Les anti-islamistes sont les nouveaux dreyfusards


Les anti-islamistes sont les nouveaux dreyfusards
Manifestation contre les attentats de janvier 2015. Paris. Sipa. Numéro de reportage : 00701306_000009.

 


En 1894, toute la France estime Dreyfus coupable. Après Charlie Hebdo, le Camp du bien est unanime : « Pas d’amalgame », les musulmans n’y sont pour rien ! Unanimité ne rime pas toujours avec vérité.


Regardons-y de plus près. Il est intéressant de comparer les « islamophobes » d’aujourd’hui et les dreyfusards de la fin du XIXe siècle. Deux périodes où deux France s’opposent violemment. Rappelons que le mot « islamophobie » est un terme piégé avant de les explorer.

Etymologiquement, l’islamophobie se définit comme la peur de l’islam. Toutefois, cette définition initiale a été abusivement déplacée vers un autre sens : l’hostilité envers les musulmans. Nous retiendrons ici le sens initial, à savoir qu’est « islamophobe » celui qui craint le dogme religieux et politique de l’islam. En quoi le prisme de l’affaire Dreyfus éclaire-t-il notre période marquée par des attentats islamistes ?

Aveuglement généralisé

Quand Dreyfus est condamné à tort pour espionnage par le conseil de guerre en 1894 puis dégradé, la France est très majoritairement antidreyfusarde. Même Jaurès regrette alors que la peine de mort ne soit pas appliquée ! Qu’on s’y intéresse ou pas, journalistes, politiques et peuple sont très majoritairement hostiles à Dreyfus lors de sa première condamnation. Toute la société est convaincue dans un premier temps de la culpabilité du capitaine.

Dans la France qui a suivi Charlie Hebdo, on retrouve la même unanimité : à l’appel des gouvernants, toute la société va communier pour défendre la liberté d’expression lors de la marche du 11 janvier 2015. La plus grande crainte est que se développe une haine des musulmans en réaction aux évènements. Tout le corps social s’entend pour contenir et condamner tout ressentiment ou toute critique qui pourraient émerger contre la religion islamique. Dans la presse, les tribunes se multiplient pour saluer la lucidité et la dignité de la société française. Le noeud du problème – les difficultés de l’assimilation de l’islam dans la République – est soigneusement laissé de côté. Que ce soit pour Dreyfus ou Charlie, à l’aveuglement généralisé va s’ajouter l’irrationnel et la croyance. Dans les faits, rien n’accuse réellement Dreyfus. Sauf l’instrumentalisation du bordereau qu’en fait l’Etat-major ! Après Charlie, toutes les excuses sont également bonnes à trouver pour passer à autre chose et mettre la poussière sous le tapis. Tel le bordereau de Dreyfus que les graphologues de l’époque retourneront dans tous les sens pour établir la culpabilité du capitaine, la laïcité sera détournée de son sens initial pour s’adapter aux « temps modernes ».

La peur d’un péril plus grave

Pour les Français de la fin du XIXe siècle, le soutien de la condamnation de Dreyfus vaut surtout soutien de l’état-major dans un contexte d’affrontement avec les Prusses. Vaincue en 1870, la France serre les rangs et ne peut pas se permettre de discuter la décision d’un tribunal militaire. Devenir dreyfusard, c’est bien sûr prendre la défense d’un juif, mais c’est aussi se retrouver dans une minorité qui s’oppose à l’armée et à l’ordre alors qu’on craint un prochain conflit.

Dans notre France actuelle, si les attentats ont profondément choqué l’opinion, critiquer l’islamisation reviendrait à critiquer le dogme de notre temps : le multiculturalisme aux mille apports bénéfiques. Alors même que l’Europe assiste à l’augmentation significative de nouvelles migrations, être « islamophobe » est perçu dans notre contexte comme un péril mettant en danger la paix civile. Les « islamophobes » pensent eux qu’il faudrait au contraire crever l’abcès d’urgence ! Que ce soit dans la France post-Charlie ou lors de l’affaire Dreyfus, la société française s’acharne dans l’erreur. Dreyfus aura deux procès et deux condamnations. Lors du deuxième procès, la peine est amoindrie mais il est quand même déclaré coupable. Pas parce que les jurés le pensent coupable (il ne l’est pas !), mais par peur de la guerre civile.

