Par deux fois, les Français (de gauche et les autres), ont pu apprendre que si Martine Aubry était élue présidente, elle « reconnaîtrait la Palestine ». Dans son avant-dernière profession de foi, face à ses cinq concurrents, sur BFM TV le 5 octobre, Martine Aubry, pour dénoncer la politique de l’actuel Président de la République, avait fustigé cette « France qui ne reconnaît pas la Palestine ». Dans son ultime face à face avec son rival, François Hollande, Martine Aubry, a ajouté une précision : elle « reconnaîtrait » aussi, Israël. Ce fut le seul point de politique étrangère évoqué dans ces débats des primaires.
Des autres peuples en lutte, celui du Darfour napalmisé par l’armée soudanaise, le peuple tibétain écrasé par la Chine, les Kurdes massacrés par l’Iran et la Turquie, les Birmans sous le joug de la junte, les Bahaïs persécutés, les Kabyles muselés, les Chrétiens menacés dans le monde musulman, les Coptes mitraillés au Caire, les six postulants à l’investiture socialiste ne dirent rien.
Des guerres déclarées ou des conflits non déclarés dans lesquels la France a engagé ses forces, du positionnement de la France dans la lutte contre le terrorisme, de la Libye, de l’Irak, de l’Afghanistan, il ne fut pas plus question dans ces débats. De la même manière, les six candidats ont soigneusement évité d’aborder les questions fondamentales qui touchent à l’émigration, au progrès de l’islamisme dans les cités, ou aux violences urbaines croissantes, ce qui augure mal de leur capacité à affronter l’avenir. Ne pas voir, ne pas entendre et ne rien dire pour ne pas désespérer le 9-3, semble être une règle de conduite pour ceux et celles qui ont fait de la bonne conscience l’ossature de leur programme électoral. De cet évitement le FN fait son miel électoral.
Le positionnement déclaré de la candidate Aubry en faveur de la Palestine n’avait d’ailleurs pas pour objet la politique étrangère de la France. Il visait en deçà des rives du Jourdain. Ce clin d’œil appuyé, en direction des banlieues, contredisait en outre la précédente dénonciation du boycott d’Israël par Martine Aubry. Quand on connaît la part de schizophrénie identitaire qui affecte de nombreux « jeunes-des-banlieues » cette déclaration ne favorisait guère leur intégration dans l’histoire de la République. La maire de Lille connaît bien la question. Elle sait combien, dans les « quartiers », la Palestine agit comme un fantasme symbolique collectif, comme représentant la cause, sinon la patrie, de ceux qui n’ont pas de patrie. En faisant de la Palestine la seule noble cause à défendre, la socialiste ajoute, ici, du malheur identitaire au malaise social. Elle aggrave les ruptures culturelles au sein de la société. Une récente enquête met à jour le poids de plus en plus important de l’islam en France et les séductions politiques qui lui sont liées. Tout ceci tisse un système compliqué dont toutes les pièces sont liées; Martine Aubry devrait se souvenir des manifestations de refus d’un concert d’Enrico Macias à Roubaix en 2000 au prétexte qu’un « juif ne pouvait pas chanter en arabe ».
En contrepoint, la seule contrepartie qu’elle exige, la « reconnaissance d’Israël », est stupéfiante : le peuple de gauche vient donc d’apprendre, par défaut, que jusqu’à ce jour, pour Martine Aubry, Israël n’était pas encore reconnu. Qu’est ce que veut bien dire « reconnaître Israël » ?
Reconnaître le fait ou reconnaître aussi le droit ? Quel droit ? Le droit pour le peuple juif d’avoir un Etat sur l’espace de sa terre historique. Il est navrant de constater qu’à gauche aujourd’hui, on ne soit désormais sensible qu’à l’écume de cette pensée unique qui fait d’Israël le fautif, le coupable, le criminel et la Palestine LA juste cause. Faut il rappeler aux socialistes cette réflexion de François Mitterrand, en novembre 1975, quand une motion de l’ONU avait assimilé le sionisme au racisme : « Je savais déjà que le fanatisme était un attribut de la sottise. J’ai envie d’écrire ce matin qu’il est la sottise même (…) Economisons les grands mots et n’en gardons qu’un, le mépris (…) Frank, Anne Frank, merveilleuse et déchirante, fleur de vie, pauvre morte, c’est à toi que je pense au moment de dire pardon ». Puisse la gauche ne pas tomber dans les ornières du gauchisme dont l’obsession anti israélienne tient lieu de matrice intellectuelle.
Etre de gauche, c’est d’abord être pédagogue en expliquant aux « jeunes-des-banlieues » que la source de leur malheur existentiel ne se nomme pas Israël et qu’ils ne trouveront pas la réponse à leur ressentiment dans la haine antijuive. C’est aussi dire, en tant que Président de la République, aux autres peuples arabes que la source de leur malheur ne se nomme pas non plus Israël. Qui opprime qui dans le monde arabo-musulman ? Qui sont les dictateurs, les potentats, les corrompus ? Qui menace la liberté fraichement acquise en Tunisie ? C’est au prix de ce courage politique qu’un président de gauche pourrait s’adresser à Israël en « ami et en allié » afin de reconnaître aux palestiniens la légitimité de leur aspiration nationale et de favoriser la solution de deux Etats pour deux peuples.
Etre de gauche, en France, c’est enfin déconstruire ce cliché qui identifie, depuis la guerre d’Algérie la cause et les moyens de la cause. Ce n’est pas aider à la compréhension du conflit israélo-arabe que de vouloir obstinément le lire dans les catégories de la guerre d’Algérie. Nous rêvons de dire bienvenue à la Palestine si elle reconnaît à Israël son droit à être l’Etat du peuple juif ! Bienvenue à la Palestine si elle reconnaît leurs droits aux femmes ! Bienvenue à la Palestine si elle proscrit de ses moyens de lutte la bombe humaine !
La France est le pays européen qui a la plus grande communauté juive et la plus grande part de population musulmane. Notre pays a donc un rôle à jouer, plus noble que sa seule « politique arabe ». Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est peut-être ce choc des civilisations, sinistre corollaire de la mondialisation, qu’une gauche intelligente, imaginative et honnête pourrait conjurer.
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