D’accord, ce sont des actes isolés commis par des « loups solitaires ». Soyons clairs : les fanatiques prêts à éventrer en pleine rue, au hachoir ou au couteau, en criant « Allah Akbar ! », un inconnu qui ne leur a rien fait, ne représentent ni l’islam ni l’immense majorité des musulmans pacifiques. Reste que le nombre de « loups solitaires » semble augmenter en flèche. On sait que le tapage médiatique encourage les vocations. Et puis, le rapport difficulté/efficacité est excellent : pas de matériel, pas de logistique et, en quelques minutes, on est pratiquement assuré de faire la « une » dans le monde entier – la formule « lumpen-terrorisme », pêchée dans Le Monde, est particulièrement bien trouvée.
Le mimétisme n’explique pas tout. L’homme qui, le 7 mai, a tenté de poignarder un gendarme à Roussillon, en poussant les mêmes cris, n’imitait personne. Peut-être son pèlerinage à La Mecque, dont il venait de rentrer, avait-il obscurci son entendement. Mais qu’est-il arrivé à cet autre qui, trois jours après l’assassinat d’un policier londonien, a violemment agressé un soldat à La Défense ?[access capability= »lire_inedits »] Entendait-il, lui aussi, venger ses « frères afghans » – qui ont tué 88 soldats français ? Et leurs copains, qui s’entre-montent le bourrichon en dégoisant leur haine des pays qui ont accueilli leurs parents et dont ils sont citoyens, qui voudront-ils venger demain ? Et ces jeunes Suédois qui ont incendié des écoles et des commissariats, que reprochent-ils à l’autre pays du progrès social ? Souffrent-ils des séquelles du colonialisme ?
À questions complexes, réponses simples : le parti de la compassion a une rhétorique bien rodée, dont la principale vertu est d’interdire la compréhension, et plus encore l’observation de la réalité. Un : les loups solitaires sont solitaires ; leurs actes sont donc totalement dépourvus de signification. Deux : tout cela n’a rien à voir avec l’islam et les musulmans ; le principal danger, c’est l’amalgame. Trois : la véritable violence, c’est la pauvreté et la discrimination.
Quatre : les coupables, ce sont les populations autochtones, arriérées et racistes. En somme, il ne se passe rien, mais c’est de notre faute. Certes, les individus prêts à passer à l’acte sont statistiquement insignifiants. Mais ils font figure de héros pour nombre de jeunes musulmans en voie d’« auto-radicalisation », terme nouvellement consacré par les médias. Grâce à Internet, nous explique-t-on, ces jeunes gens peuvent s’abreuver aux sources les plus délirantes. On conçoit que les enseignements de leurs prêcheurs favoris sur la meilleure façon de tuer un juif puissent enflammer des esprits faibles. Il est à craindre qu’ils puissent aisément rencontrer des compagnons de divagation dans leur environnement immédiat, c’est-à-dire dans les banlieues des capitales européennes. Nous n’avons pas besoin d’importer le fanatisme, nous le fabriquons très bien sur place.
Que ce fatras idéologique soit à mille lieues du véritable islam, je le crois volontiers, n’ayant aucune compétence en matière d’affaires divines. Le problème, c’est que l’islam réel a souvent le visage, sinon du fanatisme, du moins de l’intolérance. Je ne parle pas, bien sûr, des millions de musulmans du coin de la rue qui ont fait souche en France et dans toute l’Europe. Mais on se rappelle qu’après l’assassinat du préfet Érignac, 40 000 Corses avaient défilé pour dénoncer les crimes commis en leur nom. Alors oui, on aimerait que la majorité silencieuse des musulmans d’Europe cesse d’être silencieuse et proclame à son tour « Not in my name ! ».
Dans ce climat, la stratégie du déni est de plus en plus intenable. Même Le Monde admet que l’Europe est confrontée au grand défi de « l’intégration des communautés étrangères », ce qui revient à reconnaître que cette intégration connaît de sérieux ratés – qu’il impute, sans surprise, à la crise de l’État-providence et à l’égoïsme des peuples.
On ne prétendra pas que la pauvreté, le chômage, l’échec scolaire, de même que le racisme et les discriminations, ne jouent aucun rôle dans le décrochage d’une partie des jeunes Européens d’origine étrangère. Mais il se passe autre chose : une partie de nos concitoyens venus d’ailleurs ont choisi de vivre à part, aggravant leur relégation géographique par un séparatisme culturel qu’ils prétendent imposer à leurs quartiers, propageant l’idée que ceux qui fréquentent des « Français » sont de mauvais musulmans.
Peu importe le modèle de « vivre-ensemble » qui leur est proposé : ce qu’ils ne veulent pas, précisément, c’est vivre ensemble. Mais pour faire société, il faut être deux. En attendant de les ramener dans le giron de la République ou du Royaume, seule la loi, appliquée dans toute sa rigueur, les contraindra à respecter la règle commune. Il y a urgence : plusieurs loups, ça finit par faire une meute.[/access]
*Photo : Matt Batchelor.
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