Le Monde dissimule à peine, mais avec brio, sa vision manichéenne du Proche-Orient et son parti pris propalestinien. Derrière une mécanique sémantique de précision, s’entend une petite musique anti-israélienne, jusque dans la couverture des massacres du 7-Octobre. Une lecture mot à mot et entre les lignes s’impose.
Cela ne se discute pas. Avec ses 500 000 abonnés en ligne, son équipe de 500 journalistes et ses quelque 18 millions d’euros engrangés en 2023 au titre des aides publiques à la presse, Le Monde est ce qu’il convient d’appeler un grand quotidien. Un journal de référence, comme on dit, lu chaque jour par tous les ministres de la République, tous les parlementaires et tous les directeurs de la presse parisienne. Autant dire que son traitement de l’actualité au Proche-Orient est crucial. D’autant que peu de rédactions peuvent se payer comme lui des correspondants permanents sur place. Résultat, sur cette question brûlante, nombre d’organes de presse subissent de façon disproportionnée l’influence du quotidien vespéral.
Se doutent-ils que la ligne de leur journal favori est, sur la politique israélienne, nettement moins centriste qu’elle ne l’est en matière de politique française ou américaine ? Et que, dès que l’on se rapproche de Tel-Aviv, elle rejoint en réalité les positions de l’extrême gauche ? Certes, ce parti pris n’est jamais avoué clairement. Il faut parfois avoir l’ouïe fine pour entendre la petite musique anti-israélienne jouée tous les jours dans les pages consacrées au Proche-Orient. Si l’on veut comprendre comment fonctionne cette mécanique sémantique de précision, une analyse mot à mot est souvent nécessaire. Décortiquons ci-dessous sept phrases typiques de la prose du Monde, extraites de divers articles parus dans ses colonnes depuis le 7 octobre.
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11 octobre 2023
« Lors de son opération “Déluge d’Al-Aqsa”, débutée le 7 octobre, le groupe islamiste du Hamas a infiltré plusieurs centaines de ses combattants en territoire israélien, tuant sur place ou prenant en otage des membres des forces de sécurité et des civils. »
Benoit Le Corre et Pierre Lecornu
Trois jours après les exactions du 7 octobre, le doute n’est plus permis. Selon d’innombrables sources présentes sur place, un massacre de dimension inédite vient d’avoir lieu sur le territoire de l’État hébreu, avec pour objectif d’assassiner un maximum d’Israéliens. Les terroristes sont rentrés par milliers (en non par centaines) dans le district Sud à bord de camions, jeeps, motos, vedettes rapides et parapentes. Un véritable déluge, comme l’indique très bien le nom de code choisi par les cerveaux de l’opération. Mais au Monde, lorsqu’il s’agit de rassembler les faits dans un papier de synthèse, pas question d’employer les grands mots, ni d’étaler trop de pitié pour les victimes. Sans doute pour ne pas donner l’impression d’avoir une quelconque sympathie envers l’État juif. On remarquera aussi un certain penchant pour un vocabulaire tout en retenue. Prenez le verbe « infiltrer », par exemple. Selon le Larousse, il signifie, du moins quand il est appliqué à des êtres humains : « Se glisser quelque part, y pénétrer furtivement. » L’arrivée en nombre de soudards surexcités, tirant sur tout ce qui bouge, violant des femmes et éructant de joie, peut-elle être décemment qualifiée de furtive ? Autre détail qui dit tout de l’égarement du journal : son souci d’indiquer les pertes telles qu’elles ont été constatées parmi des « membres des forces de sécurité » avant celles des « civils ». Or au moment où ces lignes sont écrites, on sait déjà que le bilan des morts du 7 octobre compte davantage d’Israéliens désarmés, notamment des vieillards, des femmes et des enfants, que de soldats. La bonne foi journalistique exigeait donc de mentionner en priorité le fait le plus important, à savoir que le « Déluge d’Al-Aqsa » est d’abord une attaque contre la population d’un pays, pas seulement contre son armée. Sauf si bien sûr on essaie de manière insidieuse de s’inscrire dans le narratif mensonger du «crime de guerre », dont La France insoumise fait au même moment son cheval de bataille.
