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L’homme est un virus pour l’homme

Le journal de Nidra Poller


L’homme est un virus pour l’homme
A Tel Aviv (Israel), le confinement prend fin. Bord de mer, le 1er mai 2020 © Photo de Heidi Levine / Sipa Numéro de reportage: 00960261_000010

Episode 9: Pendant ce temps, en Israël


7 mai 2020

Rappel

J’avais créé le personnage « Japon », habile et circonspect, qui manie les hashi, les kanji, les masques et la pandémie du nouveau coronavirus avec la même finesse. Nous autres Français, tenus en place par des mesures tatillonnes, imprimées noir sur blanc, comparés au Japonais en semi-confinement par consentement mutuel. Hazukashi, la honte : on va jusqu’à demander au malheureux infecté du Covid-19 de s’expliquer : qu’as-tu fait pour te coller cette saloperie et nous mettre en danger ? Quelques soldats français ont été contaminés raccompagnant des rapatriés de Wuhan. Pas une seule gouttelette de virus n’a traversé la protection impeccable des militaires japonais, chargés d’évacuer les passagers du Diamond Princess. N’empêche, 556 victimes japonaises du Covid-19 c’est trop. L’état d’urgence est prolongé jusqu’au 31 mai.

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L’art du roman

Le fils borné demandera : « Par quel droit appliquer l’art du roman à l‘actualité brûlante ? » Et je répondrai : « Parce que tout le monde le fait. On n’a que le récit comme instrument de navigation dans la forêt noire de la pandémie. Au moins, moi, c’est mon métier. » Avant de quitter le Japon, direction Eretz Israël, arrêtons-nous devant le spectacle du frelon géant asiatique, redoutable tueur en série, débarqué en pleine pandémie sur la côte ouest des États-Unis. Nullement échappé d’un laboratoire de Wuhan, il sévit depuis longtemps au Japon, où les abeilles ont développé l’arme de destruction géniale : entourant la bête, elles créent, par des vibrations collectives, une fournaise. Au bout d’une heure, le frelon est, littéralement, cuit. En l’absence de cette action héroïque, une ruche finirait jonchée d’abeilles décapitées par le frelon Tamerlan. 

Habitués aux états d’urgence, tous les services sont mobilisés et la population est, plus que jamais, aux abris…

Il existerait – ce n’est qu’une hypothèse – une défense d’ordre génétique contre le nouveau coronavirus, chez certains peuples ou individus bénis d’un système immunitaire fort comme une ruche japonaise, associé à des qualités anti-inflammatoires qui empêcheraient l’orage cytokine.  Comment savoir ?

Touche pas à mes enfants

Le peuple juif, survivant des survivants, est particulièrement sensible aux dangers de mort. Israël, entouré de génocidaires, ne baisse jamais la garde. Le Juif, religieux ou pas, instruit ou indifférent, est estampillé « tu choisiras la vie ». Ainsi, j’ai décerné, à partir du premier cas de Covid-19 en Israël, une réponse de mère juive. On ne laissera personne mourir ! Bouclier humain, maguen David, pas de malades chez nous et si toutefois quelqu’un l’attrape, il sera soigné et guéri ! Tout le monde à la maison, on ne traîne pas dans la rue contaminée. Ne crains rien, il y aura à boire et à manger, du matériel de protection, de détection et de l’intelligence du cœur. Ferme bien la porte, on aura le temps de retrouver la famille, les amis, les collègues et les touristes, une fois éloigné le danger. Maintenant, c’est la bonne santé ton devoir. 

Sans accuser les fiers sceptiques de cynisme, j’ai remarqué qu’ils font peu de cas d’un virus qui tue en priorité des personnes âgées. Or, les personnes âgées, en Israël, sont souvent des rescapés de la Shoah. Comme le premier mort du Covid-19 enregistré, un homme de 88 ans. De là et un à un, chaque victime tombe avec un soupir collectif de frustration d’avoir failli à le sauver. 

A lire aussi: Mossad: l’histoire secrète des assassinats commandités par Israël

Habitués aux états d’urgence, tous les services sont mobilisés et la population est, plus que jamais, aux abris. On accuse le Mossad de tout et de son contraire. En l’occurrence, des agents ont été dispersés de par le monde à la recherche du matériel de protection, des tests, des respirateurs. On a renvoyé les touristes, ramenés les nationaux égarés en Italie, au Pérou, à Katmandou, avant de couper les ponts et de fermer l’aéroport aux voyageurs étrangers, y compris les Français, capo-sionistes, dont les familles vivent nombreuses, à cheval sur les deux pays. Les exceptions devaient passer deux semaines en quarantaine avant d’intégrer le pays. Il faut dire que la pratique de la quarantaine remonte aux origines de la Loi. 

Chercheurs, techniciens, scientifiques, ingénieurs, sauveteurs, services d’ordre et informaticiens mettent toute leur énergie à la recherche de traitements, de vaccins, d’astuces. Il y a le patch hyper-filtrant que le soignant colle par-dessus son masque chirurgical pour en doubler l’efficacité. Et la cabine de dépistage sans contact, où le technicien, les mains glissées dans de gros gants qui traversent la paroi, prélève l’échantillon, le range dans un sac étanche… et au suivant. El Al, sans touristes à charrier, s’en va en Chine et revient avec du matériel médical. S’il faut chercher noise aux Chinois, ce sera plus tard, après la pandémie. 

