Il paraît que c’est faux. Non, on n’essaie pas, autant que possible, de ne pas dire que la menace terroriste avec laquelle nous devons désormais vivre est de nature islamiste. Ceux qui prétendent que l’on tend à taire cet aspect du problème sont d’extrême droite. Mais comprenez l’extrême droite très large : celle qui inclut Bernard de La Villardière, Pascal Bruckner et Brice Couturier. Je me réjouis d’être en si bonne compagnie.
Je voudrais revenir ici sur ce qui s’est passé, l’autre soir, sur le plateau de BFMTV :
Le journaliste qui bugue
S’il était à ce point évident qu’Alain Marsaud venait de dire une énormité, pourquoi le journaliste qui lui a posé la question ne lui rétorque-t-il pas d’emblée que son accusation est infondée ? Il se contente de répéter bêtement sa question, comme font les agents virtuels intégrés aux sites de vente en ligne quand on les insulte ou qu’ils n’ont pas compris notre question. Mais d’ailleurs, ce journaliste dont j’ai oublié le nom et qui a tellement une allure de journaliste, est-il réel ou bien est-il seulement, comme je le pense, une créature numérique ? Il est si peu réel que, lorsqu’Alain Marsaud insiste à nouveau sur la nécessité de « nommer l’ennemi », c’est la dame assise à côté du robot qui prend la parole, court-circuitant (si l’on ose dire) son collègue qui risquait de trahir sa véritable nature en répétant sa question une troisième fois à l’identique, d’une manière toujours aussi impassible. La preuve est faite qu’il est ce qu’on appelle un « bot » : un « programme informatique autonome supposé intelligent, doué de personnalité et qui, habituellement, mais pas toujours, rend un service » (Andrew Leonard, The origins of new species). Dans cette vidéo, il ne rend aucun service. Il bugue.
On ne l’a pas dit mais « quand même » on l’a dit
Donc la journaliste répond à Alain Marsaud. Mais elle ne dit pas : vous avez tort, nous avons rappelé qu’il s’agissait d’un attentat perpétré au nom de l’islamisme. Elle dit : « on a expliqué quand même que c’était l’organisation Etat Islamique qui avait revendiqué l’attentat ». Elle ne conteste pas le bienfondé de l’accusation portée par Alain Marsaud. Du moins, si elle croit exprimer une objection solide, elle se trompe. Elle ne fait qu’apporter une nuance au propos de son interlocuteur. « Quand même » est un modalisateur d’opposition à valeur concessive : il introduit dans la phrase une reconnaissance, même minimale, de la validité du discours adverse. La journaliste exprime donc quelque chose que l’on pourrait paraphraser ainsi : « certes, nous n’avons pas prononcé le mot islamiste mais nous avons dit que l’Etat Islamique a revendiqué cet attentat ».
En tout état de cause, aucun des deux journalistes qui animent l’émission ne considère que le reproche adressé par Alain Marsaud aux médias est infondé. Et cette vidéo est intéressante parce qu’elle donne à voir la différence entre, d’un côté, les journalistes pas compliqués, pas mauvais bougres, qui vivent dans le royaume de l’évidence sans s’interroger sur ce qu’ils disent ou ne disent pas et de l’autre, le journaliste idéologue hargneux qui se sent profondément investi d’une mission de défense du bien au mépris de la bonne foi et, comme il va l’avouer bien innocemment lui-même, de la vérité.
La tirade d’Anthony Bellanger
De fait, c’est de l’autre invité présent sur le plateau que va venir la contre-attaque, avec cette entrée en matière : « vous dites absolument n’importe quoi ». Alors que l’attitude des autres journalistes ne consistait pas en un rejet radical du propos d’Alain Marsaud, voilà qu’Anthony Bellanger, également journaliste de son état, trouve qu’il dit « absolument n’importe quoi ». Il faut écouter la suite : c’est la grande tirade du journaliste courroucé. C’est beau. Et puis, c’est amusant : 1. « tout le monde sait que ce sont des attentats islamistes », 2. « les journalistes ne sont pas là pour dire ce qu’ils pensent ou ce qu’ils veulent mais pour dire les choses telles qu’elles sont ». Donc tout monde sait que c’est un attentat islamiste mais les journalistes, qui disent les choses telles qu’elles sont, ne sont pas là pour dire que c’est un attentat islamiste. Ok.
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Notez qu’il ajoute : « il y a suffisamment de victimes pour ne pas dire n’importe quoi ». Le nombre de victimes a donc un impact sur le choix de dire ou de ne pas dire que l’attentat est islamiste quand, selon ce monsieur lui-même, tout le monde sait que c’est le cas. Là, il commence vraiment à me plaire. Mais le mieux vient après :
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