Anne Hidalgo avait hérité en 2014 du dossier très politique de l’Institut des cultures d’islam (ICI) du XVIIIe arrondissement de Paris, situé rue Stephenson dans le quartier de la Goutte d’or, là où la polémique sur les prières de rue avait été la plus forte. C’était en 2010. Tout sauf un cadeau, ce dossier. On s’en aperçoit une fois encore aujourd’hui, avec le jugement rendu le 26 octobre par la cour administrative d’appel de Paris, décision dont Causeur a eu connaissance. Ce jugement en forme de rappel aux règles de la laïcité est embarrassant pour la ville de Paris. Concrètement, il annule la délibération des 22 et 23 avril 2013 du Conseil de ladite ville, ainsi que la décision subséquente du maire de l’époque, Bertrand Delanoë, de conclure un bail emphytéotique avec la Société des habous et des lieux saints de l’islam, une association régie par la Grande Mosquée de Paris.
Conclu contre paiement de 2,2 millions d’euros à la Ville et prévoyant le versement annuel à celle-ci d’un loyer symbolique d’un euro, ce bail d’une durée de 99 ans accorde à la Grande Mosquée de Paris (GMP) l’usufruit du premier étage de l’ICI, un « volume » comprenant une salle de prière de 400 m2, d’une capacité de 300 fidèles. Problème, le bénéficiaire du bail ne remplit pas les conditions lui permettant d’acquérir un tel bien, constate la juridiction d’appel. En effet, dans le cadre d’un contrat de bail emphytéotique engageant la puissance publique, seule une association ayant « exclusivement pour objet l’exercice d’un culte » peut faire l’acquisition d’un lieu réservé à la pratique d’une religion.
Or, note la cour, les activités de la Société des habous de la GMP, ne sont pas seulement cultuelles, mais aussi culturelles (et par ailleurs commerciales). La Société des habous est une association de loi 1901 qui n’aurait pas dû pouvoir se porter acquéreuse de la salle de prière de l’Institut des cultures d’islam. Seule une association purement cultuelle, relevant de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, aurait pu y prétendre. Précisons que la ville de Paris, qui n’a pas le droit de financer les cultes, laïcité oblige, était tenue de se séparer de la partie « salle de prière » dudit institut, dont elle est propriétaire et qu’elle a fait construire et payé 13,5 millions d’euros.
Tout cela est bien technique et le cas juridique en présence peut sembler relativement bénin. Le fond de l’affaire l’est, on s’en doute, beaucoup moins. À l’origine de ce jugement défavorable à la mairie de Paris, il y a une plainte. Et derrière cette plainte se trouve un homme, pour qui non seulement la cession de la salle de prière à la GMP, mais l’ICI en tant que tel, un bâtiment comprenant sur cinq niveaux un hammam, des espaces d’exposition et d’enseignement, des bureaux et donc un lieu de prière, sont contraires à l’esprit de la laïcité. «L’Institut des cultures d’islam est en réalité une mosquée déguisée, les salles d’exposition et le hammam sont un faux-nez culturel», affirme Guy Hanon, 74 ans, médecin à la retraite, domicilié à Paris.
C’est en qualité de « contribuable » parisien qu’il a poursuivi la ville de Paris, et c’est à ce titre que la justice administrative a jugé son action « recevable ». Débouté en première instance – « nous n’avions pas fourni toutes les pièces nécessaires à la cour », explique-t-il, il gagne en appel. Et l’homme compte aller « jusqu’au bout » : « j’aimerais faire condamner Bertrand Delanoë au pénal, pour que quelqu’un rende des comptes, j’estime que l’ancien maire a trompé les Parisiens », avance-t-il. Guy Hanon se définit comme un « athée total ». « J’aime beaucoup les églises et les mosquées, mais je suis contre l’ingérence des religions dans la vie publique et intime des individus, précise-t-il. Si le catholicisme s’est montré cruel par le passé, je considère que c’est l’islam, aujourd’hui, qui est dangereux en raison de son système de valeurs qui rejette ceux qui ne sont pas musulmans. »
Lorsqu’en avril 2013, le Conseil de Paris a été saisi de la question du bail à conclure avec la Grande Mosquée de Paris, Guy Hanon espérait un levée de boucliers des « laïcs ». « Mais non, il n’y eut rien, sinon les voix d’Alexis Corbière et de Danielle Simonnet, deux élus du Parti de gauche, et, chez les socialistes, celle de Philippe Guglielmi, premier secrétaire de la fédération PS de Seine-Saint-Denis (ancien grand-maître du Grand Orient de France, Ndlr) », regrette-t-il. Notre interlocuteur croit savoir que Guglielmi avait à l’époque écrit « une lettre incendiaire » au maire socialiste du XVIIIe arrondissement, Daniel Vaillant, quant à lui favorable au bail conclu par le maire de Paris Bertrand Delanoë avec le recteur de la GMP, l’inamovible et indispensable Dalil Boubakeur, alors président du Conseil français du culte musulman.