On agit avec détermination, mais les victimes tombent une à une et chacune est une défaite inconsolable. Une infirmière de 65 ans, unique victime parmi les soignants. Une femme en coma artificiel qui accouche et meurt. Des résidents d’une maison de repos à Beersheba … 

Mishpocha, Hatikvah

Le 5 mai, le premier ministre dévoile le plan de déconfinement. Point guindé comme l’un, pas inculte comme l’autre, Bibi parle aux concitoyens en haver, en compadre. Prononçant des paroles justes, à la mémoire des disparus, il s’adresse à un peuple d’adultes responsables, les félicite des bons résultats, fruits du respect d’un confinement très strict. Si la liberté de circuler dans un rayon d’un kilomètre nous avait coupé les jambes, que dire d’un périmètre de 100 mètres pour l’Israélien ? À s’imaginer que, au-delà de cette limite, il risquera de croiser un proche et d’oublier, dans un élan d’affection, de ne pas le toucher. Le chef d’État annonce avec un sourire que les enfants peuvent enfin voir leurs grands-parents mais… pas leur sauter dans les bras. Fier du faible taux de mortalité en Israël – 238 décès – il prévient qu’une augmentation éventuelle du nombre d’infectés, hospitalisés, décédés, au-delà des limites précisées, entrainerait un retour aux restrictions. On espère que non, mais c’est hatikvah, un espoir réaliste et exigeant. 

Israël est un petit pays comme une grande famille, la mishpocha. La réunion de 20 personnes à l’air libre est maintenant permise, bientôt élargie à 50 et ainsi de suite. Plus besoin de mariage Zoom : une cérémonie avec cinquante invités est permise, mais… pas de fête dansante après. Brandissant un masque jetable, Bibi rappelle l’obligation de le porter. « C’est comme les herbes amères qu’on mange à Pessah’. » En fait, les Israéliens ne sont pas les seuls Occidentaux à malmener le masque. Bousculé par l’énergie vocale, le masque glisse sous le nez. Pour un oui ou un non, on le repousse sous le menton, quitte à le remonter en se servant une gorgée de virus. J’aimerais tellement que ce pays orné de mezuzot et de hamsas trouve mieux comme protection ! 

Hazak

Anticorps et antisémites sont incompatibles, mais ce n’est pas forcément reconnu. L’Égypte offre aux fidèles confinés un film ramadan où de vaillants musulmans détruisent Israël, rien de moins. Alors que, dans une actualité terre à terre, les autorités estiment à 300 le nombre de tunnels Gaza-Sinaï détruits. Gaza, d’où on lance une poignée de missiles en signe de remerciement pour les aides sanitaires fournies par un voisin haï. Des manifestants anti-lockdown aux États-Unis, munis d’armes de guerre et de quelques pancartes antisémites, sont la face visible des réseaux-égouts où le Juif et la peste sont associés médiévalement. L’Autorité palestinienne, sans rien lâcher de ses visées exterminatrices, travaille avec les autorités israéliennes et contre le Covid-19. Image insolite à Yaffo : un contingent modeste de fidèles, alignés à la bonne distance  sociale, entonne la prière du soir. 

La mondialisation heureuse

Aujourd’hui, dans les pays touchés en premier par la pandémie, on remet la population en liberté conditionnelle. Le virus va sauter sur l’occasion. L’immunité du troupeau est loin, la distance sociale sera forcément raccourcie, la litanie des hospitalisés et des morts reprendra, les économies, bousillées, prendront un nouveau coup. D’où viendra l’espoir ?

Des chercheurs israéliens, en tête du peloton international de découvertes, innovations, prix et brevets, sont à l’œuvre. La détermination de réparer n’a jamais été plus forte. À l’Université Ben Gurion, on a développé un revêtement polymère incorporant des nanoparticules de métaux antiviraux qui réduirait la contamination des surfaces dans les hôpitaux, les moyens de transport, les lieux publics. Un  laboratoire spécialisé en traitement à base d’extraits de placenta, déjà utilisé pour d’autres situations adapte le remède au Covid-19. Une percée majeure vient de l’Institut israélien de recherche biologique (IIBR)  qui annonce l’isolation d’un anticorps monoclonal capable de neutraliser le nouveau coronavirus. La demande de brevet est déjà en cours. Si l’efficacité de l’anticorps est confirmée, on est pour ainsi dire sauvés. Sinon … sinon, ce n’est pas la fin de notre monde, pas la fin de notre génie.

Je ne suis pas de ceux qui lisent la pandémie du siècle comme preuve des méfaits de la globalisation. Non. Je me réjouis de découvrir l’élan de solidarité entre soignants dévoués, de toutes origines, et la collaboration entre chercheurs du monde entier, concurrents et unis, qui cherchent ensemble, à travers les lignes, des découvertes qui seront partagées avec le monde entier.

La première étape de notre défense contre la pandémie tire à sa fin. Pendant ces semaines hors du temps,  je n’avais pas d’appétit pour les contentieux. Je le dirai dans l’Episode 10 : Tendresse.

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