Une religion minoritaire au centre du conflit

A la fin du XIXe siècle, la France à majorité catholique est sous le régime de la IIIe République depuis un quart de siècle. On y dénombre moins de 100000 juifs.

La France post-2015 compte entre 5 et 10 millions de musulmans. La pratique de ce culte vient se frotter à la laïcité « à la française ». Depuis les années 1980, un antiracisme, qui part de louables intentions, est sacralisé et frappe les consciences et la morale. Dans ce contexte, on va jusqu’à assimiler la critique de la religion à du racisme.

En 1899, le second procès condamne de nouveau Dreyfus, alors que le vrai coupable (Esterhazy) a été innocenté un an plus tôt. L’affaire Dreyfus prend des proportions énormes. Zola publie « J’accuse » dans le journal l’Aurore et tout le pays s’empare férocement du débat.

Un clivage qui transcende les familles politiques

Avez-vous essayé de parler des attentats ou de l’islam lors d’un dîner dernièrement ? Un débat apaisé est le plus souvent impossible, même avec les amis de la meilleure composition. Les invectives vont assurément fuser au bout de 5 minutes ! Autant éviter le sujet pour qui veut ne pas se voir attribuer au choix les qualificatifs de « facho » ou d’ « islamo-gauchiste », selon que l’islam vous inspire crainte ou pas.

La presse de la fin du XIXe siècle est variée : c’est une presse d’opinion, parfois injurieuse. L’époque n’est pas touchée par le politiquement correct. Que ce soit pendant l’affaire Dreyfus ou après Charlie, les intellectuels dreyfusards ou « islamophobes » sont conspués. Les dreyfudards vont en prendre plein la tête de la part de la presse de droite. Lors de son procès, Zola sera traité d’émigré puis contraint à l’exil. Dans la France d’après les attendants, des humoristes-moralisateurs sur France Inter ou chez Yann Barthès vont conspuer ceux qu’ils estiment « islamophobes » : Alain Finkielkraut, Michel Houellebecq ou Eric Zemmour, par exemple. L’ancienne secrétaire d’Etat Jeannette Bougrab s’exile en Scandinavie.

Que ce soit pendant l’affaire Dreyfus ou dans notre période actuelle, les élites politiques se trompent, et pendant plusieurs années. Une fois qu’elles en prennent conscience, les politiques vont invoquer la raison supérieure des intérêts de la nation dans le cas de Dreyfus pour persister dans l’erreur. Aujourd’hui, c’est la raison supérieure des intérêts du « vivre-ensemble » : Hollande se confie en privé auprès des journalistes du Monde sur l’islam : « Qu’il y ait un problème avec l’islam, c’est vrai. Nul n’en doute ». Ce n’est pas une raison d’Etat, mais bien le sacro-saint vivre-ensemble qui explique l’omerta.

Comparaison n’est pas raison mais…

On note en tout cas une inversion des camps entre les deux périodes. Car oui, le « camp du Bien » de l’époque, ce sont les antidreyfusards ! Les conservateurs de l’époque et les nationalistes sont plutôt du côté de ceux auxquels l’Histoire aura donné tort. Les radicaux eux, étaient plutôt dreyfusards, et remporteront les élections une fois l’armée désavouée. La France post-Charlie décide elle d’élire en 2017 un Président qui n’a pas vraiment d’avis sur la question… S’il est impossible de savoir quelle figure intellectuelle « islamophobe » pourrait avoir un poids similaire à Zola, on peut en revanche déjà penser que le « J’accuse » post-2015 ne serait peut-être pas publié dans les colonnes de Libération ou du Monde !

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Rédacteur en chef du site Causeur.fr

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