goutte de trop ? Quel aspect prendra la riposte israélienne, militaire et/ou cyber? En tout cas, les Israéliens ne peuvent que s’en remettre aux professionnels qui étudient la faisabilité de toutes les options et au Premier ministre à qui revient la décision. Mais les incantations en faveur de la paix des bonnes âmes de nos pays n’y feront rien: la paix n’est pas dans l’agenda du Hezbollah, elle n’est pas à l’agenda de son donneur d’ordre iranien. Quant au peuple libanais, il est impuissant à empêcher le Hezbollah de ronger ce qui reste de son pays. Israël est peut-être à la croisée des chemins.




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est président d'honneur du CRIF.

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