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Zones de non-France


Zones de non-France
"On ne l’a jamais dit, mais une partie de la fermeture de PSA était liée aussi à l’omniprésence religieuse et au fait qu’il y avait des exigences religieuses au travail, d’arrêt de travail, de baisse de productivité, et dans le choix de PSA de fermer Aulnay, il y a eu aussi cet aspect-là.", a déclaré le député-maire de Drancy, Jean-Christophe Lagarde. SIPA. AP21241742_000001
"On ne l’a jamais dit, mais une partie de la fermeture de PSA était liée aussi à l’omniprésence religieuse et au fait qu’il y avait des exigences religieuses au travail, d’arrêt de travail, de baisse de productivité, et dans le choix de PSA de fermer Aulnay, il y a eu aussi cet aspect-là.", a déclaré, le 3 janvier 2016, le député-maire de Drancy, Jean-Christophe Lagarde. SIPA. AP21241742_000001

Ça se passe près de chez vous. Pendant que nous proclamons notre détermination à ne pas céder, notre intention de faire respecter, notre volonté d’interdire, un islam rigoriste, littéraliste et sécessionniste poursuit son entreprise de conquête et de contrôle des esprits musulmans en France. La guerre qu’il mène n’est pas faite de grandes offensives ni même de vacarme médiatique, quoi que celui-ci puisse être utile, le plus souvent, c’est à bas bruit qu’il avance ses pions. Il grignote des territoires où il devient majoritaire, pratique l’entrisme là où il est déjà fort – RATP, stades, prisons, pour ne prendre que les exemples sur lesquels nous avons enquêté –, saisit les tribunaux pour intimider des intellectuels comme Georges Bensoussan et Pascal Bruckner (voir pages 66-67). Ainsi fait-il tomber, jour après jour, des dizaines de ces petites citadelles mentales qui sont les avant-postes de notre monde commun. Les islamistes ne s’attaquent pas frontalement au hardware, aux grands principes, qu’ils s’ingénient plutôt à détourner à leur profit (ni – pour l’instant ? – aux institutions régaliennes de l’État), mais à ces mille riens qui font notre humeur collective, notre façon de vivre ensemble et d’habiter l’espace public. Ici ce sont des femmes qui disparaissent des rues et des terrasses, là des enfants juifs exfiltrés de l’école publique (pour leur sécurité, bien sûr), ailleurs des collégiennes condamnées au jogging informe, des lycéens obligés d’observer le ramadan ou de faire semblant, des populations entières contraintes de se soumettre à la loi des Frères, au nom de la solidarité entre musulmans supposée prévaloir sur toute autre allégeance. Sans oublier les caricatures qu’on n’ose plus publier, les vérités qu’on n’ose plus dire, les libertés qu’on n’ose plus exercer.

C’est bien à un projet politique, qui serait volontiers totalitaire s’il en avait le pouvoir, que nous sommes confrontés. Et il n’aurait jamais pu emporter tant de victoires sans une incroyable accumulation de bons sentiments dévoyés, de complaisances intéressées, de lâchetés inavouées, d’aveuglement volontaire et d’une énorme dose d’imbécillité à visée électoraliste. Pour résumer à grands traits, la gauche, se trouvant fort dépourvue quand la bise individualiste et libérale fut venue, recycla les immigrés en damnés de la terre avec l’antiracisme en guise de lutte des classes. La droite ayant ouvert les vannes à l’immigration de masse, elle mit en œuvre tout ce qu’on pouvait imaginer pour empêcher les nouveaux arrivants de s’assimiler et même de s’intégrer. Elle exalta leurs différences et les invita à les brandir, dans l’espoir, sans doute, qu’elles allaient régénérer la France d’avant et ses crispations identitaires – évidemment, c’est le contraire qui arriva. La mise en musique de ces errements idéologiques fut réalisée par un clientélisme local qui assignait les descendants d’immigrés à leur culture d’origine puisque c’est cette assignation qui permettait d’obtenir leurs voix. Au passage, on appliqua cette heureuse politique des grands frères dans des entreprises comme la RATP où la passionnante enquête d’Olivier Prévôt (pages 60-63) montre comment les belles idées de la deuxième gauche ont contribué à transformer des arabes en musulmans et des musulmans en salafistes. En même temps, histoire, sans doute, de soutenir le recrutement futur, on serinait aux jeunes nés sur notre sol que nous étions coupables de tout et eux responsables de rien. On ne saura jamais à quel point ce discours victimaire a contribué à faire haïr la France par des Français – et heureusement parce qu’il faudrait juger ses auteurs pour haute trahison, non je blague, il ne leur sera fait aucun mal, surtout s’ils reconnaissent leurs erreurs, ou au moins, s’ils s’abstiennent de les propager.

