Accueil Monde « Le mot ‘manifestation’ ne correspond pas du tout à ce qu’il se passe entre Israël et Gaza »

« Le mot ‘manifestation’ ne correspond pas du tout à ce qu’il se passe entre Israël et Gaza »

Entretien avec Gil Mihaely, historien et directeur de la publication de "Causeur"


« Le mot ‘manifestation’ ne correspond pas du tout à ce qu’il se passe entre Israël et Gaza »
Affrontements à la frontière entre Gaza et Israël, 14 mai 2018. Sipa. Numéro de reportage : 00858961_000037.

Que se passe-t-il exactement depuis des semaines à la frontière entre la bande de Gaza et Israël ? Les « manifestants » pris pour cible par Israël sont-ils mus d’intentions pacifiques ou à la solde du Hamas ? La montée des tensions entre l’Etat hébreu et l’Iran peut-il aboutir à une déflagration générale ? Autant de questions auxquelles répond Gil Mihaely, historien et directeur de la publication de Causeur. Entretien. 


Daoud Boughezala. Des marches « pour le retour » des Palestiniens ont lieu à la frontière entre Gaza et Israël depuis plusieurs semaines. Lundi, 59 Gazaouis ayant voulu s’infiltrer en Israël ont été tués par Tsahal. Sont-ce des manifestants pacifiques ou des partisans du Hamas ?

Gil Mihaely. Sans nier la sincérité d’un certain nombre de manifestants – comme l’initiateur de la « marche du retour » sur Facebook il y a quelques mois -, force est de reconnaître que le mot « manifestation » ne correspond pas du tout à ce qu’il se passe sur la frontière entre Israël et la bande de Gaza depuis le 30 mars. Il s’agit d’une campagne organisée et dirigée par le Hamas dont l’objectif est de forcer la barrière séparant la bande de Gaza d’Israël pour ensuite pousser la foule vers la brèche puis à l’intérieur du territoire israélien. Je rappelle d’ailleurs que ce secteur de la frontière est reconnu par la loi internationale et n’est pas mis en cause par l’Autorité palestinienne. Des commandos de la branche militaire du Hamas[tooltips content= »Selon Salah Bardawil, porte parole du Hamas, 50 des 62 morts palestiniens lors des affrontements avec l’armée israélienne lundi dernier faisaient partie de l’ogrnaisation »]1[/tooltips], souvent armés, se faufilent vers la barrière et essaient d’ouvrir une brèche avec des explosifs et des ciseaux. Derrière eux, des militants renvoient vers la brèche les gens amassés quelques centaines de mètres plus loin, dont la plupart sont des jeunes gens, parfois, comme l’a relaté Le Figaro, incités à désobéir à leurs parents pour se rendre sur la zone frontalière et servir de chair à canon.

Il n’est pas difficile d’imaginer ce qu’une foule palestinienne risquerait de faire dans les villages israéliens alentour.

L’Etat hébreu aurait-il pris un risque sécuritaire en laissant les Gazaouis s’infiltrer sur son territoire au lieu d’ouvrir le feu ? 

Une fois une brèche ouverte dans la barrière, la situation devient difficilement contrôlable car la foule attend la moindre occasion pour s’y précipiter en masse. Or, certains villages israéliens ne sont qu’à quelques centaines de mètres de la barrière. Il n’est pas difficile d’imaginer ce qu’une foule palestinienne risquerait d’y faire. La seule façon d’empêcher une course folle de milliers voire de dizaines de milliers de personnes vers la barrière est d’empêcher l’ouverture de brèches.

C’est pour ne pas avoir à gérer une foule notamment composée de femmes et d’enfants qu’Israël défend l’intégrité de la barrière en visant les meneurs, les individus armés et les groupes de coupeurs de barbelés.

Rien dans le discours de Trump n’empêche la création d’un Etat palestinien ayant sa capitale à Jérusalem

Lundi, le déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem a coïncidé avec les 70 ans d’Israël. En consacrant symboliquement une décision que les Etats-Unis reconnaissent depuis de longues années, Donald Trump a-t-il soufflé sur les braises ?

Cette décision n’a certainement pas aidé à calmer les esprits. Mais il ne faut pas oublier que le texte lu par Donald Trump décembre dernier à Washington ne parle que de la ville ouest, donc de Jérusalem extra muros et précise que le statut final de la ville sera décidé au cours de négociations entre Israéliens et Palestiniens. Rien dans ce discours n’empêche donc la création d’un Etat palestinien ayant sa capitale à Jérusalem.

 La frontière de Gaza avec Israël est plus ouverte que celle avec le voisin égyptien

Le négociateur en chef de l’Autorité palestinienne Saeb Erekat  a récemment déclaré  que « la solution à deux États a été détruite » par la poursuite de la colonisation en Cisjordanie et faute de « partenaires pour la paix en Israël ». A-t-il raison ?

La solution à deux Etats paraît très compromise et Erekat a raison de souligner l’absence de partenaire israéliens mais encore faut-il savoir pourquoi nous en sommes arrivés là. Si le camp de la paix israélien est aujourd’hui en si mauvaise posture, c’est largement le résultat des terribles attentats suicides qui ont frappé Israël à partir de 1994, de la seconde Intifada déclenchée après l’échec des négociations de Camp David en 2000. Surtout, le retrait – certes unilatéral – de Gaza en 2005 et le démantèlement de toutes les colonies de la région n’ont pas été mis à profit pour créer un îlot palestinien prospère entre Israël et l’Egypte mais une plateforme pour la lutte armée contre Israël menaçant également l’Egypte. D’ailleurs, la frontière de Gaza avec Israël est plus ouverte que celle avec le voisin égyptien…

L’écroulement de la Syrie et la pénétration iranienne dans ce pays accroissent le risque d’une éruption de violence

La semaine dernière, peu après que Trump a officiellement dénoncé le traité nucléaire de Genève, Tsahal a bombardé des installations militaires iraniennes en Syrie. Va-t-on vers un conflit régional généralisé, du Golan à Gaza, entre Israël et l’Iran ? 

On y est déjà depuis de longues années. N’oublions pas que quelques semaines après l’enlèvement du soldat Shalit par le Hamas en juin 2006, le Hezbollah avait déclenché une guerre à la frontière nord d’Israël. La logique reste donc la même mais l’écroulement de la Syrie et la pénétration iranienne dans ce pays accroissent le risque d’une nouvelle éruption de violence. Il faut espérer que les Russes vont stabiliser la situation car une telle éruption pourrait les empêcher de jouir tranquillement des fruits de leur réussite en Syrie.

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est journaliste.

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