Quatre fonctionnaires américains, dont l’ambassadeur des Etats-Unis en Libye, Christopher Stevens, ont été tués le 11 septembre au soir à Benghazi, à la suite de l’attaque au lance-roquettes contre le consulat américain. Cet attentat s’inscrit dans le cadre de la vague de manifestations spontanées qui a touché de nombreux pays arabes ces derniers jours : Egypte, Libye, Tunisie, Yémen. Au cours de ces manifestions, les bâtiments diplomatiques des Etats-Unis ont été pris d’assaut par des foules d’islamistes en colère, à l’exception notable de l’ambassade américaine à Tunis, où tout s’est passé dans le calme. D’autres manifestations en Iran, en Libye et ailleurs dans le monde musulman sont prévues ce vendredi, « jour de prière », selon la formule consacrée. Quel est donc l’objet de ce vaste courroux ? Faut-il que l’enjeu soit fort, pour provoquer tant de dégâts… Personne de bonne foi ne pourra croire que la politique étrangère d’Obama soit en cause, puisque le président américain se montre, depuis plusieurs années et son incroyable discours du Caire de 2008 – qui vantait Al-Andalus et son système d’apartheid entre musulmans, Juifs et chrétiens, comme un modèle de tolérance pour le monde-, impeccable dans son soutien aux mouvements islamistes qui prennent progressivement le pouvoir dans la région. On l’a vu en Egypte et en Libye, on le voit en Syrie, et on le verra peut-être demain au Liban, les chrétiens n’y étant peut-être plus assez nombreux pour entraver l’émergence à terme d’un régime islamique proche de la restauration générale du Califat naguère rêvée par Ben Laden[1. Je suis tenté d’écrire : Ben Laden en a rêvé, Obama l’a fait, mais ce serait une exagération passible des pires excommunications benjellouniennes.].
Ce n’est donc pas la politique américaine qui peut décemment être considérée comme la cause de l’irritation des peuples arabes. De fait, la colère des foules musulmanes a une tout autre cause, autrement importante sans doute : une vidéo en ligne. Cette obscure vidéo postée sur Internet attaquant l’islam et son prophète, est intitulée Innocence of muslims. Strictement personne, ici en Occident, n’en avait entendu parler avant ces jours derniers. On compte donc au moins quatre morts et de nombreux blessés en représailles du postage sur Internet de la vidéo d’un film inconnu réalisé par des inconnus. On n’ose imaginer la réaction de la « rue arabe » le jour où les Monty Python se reformeront enfin pour s’essayer à une nouvelle Vie de Brian, version mahométane. On peut rêver. Il paraît d’ailleurs qu’Eric Idle a récemment réalisé une adaptation théâtrale de La Vie de Brian intitulée Not the Messiah. Mais voici qu’on me signale que malgré ce titre prometteur, il n’y est pas du tout question de l’islam. Sans blague. La prochaine fois peut-être. On compte sur toi Eric pour nous faire bientôt rire avec le Coran et le prophète, comme tu nous as vivement amusés autrefois avec le Christ et les Evangiles.
Innocence of muslims, pour sa part, est une ineptie complète qui retrace de façon romancée, sarcastique et crétine la vie de Mahomet. Disposant de moyens limités – des acteurs, grossièrement incrustés dans des images d’un désert quelconque, portant vaille que vaille le costume arabe version Amérique des fifties (c’est-à-dire tout droit tiré des surplus de Ben-Hur) y vocifèrent un texte imbécile et sans grand rapport, on ose le souhaiter à défaut de le croire tout à fait, avec la lettre ou l’esprit du Coran – ce film modeste n’a pas été financé par des fonds publics et n’a été diffusé qu’une seule fois au cinéma, devant une salle quasi-vide à Hollywood. Il n’a trouvé aucun écho dans le public américain et n’a suscité aucun commentaire positif de la part de qui que ce soit de notable aux Etats-Unis. Cette œuvre avant tout grotesque, dont on saisit mal la dimension artistique est en anglais (Mahomet et ses épouses y ont un magnifique accent new-yorkais), déshonore presque aussi sûrement l’islamophobie qu’Anders Breivik l’a fait selon Elisabeth Levy.
Innocence of Muslims a néanmoins commencé à faire parler de lui dans les pays musulmans, et singulièrement en Egypte, grâce à la diffusion d’une version sous-titrée en arabe dialectal sur Internet. L’ambassade des Etats-Unis au Caire a alors décidé de publier sur son site, le 11 septembre 2012, onzième anniversaire des attentats islamistes qui ont frappé le World Trade center à New York et le Pentagone à Washington, une condamnation de ceux qui aux Etats-Unis cherchent à heurter les « sentiments religieux » des musulmans. Ce communiqué, jugé par beaucoup aux Etats-Unis indécent – en ce qu’il paraissait comprendre et même justifier l’animosité des islamistes à l’encontre des Américains -, a été précipitamment retiré après la mort de l’ambassadeur Stevens.
L’indifférence complète du public américain à l’égard de ce navet, comme la condamnation officielle, un 11 septembre, par des diplomates américains, de l’usage par leurs propres concitoyens de la sacro-sainte liberté d’expression garantie par la constitution, serait plutôt le signe d’une remarquable absence d’hostilité de principe du peuple et du gouvernement américain à l’égard des musulmans. On y décèle plutôt une volonté d’apaisement et de prise en compte de la sensibilité musulmane assez étonnante de la part d’une puissance qui reste très largement dominante sur le plan militaire. A bien réfléchir, c’est peut-être cette bienveillante indifférence américaine, quoiqu’elle soit sans doute mâtinée d’une crainte mal refoulée de la propagation de l’idéologie islamiste, qui agace au plus haut point les islamistes parce qu’elle paraît contredire leurs fantasmes lorsqu’ils se voient en épouvantails terrifiant un monde occidental acharné de son côté à détruire l’islam. Serait-ce cela qui les amènent à faire les poubelles d’Internet ? S’agit-il d’y dénicher, avec l’amère satisfaction du jaloux pathologique qui découvre en lui faisant les poches la preuve de la trahison de l’infidèle (quitte à la fabriquer), le moindre déchet numérique susceptible de justifier et de nourrir une haine inextinguible? Si c’est le cas, toutes les politiques d’apaisement, tous les discours du Caire du monde, sont irrémédiablement condamnés à l’échec.
*Photo : « Innocence of muslims »
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