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Israël, au ban des Nations unies

Génocide et géopolitique...


Israël, au ban des Nations unies
Le ministre sud-africain de la Justice, Ronald Lamola, et le ministre palestinien Ammar Hijazi, devant la Cour internationale de justice, à La Haye, lors de l’audience relative aux accusations de génocide portées contre Israël, 11 janvier 2024 © AP Photo/Patrick Post/SIPA

Israël est accusé de génocide depuis le début de son offensive militaire à Gaza. La procédure lancée par l’Afrique du Sud devant la Cour de justice internationale est soutenue par de nombreux pays qui sont eux-mêmes appuyés par la Chine et la Russie. En réalité, la condamnation d’Israël est le fer de lance d’une offensive planétaire contre les puissances occidentales.


Les naïfs s’en étonneront, les amis d’Israël ont l’habitude. Moins de trois mois après le 7 octobre, c’est Israël, pas le Hamas, qui était accusé officiellement de génocide. Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud engage devant la Cour de justice internationale (CJI) de l’ONU une procédure fondée sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. La requête de 84 pages maintient que, dans sa conduite de la guerre à Gaza, l’État juif serait responsable d’actes génocidaires contre la population civile, actes commis dans l’intention de « provoquer la destruction d’une grande partie du groupe national, racial et ethnique palestinien ». Certains propos tenus en public par des politiques israéliens sont cités comme autant de preuves d’une « intention génocidaire ». Pour enfoncer le clou, le document parle d’un système d’apartheid de soixante-quinze ans, une occupation de cinquante-six ans et un blocus de seize ans. Ce jour-là, Jean-Luc Mélenchon et Jeremy Corbyn sont présents à La Haye pour fêter une nouvelle étape dans leur grande campagne « antisioniste ».

En janvier, la CJI ordonne à Israël, non d’arrêter ses opérations militaires à Gaza – une des exigences de l’Afrique du Sud –, mais de tout faire pour éviter de commettre des actes génocidaires. Mais il faudra des années avant qu’elle statue sur la culpabilité ou non d’Israël. L’Afrique du Sud a jusqu’au 28 octobre pour formuler ses arguments devant le tribunal, et Israël jusqu’au 28 juillet 2025. En réalité, la CJI ne disposant d’aucune force pour faire exécuter ses jugements, ils ne changent rien sur le terrain. En 2022, elle a ordonné – en vain – à la Russie d’arrêter son invasion de l’Ukraine. De plus, Israël est habitué à être accusé de tous les maux par les Nations unies et les ONG – on se rappelle la conférence contre le racisme de Durban en 2002, qui tourna au festival antisémite.

Qu’y a-t-il de nouveau aujourd’hui ? Peu importent les conséquences juridiques de la procédure. Celle-ci est le cœur nucléaire d’une offensive destinée à discréditer Israël sur la scène internationale, l’isoler diplomatiquement et réduire l’influence et le prestige de ses alliés occidentaux. Un pas a été franchi avec la gravité des charges : inculper Israël pour un crime qui rappelle les pires horreurs du nazisme revient à le mettre au ban de l’humanité. C’est aussi, au passage, miner une source d’empathie pour les juifs, à savoir la singularité de la Shoah, et justifier l’injustifiable violence du Hamas.