Ça ne date pas d’hier

Dans les terres d’islam en France, de jeunes Français proclament donc sans honte, et avec le soutien bruyant d’intellectuels français, leur haine de la France ; au contraire, c’est l’aimer qui serait jugé incongru ou criminel par la famille, le clan, le quartier, la communauté. Ça ne date pas d’hier : Magyd Cherfi a raconté à Répliques, au micro d’Alain Finkielkraut et face à Malika Sorel, comment, enfant, il devait se cacher pour lire les grands auteurs français et, en somme, réprimer sa part de Gaulois. Les historiens auront un jour à déterminer si, dans le cours des décennies 1970 et 1980, on a perdu une occasion de créer un islam de France laïque, pluraliste et républicain – termes qui paraissent aujourd’hui des oxymores au regard de l’islam réel. Il est vrai qu’à l’époque à laquelle ont grandi Cherfi et votre servante on ne parlait pas de religion. Contrairement à ce qu’on croyait alors, peut-être n’est-il pas si simple de changer de généalogie – car cela suppose de changer d’anthropologie.

En tout cas, cela fait pas mal de temps qu’on ne peut plus dire qu’on ne savait pas. Que l’on n’ait pas compris, en 1984, que les premières hirondelles voilées de Creil annonçaient un printemps islamiste, c’est bien excusable, il est difficile d’écrire l’histoire quand on a le nez dedans, et il faut saluer la clairvoyance des huit mousquetaires qui appelèrent alors Lionel Jospin à empêcher le Munich de l’École républicaine – sans succès mais avec panache. Nous avons mis vingt ans à réagir et à voter la loi qui proscrit le voile à l’école. Mais le temps et le terrain perdus pendant ces vingt années ne nous ont pas instruits car nous en perdons encore et encore. Voilà bientôt quinze ans qu’on sait qu’il y a en France des territoires perdus pour la République, au point que la formule est passée dans le langage commun.[access capability= »lire_inedits »] Enfin, on sait si on veut savoir, mais tant de gens ne voulaient pas savoir. On les comprend. Découvrir que des enfants d’immigrés, érigés en victimes devant lesquelles nous devions tous faire repentance, étaient eux aussi (et même eux surtout) coupables d’antisémitisme, d’homophobie et de sexisme à bas front, imposait des révisions si déchirantes que beaucoup en furent tout simplement incapables et s’employèrent à disqualifier les messagers, en l’occurrence des professeurs travaillant dans ces quartiers d’où les derniers blancs s’en allaient, comme ils avaient quitté l’Afrique de Pierre Messmer trente ans plus tôt.[1. Les blancs s’en vont, est le titre désolé des mémoires de Pierre Messmer parus en 1998 chez Albin Michel.] Sauf que là, ils devaient fuir des territoires où nul ne pouvait contester la légitimité de leur présence. Les révélations de Bensoussan (alias Brenner) et de son équipe auraient dû faire scandale. Le scandale est qu’il n’y eut point de scandale.

