Les bolcheviks ont très vite compris l’intérêt qu’ils avaient à s’allier avec l’Orient. Marxisme et islam partagent de nombreux points communs qui ont été entérinés, dès 1920, lors du congrès de Bakou.
« Islamo-gauchisme », le mot (et la chose) hante régulièrement l’actualité politique. Pourtant, l’idée d’une alliance entre marxisme et islamisme n’a rien de nouveau. Si elle répugne à de nombreux marxistes ancrés dans un athéisme militant, elle en a toujours séduit d’autres.
On notera d’abord qu’il existe des traits communs entre la psychologie islamique et la psychologie communiste : tendances autoritaires, dogmatisme, prosélytisme, goût pour l’égalité et la fraternité, forte propension aux schismes internes… Comme l’écrivait l’islamologue Maxime Rodinson, « l’islam est un communisme avec Dieu ». Pour reprendre un jeu de mots de Gilles Kepel, de la fête de l’Huma à la fête de l’Oumma, il n’y a qu’un pas. Roger Garaudy, résistant, intellectuel et militant qui fut longtemps une figure de proue du PCF avant de se convertir à l’islam, en est une parfaite illustration.
Bakou scelle une union opportuniste
L’acte fondateur de l’islamo-gauchisme est probablement le congrès de Bakou de 1920. Après l’échec des communistes en Hongrie et en Allemagne, les Soviétiques envisagent de s’allier avec l’Orient pour abattre l’Occident capitaliste et colonialiste. À l’initiative de Zinoviev le « Congrès des peuples de l’Orient » se tient à Bakou, en Azerbaïdjan soviétique. C’est le début d’une intense propagande. Les bolcheviks appellent les paysans du Moyen-Orient à se révolter contre les troupes françaises et britanniques. Finalement, ce projet d’alliance sera jeté aux orties par Staline. Et, ironie de l’histoire, ce sont les États-Unis qui, après 1945, s’allieront avec l’islamisme pour abattre le matérialisme athée soviétique.
Le projet d’une alliance entre islamisme et communisme est repris par Ali Shariati, l’intellectuel organique de la révolution islamique iranienne, qui a le génie de donner une interprétation tiers-mondiste du message coranique et d’inscrire les thèses de Marx, de Sartre (son ami) et de Fanon dans un référentiel islamique, voyant dans la religion musulmane le bouclier des opprimés. L’ayatollah Khomeini s’allie donc avec les communistes iraniens pour abattre le shah. On se souvient du soutien des intellectuels de gauche (à commencer par Michel Foucault) à la révolution iranienne. Une fois au pouvoir, Khomeini oubliera son discours gauchiste au profit de la seule dimension islamique, faisant au passage massacrer ses anciens alliés communistes ainsi que les partisans de Shariati.
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En 1968, la chanteuse française Dominique Grange (compagne du dessinateur Tardi) chantait dans les Nouveaux Partisans : « Et tous les travailleurs immigrés sont nos frères (…) vous expulsez Kader, Mohamed se dresse. »
Le trotskiste britannique Chris Harman réactualise la thèse de Bakou, mais pour importer l’islamo-gauchisme dans « l’Europe aux anciens parapets ». Pour Harman, le prolétariat occidental s’est embourgeoisé et n’est globalement plus apte à la révolution anticapitaliste. Il faut donc lui substituer les nouveaux damnés de la terre que sont les immigrés musulmans. Et si on veut rallier ce nouveau public à la cause révolutionnaire, il faut se montrer complaisant avec la religion musulmane.
Bakou peut paraître loin de Grenoble. Mais n’oublions pas que Sadri Khiari, le théoricien des Indigènes de la République, fut longtemps un militant trotskiste de la Quatrième Internationale en Tunisie…