Face au danger terroriste, quelles mesures dérogatoires au droit commun une démocratie européenne peut-elle prendre pour se protéger ? Faut-il attendre la catastrophe ou peut-on essayer de s’en prémunir ? Est-il possible de placer en détention administrative des individus considérés comme dangereux par les services de renseignements ?
Selon l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme, « En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige.» Selon l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, « dans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la Nation et est proclamé par un acte officiel, les États parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l’exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte (…). »
Le terrorisme peut-il constituer un danger public exceptionnel justifiant que l’État déroge temporairement à l’application de certains droits de l’homme garantis?
Dans le premier arrêt qu’elle a rendu, dans une affaire de terrorisme, le 1er juillet 1961 la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que de telles mesures dérogatoires pouvaient être prises dans “une situation de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui affecte l’ensemble de la population et constitue une menace pour la vie organisée de la communauté composant l’État”(CEDH, 1er juill. 1961, Lawless c/ Irlande)
M. Lawless, dont le « comportement était de nature à le faire très sérieusement soupçonner d’être impliqué dans les activités de l’IRA », alléguait une violation de la Convention à son égard, par les autorités de la République d’Irlande du fait de sa détention sans jugement du 13 juillet au 11 décembre 1957 dans un camp de détention militaire.
La Cour a répondu que « l’arrestation et la détention administrative d’individus soupçonnés de participer à des activités terroristes constituaient une mesure strictement limitée aux exigences de la situation dès lors que le fonctionnement des juridictions ordinaires ne suffisait pas à rétablir la paix et l’ordre public ». Et les critères posés étaient les suivants: il fallait un danger « réel et imminent », « exceptionnel », « menaçant la continuité de la vie organisée de la communauté » et « affectant la population de l’Etat concerné ».
Face au terrorisme islamiste, sommes-nous dans une telle situation? Si on estime que nous ne le sommes pas, alors il est inutile d’envisager de placer en détention administrative les islamistes radicaux suspectés de pouvoir passer à l’acte par nos services de renseignement.
Mais si l’on estime, comme l’affirment le Président de la République et le Premier ministre, que « nous sommes en guerre contre l’islamisme radical », que « nous devons nous attendre à d’autres assauts terroristes », que « nous devons nous habituer à vivre dans un contexte terroriste » alors la détention administrative de ces islamistes dangereux doit au moins être débattue. Ou nous sommes en guerre ou nous ne le sommes pas.
En tant que Juif, je connais les dangers de la détention administrative; elle a été infligée par la IIIème République à tous les Juifs ex-ressortissants du IIIème Reich en 1939 et le lendemain du statut des Juifs, le 4 octobre 1940, Pétain l’a déclaré pour tous les étrangers de « race juive », y compris les enfants: ce sont alors des dizaines de milliers de Juifs qui furent internés dans les camps de la zone libre avant d’être livrés à leurs bourreaux.
Mais nous ne sommes pas dans un tel contexte. Il s’agit de placer en détention seulement quelques centaines de personnes dont tous les services de renseignement soutiennent qu’il est impossible d’assurer la surveillance. Une commission composée de magistrats et de parlementaires pourrait avoir accès aux documents des services demandant une telle détention et disposer d’un droit de veto.
Tous les terroristes qui ont agi étaient fichés. Tous. Daesh ne parvient donc pas, pour l’instant, à recruter, au-delà des quelques centaines d’individus radicalisés et signalés. C’est un élément positif: il existe une cinquième colonne mais elle est encore réduite et peut être contenue à condition de prendre des mesures fortes et efficaces.
Le 23 novembre 2011, quelques mois avant les attentats de Merah contre les soldats français et les enfants juifs de l’école Ozar Hathorah, j’écrivais dans les colonnes du Monde : « Une vague fondamentaliste traverse le monde musulman, cette vague touche aussi la France ». J’avais été alors critiqué à gauche et peu soutenu à droite.
En réitérant ma proposition faite le 11 janvier au soir de placer en détention administrative les islamistes radicaux fichés comme dangereux, comme De Gaulle l’avait fait pour certains membres de l’OAS et du FLN, je n’échapperai pas non plus aux critiques. Pourtant, cette solution est raisonnable, une base légale existe et elle serait une option efficace pour endiguer l’islamisme radical qui cherche à submerger notre mode de vie et à détruire nos droits et libertés.
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00716914_000008.
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