15 octobre 2023
« Cette bizarrerie géographique est pourtant le fait des fondateurs d’Israël. »
Benjamin Barthe
Dans les jours qui suivent le massacre du 7 octobre, Le Monde, qui n’aime rien tant que de donner des leçons d’histoire à ses lecteurs, publie un article pour raconter celle de Gaza. Et n’hésite pas pour l’occasion à relayer une grossière fake news. Ainsi donc, à en croire l’auteur, la « bizarrerie géographique » qu’est Gaza (à savoir que le territoire palestinien est séparé en deux parties, dont l’une est cette enclave située entre l’Égypte et Israël) serait la conséquence d’une décision prise par ceux qui ont créé l’État hébreu en 1948. Un minimum de connaissance des événements permet pourtant de savoir que la résolution 181 de l’ONU, votée en 1947, propose avant même la déclaration d’indépendance d’Israël, la création d’un État arabe coupé en deux morceaux distincts, dont l’un recouvre justement l’actuelle bande de Gaza. Si l’année suivante, lors de la guerre israélo-arabe, les circonstances du conflit conduisent les troupes de Ben Gourion à ne pas y pénétrer, laissant le champ libre à l’armée égyptienne, Tsahal finira en 1956 par y planter son drapeau à la faveur de la crise de Suez… avant que les Américains lui demandent l’année suivante de se retirer. N’en déplaise à Monsieur Barthe, la « bizarrerie géographique » que constitue Gaza est au moins autant le fait des Nations unies en 1947, des forces égyptiennes en 1948-1949 et de l’administration Eisenhower en 1957, que celui des fondateurs d’Israël. Mais il est tellement tentant de prendre des accents complotistes et de présenter les juifs comme les seuls responsables de ce qui est « bizarre » au Proche-Orient.
6 mars 2024
« Gaza : l’injustifiable politique de la terre brûlée d’Israël »
Éditorial
Comme on l’a vu plus haut, Le Monde a fait preuve d’une pudeur de gazelle dans sa couverture du massacre du 7 octobre, restant le plus froid possible et minorant certains faits. Double standard oblige, la contre-offensive d’Israël, elle, a droit aux grandes orgues. Dans son éditorial du 6 mars, non signé et engageant en ce sens l’ensemble de la rédaction, les mots qui claquent sont de sortie. Tsahal, est-il ainsi affirmé dans le titre, mènerait rien de moins qu’une « politique de la terre brûlée ». Un terme que même le très anti-israélien Josep Borrell n’a jamais osé utilisé, y compris quand il a accusé, notamment lors d’une réunion au Conseil de sécurité de l’ONU le 12 mars, l’État hébreu d’utiliser la faim comme « arme de guerre » à Gaza. Sans doute parce qu’il sait que la « politique de la terre brûlée »est une qualification juridique autrement plus grave, comme le Protocole I de la convention de Genève le mentionne : « Une Puissance occupante ne peut pas détruire des biens, situés en territoires occupés, qui sont indispensables à la survie de la population. La politique de la “terre brûlée” menée par un occupant, même lorsqu’il se retire de ces territoires, ne doit pas affecter ces biens. » À l’heure actuelle sur la planète, seul le conflit au Darfour est considéré par les observateurs internationaux comme relevant de la stratégie de la terre brûlée.
2 juin 2024
« Il n’y a pas d’équivalence entre l’antisémitisme contextuel, populiste et électoraliste, utilisé par certains membres de La France insoumise, et l’antisémitisme fondateur, historique et ontologique du Rassemblement national. »
Arié Alimi et Vincent Lemire
Soyons honnêtes. La phrase ci-dessus est extraite d’une tribune parue dans Le Monde. Si elle ne traduit donc pas la position du journal, elle montre en revanche quelles opinions infâmes celui-ci est prêt à accueillir dans ses pages de façon bienveillante. Faut-il détailler ici en quoi essayer de diminuer les torts de l’antisémitisme de gauche, au prétexte qu’il serait « contextuel », est abject ? Non, évidemment. Quiconque a vu les images de Rima Hassan participant à un rassemblement pro-Hamas à Aman en août dernier sait ce dont l’« antisémitisme contextuel, populiste et électoraliste » est capable, et quelles atrocités il a sur la conscience.
