À Addis-Abeba en Éthiopie, le président brésilien vient d’accuser Israël de « génocide » à Gaza, et a fait une allusion à Hitler
Membre fondateur du Mercosur en 1985, puis de l’UNASUR en 2008, rassemblant tous les pays du sous-continent, le Brésil a manifestement pris le leadership régional. Or depuis 2002, avec l’arrivée de Lula au pouvoir, le Brésil s’est affirmé résolument non seulement comme une puissance régionale mais aussi comme un acteur qui veut compter sur la scène mondiale…
Cela, en nouant d’une part un partenariat privilégié avec le continent africain : le Brésil et le Nigeria ont été à l’origine du premier sommet Afrique-Amérique du Sud qui s’est tenu en 2006 à Abuja. D’autre part le Brésil a participé à la création des BRICS en 2011, aux côtés de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud.
Toutefois, les relations Brésil-Afrique relèvent davantage d’une diplomatie politique que d’une véritable politique d’État, comme le laisse à penser l’effondrement de cette relation sous la présidence de Dilma Rousseff déjà (2011-2016), confrontée qu’elle était à des enjeux sérieux de politique intérieure, et surtout avec les présidents Michel Temer (2016-2018) puis Jair Bolsonaro (2019-2023). Si de grandes entreprises brésiliennes y trouvent leur intérêt (tout particulièrement dans les secteurs de l’extraction des matières premières et de la construction d’infrastructures) les relations économiques Brésil-Afrique sont en effet sous-tendues par des préoccupations fortes à la fois idéologiques et géopolitiques.
Imaginaire brésilien
Le rapprochement avec l’Afrique fait partie intégrante du programme international du PT depuis sa fondation en 1980. Car d’une part, les populations afro-descendantes brésiliennes représentaient une « base » importante du mouvement et un potentiel électoral précieux, et d’autre part, l’Afrique noire avait occupé une place centrale dans la structuration du Tiers-Monde et de la conceptualisation idéologique tiers-mondiste, articulant les questions de la décolonisation, du développement et de la dépendance. Aujourd’hui l’Afrique conserve une charge symbolique importante pour la constitution d’une nouvelle opposition à l’Occident et demeure un élément de l’imaginaire brésilien. La politique africaine du Brésil vise ainsi tout autant à donner une interprétation racialiste, « racisée » des questions sociales brésiliennes que de fonder la prétention de Lula (élu à nouveau en octobre 2022) à viser désormais le leadership dudit « Sud global ».
Car paradoxalement, le retour à la démocratie en Amérique latine, avec le « tournant à gauche » de la région dans les années 90-2000, a favorisé l’expansion de l’idéologie du « postcolonialisme » puis du « décolonial », notamment sous l’impulsion du castro-chavisme vénézuélien. Entremêlant anti-impérialisme, anti-occidentalisme et théorie de la domination et du « privilège blanc », ce courant qui dénie désormais à l’Amérique latine sa dimension « d’extrême-Occident » (selon l’expression d’Alain Rouquié dans les années 80), verse tout naturellement dans un antisémitisme antisioniste largement partagé par l’idéologie néo-tiersmondiste dudit « Sud global ».
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La lutte contre la « domination » mondiale de ces « super-blancs » que seraient devenus les Juifs depuis qu’ils sont détenteurs d’un territoire national, permet en effet d’agréger des ressentiments divers et d’articuler des objectifs multiples. Ni « bloc », ni « axe », ni alliance, ni « Internationale », le « Sud global » se caractérise plutôt comme une dynamique, portée par un conglomérat d’acteurs aux contours mouvants. Après le pogrom génocidaire mené par le Hamas en territoire israélien le 7 octobre 2023, comme par un effet paradoxal aigu, les prises de position contre Israël se sont déchaînées aussitôt tous azimuts à travers la planète et dans différents secteurs des sociétés occidentales. Au-delà de la résolution implacable des islamistes à anéantir Israël dans le sang et l’horreur, c’est en somme l’installation de l’antisémitisme à l’horizon d’un « Sud global » en gestation depuis au moins deux décennies, qui s’est manifestée. L’Amérique latine avec les prises de position anti-israéliennes du Chili, de la Bolivie et de la Colombie notamment, y a participé, et Lula s’y est particulièrement illustré.
Plus tendre avec Poutine qu’avec Netanyahou
Invité au 37ème sommet des pays de l’Union africaine, à Addis-Abeba, les 17 et 18 février dernier, le président brésilien a non seulement manifesté une fois encore son intérêt pour l’Afrique, mais il s’est posé en prétendant au titre de leader du Sud global en abordant les deux grands thèmes du moment qui définissent la ligne du conglomérat anti-occidental : le soutien à la Russie dans la guerre qu’elle a lancée contre l’Ukraine d’une part, et le soutien au Hamas dans son offensive contre Israël d’autre part. Refusant de condamner Poutine pour l’assassinat de Navalny, Lula a affirmé qu’il fallait « d’abord faire une enquête pour savoir pourquoi ce citoyen est mort », et comparant « ce qui se passe à Gaza » à la décision d’Hitler « de tuer les juifs », il a estimé que « le Brésil ne peut s’abstenir de condamner ce que l’armée d’Israël est en train de faire dans la bande de Gaza ». Et pour « faire bon poids », écartant d’un revers de main la récente expulsion par le tyran vénézuélien Maduro des membres du personnel du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits humains, il a déclaré : « Je n’ai pas d’information sur ce qui se passe au Venezuela ».
L’attaque du Hamas du 7 octobre a provoqué en effet une décantation des positionnements stratégiques et une mise en évidence de l’axe de convergence des trois proto-totalitarismes (Russie, Iran et Turquie) ainsi que de leurs alliés du Sud global à travers leur hostilité conjointe à la fois à l’égard de l’Ukraine et d’Israël. L’antisémitisme, comme souvent au cours de l’Histoire, servant d’agent de coagulation d’éléments hétérogènes et d’acteurs divers, c’est aujourd’hui sous la forme du propalestinisme « antisioniste » qu’il s’exprime le plus vigoureusement. Le propalestinisme est en effet une idéologie transnationale qui consiste dans la délégitimation de l’État juif, tout particulièrement à travers la victimisation obsessionnelle des populations palestiniennes et la diabolisation du Juif/Israélien. Le « Palestinien » étant devenu la figure emblématique de tous les « dominés » victimes de l’Occident honni.
Le soutien au Hamas comme « mouvement de résistance » à la prétendue « occupation coloniale israélienne » est ainsi une prise de position indispensable à tout leader du Sud global. Au demeurant, Lula n’a sans doute pas un gros effort à faire dans ce sens, lui qui a par exemple, depuis longtemps toléré avec bienveillance l’activisme du Hezbollah dans la région de la Triple frontière (Argentine, Brésil, Paraguay) où le groupe terroriste gère deux grandes mosquées et où il bénéficie du soutien financier et moral de membres influents des communautés syro-libanaises autant musulmanes que chrétiennes, implantées de longue date dans la région. Revenant à la posture gauchiste de ses jeunes années, Lula entonne donc à pleine voix l’antienne propalestiniste des nouveaux « damnés de la terre ».
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