C’est en 2010 déjà, que Guy Hanon regarde d’un œil suspect le projet d’Institut des cultures d’islam, qui à ce moment-là n’est pas encore sorti de terre. « Ça me semblait monstrueux, j’étais indigné », se souvient-il. Plus tard, constatant que personne ne se décidait à agir frontalement contre la réalisation de l’ICI et la conclusion du fameux bail, il s’est dit : « Eh bien, j’irai seul. » Et c’est tout un dossier, épais d’une dizaine de centimètres, qu’il a constitué peu à peu. Il assure ne pas être un de ces procéduriers un peu zinzins qui peuplent les bancs des parties civiles. « Jamais auparavant je n’avais fait de procès à quiconque. Sauf peut-être, mais ce n’était pas un procès, quand je me suis opposé à la fermeture d’un service d’urgence psychiatrique que j’avais créé de A à Z et dont je m’occupais, dans une rue pas loin de chez moi. J’avais gagné », raconte-t-il.
Aidé d’un mystérieux « ami belge » dans sa plainte contre la mairie, Guy Hanon affirme n’être membre d’aucun parti politique. « Je ne vote ni Front national, ni n’appartiens au Bloc identitaire, mais, vigilant face à l’islam, j’ai déjà tourné des vidéos qui ont été reprises par Riposte laïque et d’autres sites encore. Ce n’est pas pour autant que je partage tous les propos critiques sur l’islam », tient-il préciser.
Dans sa jeunesse, il est parti opérer au Biafra durant la guerre civile qui ensanglanta le Nigeria à la fin des années 60. « J’étais un medical doctor », précise celui qui n’était pas encore psychiatre. Ce fut là son premier engagement humanitaire à l’étranger. En 1999, il s’est rendu au Kosovo, alors en guerre avec la Serbie. Il en a ramené un fanion, rouge comme le drapeau de ce pays, avec « Kosova » écrit dessus, accroché à un meuble de son salon. En janvier 2011, il s’envole pour la Tunisie, « un jour après la chute de Ben Ali », dit-il. Voilà un retraité très actif, qui semble aimer la prise de risques. À propos de l’affaire de l’Institut des cultures d’islam qui l’oppose à la Mairie, ses proches, inquiets, lui ont dit qu’il en prenait sans doute un peu trop, mais il n’en a cure et fonce.
Qui sait ? Son action en justice est peut-être à l’origine de l’annonce de l’abandon, par Anne Hidalgo, début septembre, de la « phase 2 » de l’ICI, qui devait prendre la forme d’un second centre culturel islamique, avec salle de prière également, rue Polonceau, à la place d’une ancienne mosquée, aujourd’hui détruite. La maire a estimé que le centre de la rue Stephenson était suffisant. « C’est une décision prise au regard des coûts (le centre prévu rue Polonceau devait coûter environ 15 millions d’euros, ndlr) et de considérations pragmatiques », indique à Causeur Matthieu Lamarre, responsable presse de la Ville.
Quant au bail alloué à la Grande Mosquée de Paris, Matthieu Lamarre prend acte de la décision de la cour administrative d’appel, estimant toutefois que celle-ci, dans ses attendus, « ne dit pas que la ville de Paris a agi en violation de la laïcité ». « Nous savions que la Grande Mosquée de Paris avait une partie culturelle, mais nous avions opté pour la partie cultuelle de ses activités », poursuit le porte-parole.
Condamnée à verser 1500 euros de frais de justice à Guy Hanon, la Mairie de Paris va-t-elle, par ailleurs, rompre le contrat de bail qui la lie à la GMP ? Son porte-parole a bien lu le jugement, qui, certes, annule la délibération et la décision de 2013, mais « n’annule pas le contrat de vente ». Visiblement confiant, il ajoute : « Il apparaît que dans un certain nombre de cas semblables, le tribunal a cassé la délibération sans casser le contrat. » La mairie pourrait toutefois être amenée à rembourser la GMP et à trouver un autre acquéreur pour la salle de prière. Mais qui, en France, au sein des instances musulmanes, a 2,2 millions d’euros sous la main ? Guy Hanon et son avocat, Me Stéphane Haddad, n’ont en tout cas pas l’intention d’en rester là et se renseignent sur la suite à donner à un jugement qui leur est apparemment favorable.
Des « intérêts supérieurs » – la sécurité publique, entre autres, pourraient toutefois commander qu’on en reste là, la mosquée de Paris représentant ici l’Algérie, et l’on sait, du moins le dit-on, la France et l’Algérie agir de concert contre le terrorisme islamiste. Ensuite, mais le sujet est le même, la police est d’avis que l’islam, dès lors qu’il est encadré de manière officielle, comme c’est le cas au sein de l’ICI de la rue Stephenson, laisse moins de place à une expression radicale. C’est tout l’enjeu des baux emphytéotiques appliqués à la construction de mosquées, un dispositif « popularisé » par Nicolas Sarkozy en 2007 pour faciliter l’édification de lieux de culte « officiels ».
Guy Hanon, en remportant, pour ainsi dire seul, son combat contre la mairie, a mis au jour des pratiques certainement cavalières, mais il a surtout créé un sacré pataquès.
*Photo : DR.
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