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31 juillet 2024
« Visage de la diplomatie du Hamas, vu comme un modéré au sein du mouvement palestinien, Ismaïl Haniyeh était au cœur des efforts visant à mettre fin aux hostilités dans la bande de Gaza. »
Hélène Sallon
Comment montrer, à mots couverts, que l’on pleure à chaudes larmes la mort du numéro un du Hamas, donc de l’un des terroristes les plus sanguinaires de la planète ? En le faisant passer pour une colombe, pardi ! Comme le fait avec beaucoup de talent cette nécrologie d’Ismaïl Haniyeh, mort le 31 juillet 2024 à Téhéran suite à une attaque israélienne survenue au lendemain de la prestation de serment du nouveau président iranien Massoud Pezeshkian devant le Parlement, à laquelle il venait d’assister.
10 septembre 2024
« Face aux attaques d’Israël, l’Iran peine à trouver la bonne riposte »
Ghazal Golshiri et Madjid Zerrouky
Le Monde ne se contente pas de regretter la disparition des ennemis les plus cruels d’Israël. Il loue aussi l’action des vivants. Le titre ci-dessus est à cet égard un petit chef-d’œuvre d’encouragement déguisé. Procédons par étape logique et découvrons ce qu’il exprime en réalité. D’abord l’élément de contexte, « Face aux attaques d’Israël », qui place le récit du point de vue de Téhéran, puisque, côté Israël, on considère au contraire que l’action de Tsahal n’est pas une attaque mais une contre-attaque. Ensuite la proposition principale, « l’Iran peine à trouver la bonne riposte », qui indique en creux que les mollahs cherchent quelque chose, et que cette recherche est conduite par eux avec les meilleures intentions du monde puisque la chose recherchée est affublée de l’adjectif « bon ». Accusation spécieuse, objecteront certains. Et pourtant que ne dirait-on si, par exemple, Le Monde spéculait en France sur les « attaques » de Macron contre Marine Le Pen et sur la « bonne » réponse que celle-ci pourrait bien lui apporter. Supposons que le journal écrive : « Face aux attaques d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen peine à trouver la bonne riposte ». Inimaginable bien sûr. Alors qu’en revanche le titre « Face aux attaques de Marine Le Pen, Emmanuel Macron peine à trouver la bonne riposte » est tout à fait concevable. CQFD. Dans le conflit larvé israélo-iranien, les faveurs du Monde vont à l’Iran.
19 septembre 2024
« Procéder ainsi n’emprunte-t-il pas au terrorisme que l’on prétend combattre ? »
Editorial
Finissons cette rapide autopsie du diable qui se cache dans les détails en nous penchant sur l’affaire de bipeurs piégés. Pour Le Monde, cette opération est immorale. La meilleure manière de le faire savoir : suggérer, au moyen d’une question rhétorique, qu’Israël a, ce jour-là, carrément repris les méthodes des Etats voyous. Quand il y dix ans, François Hollande validait des dizaines d’opération homo (pour homicide), consistant à faire supprimer par des commandos français des djihadistes identifiés en Afrique noire, avec parfois des dommages collatéraux sur les populations civile, allez savoir pourquoi, jamais le journal n’a parlé de terrorisme d’Etat, mais juste d’ « éxécutions ciblées ». Idem quand Barack Obama a demandé que l’on neutralise, mort ou vif, Oussama Ben Laden et que le chef d’Al Qaida a fini par être abattu, sur ses ordres, par des Navy Seals: pas question de se demander si le président américain n’aurait un peu agi de manière criminelle en vengeant le 11-Septembre. Derrière ses protestations de modération et son style ostensiblement circonstancié, Le Monde dissimule mal sa vision orientée du Proche- Orient. Vous avez dit islamo-gauchisme ?