Dimanche 23 octobre, je me trouvais au pub irlandais Molly Bloom situé rue Hayarkon, à Tel Aviv, seul endroit public de la ville où il était possible d’assister à la finale de la Coupe du monde de rugby lorsque l’on n’était pas abonné aux chaînes sportives du câble local.
Une bande de touristes français faisait gentiment la claque pour les Bleus (qui jouaient en blanc). Un quarteron d’Anglo-Saxons non identifiés, mais dotés d’un puissant chauvinisme anti-froggies semblait plutôt là pour conspuer la bande à Lièvremont que pour encourager les hommes en noir. L’heure matinale de la rencontre limitait la consommation de Guinness, ce qui a sans doute évité que la mêlée et les coups vicieux n’essaiment d’Auckland à Tel Aviv.
La joie mauvaise des rosbifs lors du coup de sifflet final qui scella la défaite d’un cheveu du Quinze de France devant la supposée meilleure équipe du monde a remonté le ressort de mon anglophobie pour au moins une bonne quinzaine d’années.
Je trouvai cependant matière à consolation le lendemain dans la lecture de la page sportive du Jerusalem Post qui ne tarissait pas d’éloges sur l’équipe de Thierry Dusautoir. Et je découvris par la même occasion que le même jour, l’équipe nationale de rugby d’Israël avait remporté son match de championnat d’Europe des nations en battant l’Autriche, à Vienne, sur le score de 28 à 26. Le Quinze bleu ciel et blanc prend ainsi la tête de son groupe et a de bonnes chances de passer l’an prochain, du groupe 2C au groupe 2B, une sacrée promotion ! D’accord, cette même équipe se ferait sûrement enquiller 50 points, sinon plus, par quinze gaillards d’un village de Gascogne évoluant en troisième division, mais cela prouve bien qu’Israël progresse, même là où on l’attend le moins. Après la récente remontée de sa note par l’agence Moody’s, qui tient de l’exploit dans la conjoncture actuelle, l’État juif a de sérieuses raisons d’envisager l’avenir avec confiance, puisqu’il peut aller mettre la pile à domicile à l’Autriche, patrie, entre autres, de Theodor Herzl.
Certains habitués de ce salon ne manqueront pas de s’étonner qu’Israël participe au championnat européen des nations, alors que sa position géographique le place dans une région nommée Proche-Orient, extrémité occidentale du continent asiatique. On pourrait leur rétorquer que le rugby n’étant pas la tasse de thé des mahométans des environs, même si certains d’entre eux subirent pendant quelques décennies la férule des Britanniques, on va chercher des compétiteurs là où ils se trouvent. Mais cet argument fait long feu dès lors qu’il en va de même pour tous les sports : l’hostilité arabe envers l’« entité sioniste » s’étend à un domaine où la politique devrait s’effacer devant le fair-play et les valeurs de l’olympisme chères à Pierre de Coubertin.[access capability= »lire_inedits »]
Longtemps, cet « isolement » d’Israël de son environnement géographique est apparu comme un handicap à son développement et une menace pour son avenir. Un homme comme Shimon Pérès (89 ans aux prunes et toujours président) avait fait du « Nouveau Proche-Orient pacifié et prospère » un gimmick politique éternellement ressassé sans qu’il ait jamais eu le moindre commencement de début de réalisation. Puis vint la mondialisation qui a rendu moins angoissant pour les Israéliens le refus ontologique des Arabes du projet national juif sur une terre âprement disputée.
Israël est partie prenante de cette mondialisation et tire plutôt bien son épingle d’un jeu qui bouleverse les déterminismes géographiques. Ses ennemis, en revanche, sont restés sur le bord du chemin, englués dans leurs archaïsmes politiques et sociaux ou, pour certains d’entre eux, frappés par la malédiction d’une rente pétrolière accaparée par des despotes ou des castes militaires ou tribales.
Dans ces conditions, pourquoi chercher une paix impossible, sinon à un prix exorbitant, alors que la limitation des conséquences du conflit suffit au bonheur de la population ? Il n’y a dans cette constatation aucun cynisme mais la simple prise en compte d’une réalité géopolitique implacable.
