Voulez-vous devenir une vedette dans la presse algérienne arabophone ? C’est facile.
Prêchez la haine des juifs, accusez les Amazighs (les Kabyles en particulier) de travailler pour le « Parti de la France », insultez l’Occident et traitez-le de dévergondé, méprisez les femmes et les homosexuels, soyez plus palestinien que les Palestiniens… et vous voilà célébré, auréolé, acclamé.
Je ne mange pas de cette soupe. Le monde, les hommes et les peuples sont complexes. Je me dois de refuser les simplifications et le recyclage des clichés. Je préfère les nuances, les contradictions et l’épineux chemin de la vérité.
Le rôle de l’écrivain, ce n’est pas d’apporter des solutions, mais de poser les bonnes questions.
Je suis allé en Israël et à Ramallah en poète et en homme libre. Personne ne m’a dicté ce que j’avais à dire ou à entendre. Je voulais comprendre, sans intermédiaire, ce qui se passe au Proche-Orient, en Syrie et dans les pays voisins.
Dois-je demander une autorisation aux autorités algériennes pour m’y rendre ? Dois-je consulter les vigiles de la pensée à ce sujet ?
L’école algérienne m’avait enseigné à détester les juifs
Aucunement. Je suis trop libre pour me soumettre à qui que ce soit.
Je suis un rescapé de l’école algérienne. On m’y a enseigné à détester les juifs. Hitler y était un héros. Des professeurs en faisaient l’éloge. Après le Coran, Mein Kampf et Les Protocoles des Sages de Sion sont les livres les plus lus dans le monde musulman.
Que faire ? Suivre le troupeau ? Entretenir la haine et le ressentiment ? M’abreuver à la pensée unique d’un système malade et hypocrite ?
J’essaie d’observer l’histoire avec des yeux clairvoyants. J’écris avec une plume trempée dans l’encre de la raison. Aucun conflit n’oppose mes ancêtres, les Berbères, aux Juifs. Pourquoi alors en inventer un ? À qui profite cette stratégie ? Les responsables politiques algériens n’utilisent-ils pas la haine des Juifs pour endormir le peuple ?
Je ne suis pas un mouton. Je pense par moi-même. Je refuse d’être l’otage de quelque conflit que ce soit. Je revendique le droit de choquer toutes les doxas et de secouer leurs certitudes.
La presse algérienne arabophone s’est déchaînée contre moi. On m’a traité de traître et pis que cela. Mais qui donc ai-je trahi ? La Oumma ? La communauté des haineux ?
Rompant avec les idéaux du journaliste Omar Ourtilane, assassiné par les islamistes en 1995, le journal El-Khabar a commis un acte méprisable à mon encontre en inventant un roman-feuilletant de très mauvais goût. Je ne sais où son gratte-papier a cherché ses informations. Selon lui, je serais allé en Israël avec une délégation de « séparatistes kabyles », omettant volontairement que le groupe ne comptait que des journalistes et écrivains québécois.
C’est grave et comique à la fois. Je ne sais s’il faut en rire ou en pleurer. Le journalisme de caniveau est très répandu en Algérie. On voudrait me traîner dans la boue, faire du buzz. C’était prévisible, la haine du Juif rapporte.
Mon voyage au Proche-Orient a donné lieu à toutes sortes de fantasmes. Pourtant tout était transparent. Nous y avons rencontré des hommes et des femmes de tous horizons : des journalistes, des responsables politiques et des écrivains. Nous avons échangé avec eux sur les conflits de la région pour mieux en cerner l’origine. Nous nous sommes égarés dans des labyrinthes, dans un passé lointain et un présent confus, dans des vestiges, des épopées et des tragédies.
Les Israéliens ne sont pas un bloc
Le Proche-Orient m’est apparu comme un paradoxe flamboyant. La haine dispute la première place à l’amour, les femmes voilées côtoient les hommes en papillotes, la langue arabe partage avec l’hébreu les panneaux de signalisation, l’Esplanade des Mosquées est adossée au mur des Lamentations, Tel-Aviv l’hédoniste s’oppose à Jérusalem la religieuse, Ramallah du Fatah est aux antipodes de Gaza du Hamas… La guerre n’est jamais loin, la paix se cache sous les décombres.
Les Israéliens ne forment pas un bloc monolithique. Il y a de tout : des intellectuels prônant sans relâche une solution à deux États pendant que des déçus, comme l’écrivain Abraham B. Yehoshua, optent pour un État binational ; il y a aussi certains Juifs qui sont contre l’État d’Israël et des Arabes israéliens dont le cœur bat surtout pour la Palestine…
Tout a été dit à mon sujet, souvent avec haine et vulgarité : j’aurais embrassé la main du grand Satan ; j’aurais souillé l’honneur algérien ; j’aurais trahi les martyrs de la Révolution de novembre 54… et que sais-je encore.
La sagesse chinoise m’a appris que même si les oiseaux de malheur volent au-dessus de ma tête, je peux en revanche les empêcher d’y faire leurs nids.
La tournée West-Eastern Divan Orchestra, projet musical pour la paix porté par le musicien israélien Daniel Barenboïm et l’écrivain palestinien Edward Saïd, m’a toujours inspiré. Si je ne peux contribuer à construire des passerelles, je m’abstiendrai d’ériger des murs.
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