En Israël, le nom de Rothschild n’évoque pas le « grand capitâaâl » de feu Georges Marchais mais la philanthropie d’une famille qui dépensa beaucoup d’argent en faveur du « foyer national juif » établi en Palestine. Pour les habitants de Tel Aviv, ce nom est celui d’un boulevard où la jeunesse dorée vient fréquenter les bistrots à la mode, et où le prix de l’immobilier atteint des sommets stratosphériques. C’est de cette artère qu’est partie la vague protestataire la plus importante en Israël depuis les grandes manifestations pacifistes des années quatre vingt.
Comme à Paris, il y a deux ans au bord du canal Saint Martin, un village de tentes modèle Quechua a été dressé à l’appel, sur les réseaux sociaux, d’étudiants rendus furieux par les prix ophtalmocéphaliques des loyers dans la principale métropole de l’Etat juif. Ce n’étaient donc pas des sans-abris, et nombre d’entre eux appartenaient à des familles aisées des quartiers nord.
Très rapidement, la protestation s’est étendue aux principales villes du pas, Jérusalem, Haïfa, Bersheva, et les étudiants ont été rejoints par des salariés, appartenant pour la plupart aux classes moyennes et éduquées. Le 23 juillet 2011, le mouvement a réussi à rassembler plus de cent mille personnes à travers le pays, la plus importante manifestation depuis celle qui suivit, en 1994, l’assassinat d’Itzhak Rabin.
Les reportages publiés dans la presse concernant ce mouvement montrent que ce n’est pas l’Israël pauvre (ultra-religieux, Arabes ou Falashas) qui est descendu dans la rue. Ce sont les étudiants, des jeunes professionnels actifs dans le secteur des services et de la haute technologie. Tous ces gens déclarent en avoir plus qu’assez de dépenser l’essentiel de leur salaire dans des loyers qui grimpent sans arrêt, de payer des sommes trop importantes pour faire garder leurs jeunes enfants quand les deux parents travaillent, et de se coltiner des heures d’embouteillages sur le périph’ de Tel Aviv faute des transports en communs performants.
C’est la révolte des inclus, de ceux qui portent le pays par leur travail et qui font sans rechigner leurs longues années de service militaire. Peut leur chaut que le gouvernement de Benyamin Netanyahou leur oppose les performances économiques remarquables d’Israël, qui a plutôt bien traversé la crise économique mondiale et peut aligner des indices de croissance et d’emploi à faire verdir de jalousie les pays de l’OCDE ,dans laquelle Israël vient d’être admis.
Ni la gauche, ni le syndicat Histadrout n’ont vu venir ce mouvement. Les travaillistes, ou ce qui en reste depuis la scission du parti au début de l’année[1. Le groupe travailliste à la Knesset s’est scindé en deux, une fraction restant fidèle à Ehoud Barak et à la coalition gouvernementale, l’autre passant dans l’opposition] avaient concentré leurs critiques du gouvernement sur les questions de sécurité et de stratégie diplomatique pour résoudre le conflit avec les Palestiniens. Ils avaient tout simplement oublié les obligations liées à leur dénomination et à l’histoire de la gauche sioniste : défendre les travailleurs.
Ce mouvement préfigure peut-être « l’insurrection qui vient » chère à quelques uns des plus éminents contributeurs de ce salon. C’est une nouvelle forme de la « révolte des modérés », expression créée par Milan Kundera pour désigner le mouvement de résistance au communisme en Tchécoslovaquie.
Les manifestants et campeurs du Boulevard Rothschild veulent habiter « là où ça se passe », là où la culture officielle ou underground s’épanouit, et ne veulent pas être relégués dans de lointaines et ennuyeuses cités dortoirs. La gentryfication des quartiers branchés de Tel Aviv n’est pas un phénomène spécifique à Israël. Elle atteint toutes les métropoles dont le prestige et les attraits rayonnent au delà des frontières nationales : les centres de New York, Londres ou Paris sont devenus inaccessibles même aux salariés des classes moyennes supérieures. A Tel Aviv, les programmes d’appartement luxueux avec vue sur la mer se multiplient, et leurs acheteurs américains ou européens les laissent vides onze mois sur douze. Les quartiers pauvres du sud de la ville, aux alentours de l’ancienne gare routière sont devenus des ghettos pour immigrés africains ou asiatiques, décourageant toute tentative de rénovation urbaine en faveur des classes moyennes.
Ce « printemps israélien », on le voit, est à mille lieux du « printemps arabe » auquel quelques commentateurs myopes ont prétendu l’assimiler. C’est un mouvement ultra-moderne, au sein d’une démocratie qui n’est pas remise en cause. Cela n’a rien à voir avec les divers « indignés » européens qui se plaignent de leur exclusion du monde du travail du fait de la crise et de la rigueur budgétaire imposée. C’est le pays utile et laïque qui est en colère, qui en a assez des impôts qui financent ces ultra-religieux improductifs mais indispensables dans toutes les coalitions gouvernementales. Cette situation est beaucoup plus menaçante pour le gouvernement de Netanyahou que les pressions internationales exercée sur lui pour qu’il cède aux exigences des Palestiniens.
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