Seuls les lecteurs impénitents de Haaretz, bible des commentateurs occidentaux des affaires de la région, mais dont l’influence sur le public israélien est en chute libre, se lamentent en boucle sur l’isolement d’un État juif « emmuré » par « le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël ». Il suffit de passer quelques jours dans le pays pour se rendre compte que les Israéliens de droite, de gauche et du centre ne se sentent nullement isolés. Ils font des projets, collectifs et personnels, qui ont pour horizon géographique la planète entière.
Les Arabes ne veulent pas jouer avec eux ? Eh bien tant pis pour eux, c’est leur affaire et laissons aux ravis de la crèche occidentale la pâmoison sur un « printemps arabe » qui rendrait urgentissime la solution du problème palestinien. De ce printemps, les Israéliens ont surtout retenu l’aggravation de la haine que leur porte la « rue arabe », du Caire à Tripoli et à Tunis. Elle s’est manifestée par le sac de l’ambassade d’Israël en Égypte, la conduite de Grenoble faite en Libye à un BHL qui prétendait conduire le CNT sur la voie de la reconnaissance de l’État juif, l’antisionisme rabique revendiqué par Ennhada, le parti islamiste vainqueur des élections tunisiennes.
Les occupants israéliens de la Cisjordanie ont en tout cas une connaissance du terrain plus fine que les commentateurs habituels de nos régions. Ils savent que les nationalistes « classiques » du style Mahmoud Abbas seraient déjà balayés si la communauté internationale ne leur tenait la tête hors de l’eau. La chevauchée new-yorkaise du président palestinien n’a pas été l’équivalent diplomatique et moderne de l’entrée de Saladin à Jérusalem en 1187.
Le public israélien ne s’y est pas trompé : alors qu’en général, la moindre évolution de la « situation » scotche le pays devant la télé, la retransmission du débat onusien a attiré deux fois moins de téléspectateurs que la finale du « Masterchef » local. Fatah ou Hamas, la plupart des Israéliens s’en fichent puisqu’ils sont persuadés qu’aucune concession territoriale ne fera bouger d’un pouce le refus arabe.
Pour les Cassandre de nos contrées, ce scepticisme dénué de fondement réel est criminel. Aussi ne ratent-ils pas une occasion de pousser les hauts cris : on va tout droit vers une troisième Intifada ! L’intransigeance de Nétanyahou est irresponsable ! Qu’on le juge !
L’intéressé, bien sûr, a une tout autre analyse. Cela explique qu’il ait pu se permettre de relâcher dans la nature un millier de prisonniers parmi lesquels figuraient plusieurs dizaines de criminels irrécupérables pour récupérer un unique soldat. Ses prédécesseurs Ariel Sharon et Ehud Olmert sont venus à bout de l’Intifada dite « d’Al-Aqsa ». « Bibi » est convaincu que ni le Fatah d’Abbas, ni le Hamas d’Haniyé ne sont prêts à relancer une vague de terrorisme de grande ampleur. C’est peut-être regrettable pour nos belles âmes françaises, mais la dissuasion israélienne reste encore efficace. Heureusement si l’on considère que les menaces stratégiques sont, elles, bien réelles : la bombe iranienne, la fragilité de la paix avec l’Égypte, l’instabilité en Syrie et en Jordanie sont bien plus inquiétantes que le statu quo avec les Palestiniens.
Le plus surprenant, c’est que même la gauche israélienne ait fini par le comprendre : la nouvelle présidente du Parti travailliste, Shelly Yachimovitch, a recentré sa formation sur les questions sociales, faisant passer au second plan la création d’un État palestinien. Le résultat, c’est que la gauche, que l’on croyait en soins palliatifs, reprend des couleurs dans les sondages, tandis que les « centristes » de Kadima et Tzipi Livni, focalisés sur la critique de la politique étrangère de Nétanyahou, sont en voie d’implosion. Même l’éventualité d’une réélection d’Obama en 2012 n’inquiète pas outre mesure les dirigeants et la majorité de l’opinion publique : le président américain a compris que l’affaire était beaucoup moins simple qu’il n’y paraît et qu’elle pouvait devenir pour lui un véritable guêpier.
Les gauchistes au grand cœur et autres damnés de la Terre promise qui jurent avec des mines graves qu’Israël court à sa perte devront s’y faire : la solitude ne sied pas si mal au petit État du peuple à la nuque raide.[/access]
Cet article est issu de Causeur magazine n ° 41.
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