Pendant des années, les idiots utiles et autres compagnons de route de l’islam politique ont donc répété sur tous les plateaux que le problème ne venait pas de l’antisémitisme mais de ceux qui le dénonçaient, pas du séparatisme musulman mais du racisme français, pas de l’islam mais de l’islamophobie. Et pendant qu’ils psalmodiaient les louanges du vivre-ensemble pour nous appeler à la soumission, un nombre croissant de quartiers passaient sous la férule d’une idéologie séparatiste érigeant une barrière entre purs et impurs, fidèles et kouffars, putes et soumises. Au soir de l’attentat contre Charlie Hebdo, en janvier 2015, il se trouvait encore d’éminents éditorialistes, à commencer par Edwy Plenel et Laurent Joffrin, pour accuser Alain Finkielkraut et absoudre Tariq Ramadan. Certes Ramadan n’appelle nullement à prendre les armes contre la France au contraire, même s’il lui arrive de condamner mais. Pour autant, nombre de Français l’ont compris bien avant leurs dirigeants : aussi douloureuses soient les pertes que nous inflige la violence djihadiste, ce n’est pas elle qui menace à long terme la cohésion et l’existence même de notre pays, c’est la sécession culturelle dans laquelle est engagée une partie de l’islam de France et d’Europe. Le problème n’est pas seulement l’arbre mais la forêt dans laquelle il a grandi. Ramadan, les Frères musulmans de l’UOIF, et plus encore leurs alliés de l’islamo-gauche, ont clairement encouragé cette sécession en lui fournissant des visages présentables, une panoplie idéologique de légitimation et d’innombrables relais médiatiques. En effet, si Plenel a été le théoricien affiché du parti de l’islam, c’est la troupe journaleuse qui, dans les chaînes tout-info, se chargeait de répandre la bonne parole et de dissuader les contrevenants. Ceux qui persistaient à voir ce qu’ils voyaient, notamment un antisémitisme arabo-musulman se teintant volontiers de négationnisme pour récupérer le pompon victimaire, ont donc été copieusement moqués ou insultés par des journalistes qui n’en finissaient pas, en revanche, de s’inquiéter de ce que les Français fussent inquiets. Fantasmes, esprits étroits, idées rances, je vous la fais courte, on connaît la chanson. Le réel ne passera pas, tel aura été le mantra de ces années-là.

Depuis, le réel a fait entendre une tout autre musique, à la fois macabre et martiale. Et peu à peu, comme si les voiles successifs que l’idéologie a dressés devant nos yeux tombaient un à un, la société française découvre l’étendue du désastre. Ce n’est pas, , quoi qu’ânonnent encore certains pour se rassurer, à une infime minorité mais une fraction notable des musulmans français qui n’habitent plus mentalement le même temps et le même espace que nous. Beaucoup d’autres musulmans sont les premiers surpris, soit qu’eux ou leurs parents aient rompu avec ce qui, dans leur bagage d’origine, s’opposait à leur plein accès à la culture française, soit qu’ils n’aient pas vu par peur d’avoir à dénoncer. En tout cas, l’effroi de certains responsables comme Tareq Oubrou, Kabtane et d’autres, qui ont pourtant constitué la première génération islamiste, n’est pas feint, devant le monstre qu’ils ont enfanté ou laissé prospérer – une jeunesse en colère née dans un pays qu’elle dit exécrer et qui divise le monde entre « eux » et « nous », le « eux » comprenant l’essentiel de ses compatriotes.

Pendant des années, les autres compagnons de route de l’islam politique ont répété que le problème ne venait pas du séparatisme musulman mais du racisme français, pas de l’islam mais de l’islamophobie.

Le fait nouveau c’est que, désormais, il est permis d’en parler. Même à la télévision publique – il faudra sans doute plus de temps et plus de morts pour que France Inter découvre la lune et cesse de se déchaîner contre le doigt. Mais au Monde et à Libé, on la voit presque un jour sur deux. De ce point de vue, la date du 9 décembre marque peut-être une rupture : ce jour-là, au cours du 20 heures, David Pujadas annonce la diffusion d’une « enquête qui dérange ». Attention, ils n’ont pas eu l’idée tout seuls, c’est la secrétaire d’État aux droits des femmes, Pascale Boistard, qui la leur a donnée en déclarant : « Il y a sur notre territoire des zones où les femmes ne sont pas acceptées. » Sans blague ? Suit un reportage dans un bar de Sevran peuplé uniquement d’hommes, dont l’un déclare à la caméra cachée : « Ici, c’est comme au bled ! »

Que ceux qui redoutent de voir leur monde familier changer trop vite se rassurent, il est resté quelques brailleurs et brailleuses pour nous expliquer que tout ça, c’était rien que de la stigmatisation et du populisme, et tenter de nous faire avaler, photo à l’appui, que Sevran était un paradis pour les femmes. Ainsi l’impayable islamo-féministe Clémentine Autain, à qui Paulina Dalmayer, de retour de Sevran, cloue le bec sans appel (pages 54-56), est-elle allée prendre un café dans ce temple de la galanterie. Ou encore l’amusant blogueur de Télérama rappelant qu’au xixe siècle nos rues étaient très largement masculines (mais pas les salons où se fabriquait l’opinion, nigaud) et qu’il n’y a pas de femmes dans la liste des 100 patrons les plus performants (si ça t’empêche de vivre, moi pas et toutes les femmes qui se battent pour exister dans nos banlieues non plus). Certes, la domination des femmes n’est pas une exclusivité musulmane, mais chez nous, elle suscite la réprobation sociale. Chez nous, c’est-à-dire partout, sauf dans les enclaves où, dans les cœurs et les esprits, la charia prévaut sur la loi de la République.