Ensuite, il y a la multiplication paroxystique des dénonciations. Le 29 décembre est l’aboutissement d’un processus de renversement de l’accusation de génocide. Au lendemain du 7 octobre, l’idée que les atrocités du Hamas, qui semblent découler de ses chartes de 1988 et de 2017, et que ses responsables s’engagent à répéter à la première occasion, pourraient être une forme de génocide commence à faire son chemin. Le 16 octobre, 311 spécialistes du droit, dont des professeurs d’universités américaines, britanniques et israéliennes, déclarent l’attaque génocidaire dans une tribune. Pour les opposants d’Israël, il faut enterrer cette notion sous un torrent de contre-accusations. Dès le 15 octobre, 880 juristes et spécialistes en « études des génocides » redoutent dans une lettre ouverte qu’Israël commette un génocide à Gaza. Quatre jours plus tard, une centaine d’ONG et six chercheurs envoient une lettre à la Cour pénale internationale (CPI), qui est habilitée à poursuivre des personnes (à la différence de la CJI), pour l’exhorter à enquêter sur les possibles crimes des Israéliens, y compris l’incitation au génocide. À partir de la fin du mois, c’est un véritable déluge d’accusations contre Israël de la part de rapporteurs de l’ONU et d’associations humanitaires, sans parler des militants propalestiniens occidentaux. L’ubiquité du mot « génocide » pousse à l’invention de néologismes : c’est ainsi qu’Israël serait coupable d’« épistémicide » et de « scholasticide » quand les écoles et les musées sont endommagés à Gaza, et d’« écocide » quand il s’agit de lieux naturels. Ce déluge se prolonge en 2024, rejoignant les conclusions d’autres procédures internationales déjà en cours qui accablent Israël. Parmi elles, l’enquête lancée en 2021 par la CPI sur de possibles crimes de guerre et contre l’humanité commis par les Israéliens et le Hamas depuis 2014. En mars, le rapporteur spécial des Nations unies sur les territoires palestiniens, nommé en 2022, la juriste italienne Francesca Albanese, qui critique Israël de manière obsessionnelle, publie un rapport intitulé sans ambages « Anatomie d’un génocide ». En mai 2024, le procureur dépose une demande pour des mandats d’arrestation concernant Benyamin Nétanyahou, Yoav Gallant, Yahya Sinwar, Mohammed Deif et Ismaël Haniyeh (ces deux derniers exécutés depuis par Israël). Un mois plus tard, en juin, un rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (rédigé par une commission établie en 2021) accuse Israël et le Hamas de crimes de guerre, mais s’acharne contre Israël pour de prétendus crimes contre l’humanité.

C’est ainsi que, par une répétition obsessionnelle, on trace dans l’opinion un signe d’égalité entre Israël et génocide. Se banalisant, le mot sert d’étendard aux ennemis d’Israël, des ennemis plus inquiétants que les activistes des campus. La troisième caractéristique de la nouvelle réprobation d’Israël, c’est que nombre de pays y contribuent, en reprenant à leur compte l’accusation de génocide. À la CJI, la procédure de l’Afrique du Sud est soutenue par 32 pays, plus 38 autres à travers l’Organisation de la coopération islamique et la Ligue arabe, ce qui donne un total de 70. En face, 12 pays s’y opposent, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, six États membres de l’UE, le Guatemala et le Paraguay. Les nations qui soutiennent la procédure comprennent les adversaires d’Israël et celles qui sont prêtes à sacrifier leurs relations avec ce dernier au nom de leurs intérêts stratégiques. En effet, plus que jamais, Israël est un pion sur l’échiquier géopolitique et un proxy pour l’Occident. Le mettre sous pression, voire le faire condamner, c’est porter un coup à l’hégémonie américaine et européenne. Cette dernière est présentée par ses ennemis comme le legs et le prolongement de la domination impériale, et c’est ici que le concept de génocide prend une dimension nouvelle. Depuis longtemps, des chercheurs militants préparent le terrain en développant l’idée qu’une « colonie de peuplement » (settler colonialism), dont l’État d’Israël serait un exemple, constitue une forme de génocide par le remplacement des habitants indigènes d’une région. Chaque action militaire conduite par Israël est donc considérée comme un nouvel avatar de ce processus génocidaire. Actuellement, ses dénonciateurs sur la scène internationale cherchent à imposer un cessez-le-feu immédiat qui permettrait la survie du Hamas. Pour eux, les membres de ce dernier ne sont pas les responsables d’un génocide, mais les résistants à un génocide. Autant dire que les Gazaouis sont, à leur corps défendant, les proxys d’un vaste mouvement anti-occidental. D’où la tentative d’étendre la responsabilité du génocide aux alliés d’Israël à travers un certain nombre de procédures pour complicité de génocide contre les dirigeants et les États occidentaux devant des tribunaux nationaux et la CJI.

Ouverture des audiences à la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye, sur la légalité de l’occupation israélienne, 19 février 2024. AP Photo/Peter Dejong/SIPA

L’Afrique du Sud justifie son action en justice par sa solidarité traditionnelle avec les Palestiniens qui souffriraient d’un système d’apartheid, tout comme les Noirs sud-africains avant 1990. Le grand Nelson Mandela a proclamé : « Nous ne savons que trop bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens. » Pourtant, la nation arc-en-ciel fait preuve d’une incohérence alarmante en matière d’accusations de génocide. Elle a été admonestée en 2017 par la CPI pour ne pas avoir arrêté Omar Al-Bashir en 2015. Cet ancien dirigeant soudanais était incriminé pour son rôle dans le génocide au Darfour de 2003. À l’heure actuelle, le Soudan est le théâtre de ce qui ressemble clairement à un génocide, provoqué par la guerre civile qui y fait rage depuis avril 2023 entre les Forces armées soudanaises du gouvernement et les troupes de Mohamed Hamdan Dogolo, accusé par des observateurs de nettoyage ethnique. Or, ce dernier était l’invité du président de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, juste avant l’ouverture des auditions concernant Israël à la CJI en janvier.

