Qui a gagné la guerre de Gaza ? Qui l’a perdue ? Comme après chaque « round » de violence au Moyen-Orient, ces questions se posent. Et il est encore plus difficile d’y répondre qu’on ne le pense…
Examinons l’adage plein de bon sens selon lequel « celui qui se demande qui a gagné la guerre qu’il vient de mener est toujours le perdant ». À première vue, la logique est implacable : une victoire c’est quelque chose aussi évidente que l’image de David – ou de Goliath si la Bible avait été écrite par les Philistins – hissant la tête coupée de son ennemi. Pour prendre un exemple plus récent, la guerre des Six-jours mit Israël à un contre trois et… se conclut par trois KO en moins d’une semaine ! Mais, à y regarder de plus près, cet exemple est problématique. Si on se contente de compter les morts, les blindés calcinés et les kilomètres carrés pris à l’ennemi, le bilan est clair. Mais le hic est qu’un peu plus d’un an après juin 1967, les Egyptiens se sont lancés dans une guerre d’usure de presque deux ans. Trois ans et deux mois après la fin de cette phase de harcèlement, ils lançaient, avec les Syriens, la guerre de 1973. C’est d’ailleurs grâce à la guerre du Kippour que l’Egypte a pu récupérer en 1982 la quasi-intégralité des territoires perdus en 1967. Si on ajoute à ce tableau la montée de l’OLP et le retour de la question palestinienne au cœur du conflit, la victoire militaire de 1967, pourtant éclatante et indéniable, avait porté quelques fruits amers.
En revanche, après la guerre de l’été 2006 au Liban, le consensus dans la presse internationale était sans appel : le Hezbollah avait infligé une défaite à Israël. Mais, huit ans plus tard, quelqu’un se hasarderait-il encore à dresser un bilan aussi net ? Il est donc inutile de s’arrêter aux manifestations de joie des uns et aux tableaux Excel des autres, tous deux à la fois vrais et faux. La dimension matérielle d’un conflit joue un rôle important, c’est même la logique profonde de l’usage militaire de la violence. Mais ces faits n’influent pas toujours sur la volonté et les intentions de l’adversaire. Or, puisque rares sont les guerres dont l’objectif réel est l’élimination totale de l’ennemi, c’est donc surtout son état d’esprit qui est visé.
Pour revenir à Gaza, d’après ce qu’on sait de l’accord de cessez- le-feu, on constate un retour au statu quo ex ante, c’est-à-dire plus ou moins aux conditions qui avaient permis de mettre fin à l’avant-dernier « round » entre le Hamas et Israël, en novembre 2012. Mais cette lecture superficielle du conflit est celle d’un avocat comparant deux textes tandis que le tout est de mesurer les nouveaux rapports de force entre les belligérants. Pour le Hamas, gagner consisterait à convaincre – son opinion, les Palestiniens en général et suffisamment d’alliés – que la lutte armée contre Israël – sa raison d’être et sa principale différence d’avec l’Autorité Palestinienne – est la bonne stratégie. Tout autre chemin l’obligerait tôt ou tard à disparaître – le Hamas pourrait garder le même nom mais, en renonçant à sa charte et à la lutte armée, il deviendrait un Fatah bis – ou bien à se radicaliser et se marginaliser. Symétriquement, on peut comprendre ce que serait une victoire stratégique israélienne : neutraliser le Hamas en tant qu’acteur militaire du conflit.
Après sept semaines marquées par 90% de violence et 10% de diplomatie et de politique, la situation s’inverse. Le conflit va redevenir essentiellement politico-diplomatique (sans pour autant écarter toute violence). En conséquence, le poids d’Israël dans l’équation va baisser tandis que le jeu d’alliances et de tensions entre le Hamas et les autres acteurs de la scène mondiale (Egypte, Autorité Palestinienne, Qatar, Arabie Saoudite, Iran, Turquie, Etats-Unis) pèsera davantage. Dans l’état actuel du Moyen-Orient cela signifie que tout est possible, sinon le meilleur.
*Photo : Ariel Schalit/AP/SIPA. AP21615573_000006.
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