Si les grands médias sont les derniers à céder aux sirènes du réel et à découvrir ce que la France des bistrots sait depuis longtemps, en deux ans, beaucoup de digues ont sauté, en particulier à l’université. La sociologie qui s’employait jusque-là, par le truchement de quelques voix plus médiatiques que scientifiques, à escamoter le réel, s’est emparée des questions qui fâchent, et en deux ans on a publié plus de témoignages, d’enquêtes, de reportages, d’études, de sondages sur l’islam radical et ses diverses manifestations, que durant les treize années précédentes. Après les attentats du 13 novembre, on s’est avisé, au CNRS, que les sciences sociales n’étaient d’aucune utilité pour comprendre ce qui se passait et on a lancé un vaste appel à projets sur la radicalisation. Parmi les projets retenus figure une étude, menée par une équipe CNRS/Cevipof, sur la base de 6 800 questionnaires approfondis. Si les responsables de l’étude, conscients de marcher sur un baril de poudre, tentent d’éviter la moindre fuite, avec succès jusque-là, ils ne semblent pas particulièrement heureux de leurs résultats. De même, s’il a été impossible de lire le nouvel ouvrage coordonné par Georges Bensoussan qui paraîtra ce mois-ci et dont on découvrira des bonnes feuilles dans le Figaro Magazine, son titre, La France soumise, annonce la couleur. En vérité, le tableau que brossent des sources diverses, de moins en moins conjectural, est de plus en plus effrayant. Car il suscite en même temps le sentiment de l’urgence et celui de l’impuissance.

De fait, après avoir modestement contribué à interpréter le monde tel qu’il est, il est temps de se demander comment le changer. Or plus on sait qu’il faut agir, moins on sait comment agir. Aussi complexes soient les enjeux sécuritaires, ils le sont infiniment moins que les fractures culturelles et idéologiques. On peut traquer des criminels, couper leurs sources d’approvisionnement et de financement, les juger, les condamner ou les abattre si on les prend en flagrant délit. On peut combattre les discours de haine, en tout cas quand ils sont tenus publiquement, même si c’est plus compliqué et en grande partie vain. En revanche, on ne sait pas comment lutter contre les idées fausses qui s’emparent de certains esprits. Ou plutôt on sait trop que c’est une guerre de trente ans qu’il faudrait mener sans relâche sur tous les fronts où se fabrique l’esprit public : école, université, médias, justice. Tout en s’employant par ailleurs à réduire le plus possible des flux migratoires que plus personne n’est aujourd’hui en état d’accueillir, ni les issus-de ni les de-souche.

L’ennui, c’est que dans notre démocratie court-termiste, il faudrait être un saint pour lancer des batailles dont on sait à l’avance qu’on ne récoltera pas les fruits. Voilà pourquoi on ne saurait tout attendre des gouvernants ni de la loi. « Nous sommes le pays de Voltaire, nous ne nous laisserons pas faire », écrit Brice Couturier (pages 66-67). Nous sommes aussi le pays d’Élisabeth Badinter, de Finkielkraut et de beaucoup d’autres, plus ou moins célèbres, à qui ce serait faire injure que de baisser les bras. Alors, chiche ! En fin de compte, c’est à la société, donc à vous et moi, de définir les lignes rouges sur lesquelles nous ne céderons pas d’un pouce – comme la liberté des femmes – et le prix que nous sommes prêts à payer pour les défendre. On me dira que les femmes de la Brigade des mères qui bataillent pour leur droit d’occuper l’espace public n’ont pas tant besoin de nos idées que de notre présence physique. Peut-être. Mais ce sont les idées qui mènent le monde, c’est dans les têtes, les cœurs et les médias qu’on mènera la reconquête des territoires perdus. À la dure, sans aucun doute, pas par la force. Nous ne gagnerons pas cette guerre si la majorité silencieuse des musulmans ne choisit pas, avec force, la loi de la République contre celle des « Frères » et la majorité silencieuse le restera tant qu’elle aura plus peur du jugement des siens que besoin de l’approbation de ses concitoyens. En attendant, si on laisse simplement les choses aller sur leur erre, dans une trentaine d’années, on ne vous parlera plus des territoires perdus mais de ceux où on peut encore porter une minijupe sans danger.[/access]

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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