Ce deux poids, deux mesures s’explique par le fait que le Soudan ne constitue pas un enjeu symbolique dans le mouvement anti-occidental. Les documents officiels du parti de Ramaphosa, le Congrès national africain, très hostile à Israël, regorgent de références au « néocolonialisme », au « pillage impérialiste », et à sa propre appartenance aux « forces anticoloniales[1] ». Dans ce contexte, le Soudan ne fournit pas un récit pertinent, tandis que la lutte palestinienne constitue une histoire anti-impériale captivante avec Israël dans le rôle d’ennemi universel. Tout compte fait, l’Afrique du Sud vise par sa procédure à se positionner en leader d’un nouveau non-alignement contre l’hégémonie occidentale, pourtant bien mal en point. Certains géopolitologues théorisent l’ordre international contemporain en révisant le système tripartite proposé par Alfred Sauvy en 1952. Il y aurait donc aujourd’hui un « Ouest global », comprenant les États-Unis et ses alliés occidentaux, un « Est global », réunissant la Chine et la Russie, qui opposent des modèles autoritaires au modèle démocratique de l’Ouest, et un « Sud global » rassemblant toutes les nations coalisées contre les deux précédents, selon les circonstances et leurs intérêts. Ces groupements ne constituent pas des coalitions officielles, mais des sortes de nébuleuses fondées sur des convergences d’intérêts. Le « Sud global » se concrétise à travers de nombreux forums et institutions : le mouvement des non-alignés, le Groupe des 77, les Brics+ (élargis cette année), le bureau des Nations unies pour la coopération Sud-Sud… Dans cet environnement, les plus grands, l’Afrique du Sud, l’Inde, ou le Brésil, se disputent le prestige et l’influence, tandis que la Chine et la Russie se positionnent pour séduire ces nations et fragiliser leurs liens avec l’Occident. À cet égard, les deux puissances de l’« Est global » ont trouvé dans la guerre à Gaza une bonne occasion de s’attirer les bonnes grâces du Sud.

La Chine n’a pas soutenu la procédure sud-africaine, gênée par les reproches de la communauté internationale concernant son traitement des Ouïghours. Mais après le 7 octobre, elle a abandonné Israël sur le plan diplomatique pour avancer ses intérêts au Proche-Orient, où elle avait déjà réussi un coup en mars 2023 en coorganisant (avec Oman et l’Irak) la détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite. La Chine s’est gardée de condamner explicitement les atrocités du Hamas, renvoyant Israël et la Palestine dos à dos, mais n’a pas hésité à critiquer la conduite des opérations militaires israéliennes. Lors des audiences à la CJI en janvier, elle a même défendu le droit des Palestiniens à la résistance armée pour expulser un occupant de leur territoire. En avril et juillet, elle a réuni à Beijing les 14 factions palestiniennes, dont le Fatah et le Hamas, pour essayer de les mettre d’accord. Le message des Chinois pour les pays arabes et le Sud global est clair : ils prônent la paix générale mais, à la différence des Occidentaux, penchent nettement vers la cause propalestinienne. La Russie de Poutine, dont la marge de manœuvre est plus limitée à cause de l’Ukraine, fait preuve de la même fausse neutralité. Elle a condamné l’attaque du 7 octobre, mais critique les actions d’Israël depuis et manie des références douteuses au nazisme et à l’holocauste en affichant un manque d’empathie avec les Israéliens. À une conférence de presse à Genève, le 16 septembre, Albanese, ce rapporteur onusien fanatiquement propalestinien, a affirmé qu’Israël était destiné à devenir un « État paria ». C’est ce que veulent les ennemis d’Israël. L’Occident doit tout faire pour l’empêcher.


[1] « African National Congress, 55th National Conference. Resolutions. International Relations », 2022.

Octobre 2024 - Causeur #127

Article extrait du Magazine Causeur




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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