Depuis hier midi, c’est officiel : le lauréat du Prix Goncourt 2015 s’appelle Mathias Enard. Son roman Boussole (Actes Sud) a en effet été préféré aux derniers opus de Boualem Sansal et Hédi Kaddour, qui se sont vus co-décerner le Grand prix de l’Académie française en guise de lot de consolation.
N’ayant pas lu Boussole, je ne me prononcerai pas sur la qualité de ce livre dont l’auteur est un authentique écrivain qui m’avait enthousiasmé à la sortie de son beau palimpseste Zone il y a quelques années. Ce qui m’a piqué au vif, c’est plutôt la réaction du magazine Transfuge à l’annonce de Drouant. Intitulé « Sacré Goncourt ! La meilleure réponse aux réacs », ce communiqué aussi rigolo qu’un essai de Bégaudeau ose carrément l’impertinence : Enard « qui a passé plusieurs années en Syrie, qui a traduit un certain nombre d’auteurs arabes, lui qui nous dit que la culture musulmane a engendré des mondes est certainement un reflet fort de la littérature française. La meilleure réponse que l’on pourrait donner aux Houellebecq, Zemmour, Onfray, Finkielkraut qui fantasment la menace musulmane, la « déculturation » de notre identité nationale : Enard, avec ce livre érudit, nous enseigne autre chose, nous apprend à lire, écouter l’autre. » Bref, on respire, oubliés les pestilences de la France rance, « les vendeurs d’apocalypse vont se retrouver à la rue » grâce à ce prof d’arabe et de persan surdoué.
Lire et écouter l’autre, en voilà une idée originale. Pour suivre cette directive humaniste, je me suis saisi du dernier numéro de Transfuge, le magazine qui ne flirte jamais avec les idées mauvaises. Et là, que vois-je ? Le grand poète syro-libanais Adonis lâche la purée en couv’ : « Dans l’islam, la femme n’est qu’un sexe ». Il y est donc question d’islam, pas d’islamisme ou d’extrémisme, mais bien de l’essence d’une religion que cet intellectuel arabe exilé à Paris fustige depuis des décennies[1. Personnellement, je me garderai bien de prendre parti sur le fond de l’affaire. J’ai certes toujours pensé que l’islam avec un grand I n’existait pas, mais qu’on avait le droit de critiquer toute religion sans mériter de noms d’oiseaux. Contrairement aux éminents islamologues qui peuplent les couloirs de Transfuge, je n’ai vécu que dix-neuf ans en pays musulman et me suis arrêté aux rudiments du droit islamique.]
On admirera le pluralisme de Transfuge, qui publie un « islamophobe » patenté le lundi puis déboulonne les « réacs » anti-islam le mardi. Comme votre magazine préféré, cette publication djeune et branchée semble prendre pour devise « surtout si vous n’êtes pas d’accord ». Souples et polyphoniques, les rédacteurs de Transfuge pourraient se voir comparés à ceux de Causeur. Ils seraient pas un peu « réacs », les bougres ?
Annonce du dernier Transfuge : à droite, un lecteur courroucé dénonce la stigmatisation et l’amalgame sous une forme certes un peu rude mais avec une richesse de langue digne des meilleurs élèves d’Entre les murs.
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