Causeur : L’Allemagne disparaît, dites-vous. En décrivant une citadelle assiégée par des hordes d’immigrés musulmans prêts à fondre sur Berlin comme les barbares sur Rome, ne cherchez-vous à noircir le tableau pour attiser la peur des populations autochtones ?
Thilo Sarrazin : N’exagérons rien. J’observe simplement que l’Allemagne est condamnée par sa démographie. Primo, notre faible taux de natalité fait que chaque génération est 35% moins nombreuse que la précédente. Secundo, les capacités intellectuelles et la réussite scolaire de nos enfants décroissent encore plus vite que notre population. Car pendant que les individus les plus intelligents se reproduisent peu, les immigrés musulmans que nous accueillons font, eux, beaucoup d’enfants, qui réussissent moins bien à l’école.
Pardon ? Avons-nous bien compris ? Les immigrés musulmans sont moins intelligents que les Allemands « de souche » ? Seriez-vous un raciste biologique ?
Bien sûr que non ! Je ne dis pas que ces individus sont moins intelligents que les autres. Leur Q.I moyen est d’ailleurs globalement identique à celui des Allemands « de souche ». Je parle de réussite scolaire : lors des tests PISA, les résultats des enfants d’immigrés musulmans sont nettement inférieurs à ceux des immigrés est-européens et asiatiques et proches des performances leurs petits camarades restés dans leur pays d’origine. J’en déduis que certaines cultures encouragent plus la réussite scolaire que d’autres, notamment parce qu’elles misent davantage sur l’instruction de l’enfant.
Certaines cultures ou certains régimes politiques. Mais même en supposant que vous ayez raison, l’intégration des immigrés arabo-musulmans se fera par la hausse du niveau d’éducation, et c’est déjà le cas pour une partie d’entre eux. N’est-ce pas simplement l’affaire d’une ou deux générations ?
Ne sous-estimez pas l’importance de l’héritage islamique dans la culture des peuples arabes et moyen-orientaux. Or, l’islam est un obstacle direct au métissage, puisqu’il interdit les mariages mixtes avec les habitants du pays hôte. Comme si cela ne suffisait pas, le mariage précoce des femmes et la quasi-obligation qui leur est faite d’enfanter jusqu’à ce qu’elles aient un fils, font que le taux de natalité des musulmans est largement supérieur à celui de l’ensemble de la population. Ce déséquilibre démographique encourage naturellement le séparatisme culturel. En réalité, ce qui empêche l’intégration, c’est le cocktail « endogamie + surnatalité ». [access capability= »lire_inedits »]
Peut-être, mais dans un Etat de droit, on ne peut pas empêcher les gens de se marier comme bon leur semble, ni de faire des enfants. Que faire si la bataille de l’intégration est déjà perdue?
Pour commencer, il faut cesser de faire venir de nouveaux immigrés. Si on veut endiguer les flux d’immigration en provenance d’Afrique, de Turquie et du Moyen-Orient, il faut reprendre le contrôle des frontières européennes, ce qui suppose d’améliorer la coopération entre l’UE et les Etats. Il faut aussi supprimer les aides sociales qui sont des incitations à l’immigration. D’après les sondages, 50% des Allemands d’origine turque quitteraient la République fédérale si on leur coupait les allocations ! Ceci étant, il ne suffira pas de réformer le système d’aide pour changer les comportements de ceux qui rejettent nos valeurs et notre mode de vie.
Il ne s’agit pas non plus de pénaliser tous les autres. Prônez-vous l’immigration zéro alors que l’Allemagne manque de main d’œuvre qualifiée ?
Bien sûr que non. Je suis prêt à accueillir les migrants du monde entier, si leurs compétences professionnelles manquent à mon pays. Les ingénieurs électroniques égyptiens ou les physiciens turcs sont les bienvenus en Allemagne !
Quoi qu’il en soit, le marasme que connaît l’Europe depuis trente ans a sans doute douché bien des velléités d’immigration …
Vous vous trompez sur toute la ligne ! Au début des années 1970, l’Allemagne de l’Ouest employait 1.4 million d’ouvriers italiens. La plupart sont rentrés chez eux. À la même époque, elle accueillait 700 000 travailleurs turcs. Et alors qu’aucun permis de séjour de travail n’a plus été délivré depuis 1973, on compte 3.5 millions d’Allemands d’origine turque.
Il ne s’agit pas de gens qui sont venus mais, pour une large par, de leurs descendants. Quelle conséquence a eu la parution de votre brûlot, il y a trois ans ? Son succès vous incite-t-il à revenir dans l’arène politique ?
Mon livre a changé les termes du débat. Mais, étant membre du SPD depuis 1973, je n’ai jamais soutenu et ne soutiendrai jamais aucun autre parti.
Ce qui ne vous empêche pas d’attaquer frontalement ses dogmes les plus chers. Après l’immigration, vous proclamez dans votre dernier livre que L’Europe n’a pas besoin de l’euro. N’êtes-vous pas simplement devenu décliniste ?
Jugeons sur pièces. Contrairement à ce que tout le monde espérait, l’euro n’a pas renforcé l’intégration économique, ni stimulé la croissance et l’emploi. On croyait naïvement qu’une zone monétaire plus vaste créerait plus de richesse. Or, la taille d’une zone monétaire importe beaucoup moins que son niveau de cohésion qui compte. Et de ce point de vue, la France et l’Allemagne n’ont jamais été aussi éloignées l’une de l’autre. Sans parler des autres pays…
Drôle de raisonnement ! La coopération aurait-elle été meilleure avec deux monnaies au lieu d’une seule ?
Eh bien oui ! Avant la création de l’euro, la France pouvait coopérer sans dégâts avec l’Allemagne en dévaluant sa monnaie. Cela permettait d’aplanir les éventuelles tensions entre une France au secteur étatique très large, adepte des déficits et de l’interventionnisme économique, et une Allemagne plus économe, plus libérale, se fiant davantage aux marchés financiers qu’au tout-Etat. Grâce à ce « deal » franco-allemand, nos niveaux de croissance étaient sensiblement voisins. Mais aujourd’hui, alors que l’euro fort plombe vos exportations, vous ne pouvez plus dévaluer !
Une minute : la désindustrialisation française a précédé la monnaie unique.
C’est vrai, car vous souffrez aussi d’un manque de compétitivité. En réalité, si elle veut concurrencer l’Allemagne dans le cadre de l’euro, la France n’a d’autre choix que de l’imiter, ce qui signifie réformer son marché du travail, adopter des taux d’imposition attractifs, dégraisser son secteur public, réduire ses déficits, etc.
En somme, nous n’aurions qu’à devenir Allemands ? Pour cela il faudra nous convaincre de renoncer à nos acquis sociaux. Ce n’est pas gagné…
C’est bien pour cela que François Hollande évite de prendre les mesures nécessaires tout en laissant certains de ses ministres taper sur l’Allemagne pour faire diversion. Mais si vous voulez sortir du marasme, vous n’y couperez pas : soit vous faites comme nous, soit vous quittez l’euro.
Et que devrions-nous choisir ? Donnez-nous un conseil d’ami…
Tant que la France reste membre de la zone euro, elle est condamnée à souffrir. Deux scénarios se profilent : soit Hollande ne bouge pas et continue de subir l’hégémonie économique allemande, soit il lance des réformes douloureuses qui feront monter le chômage et la récession bien avant que vous n’en récoltiez les fruits. Le gouvernement et le peuple français sont-ils prêts à de tels sacrifices ? Je n’en suis pas certain. Dans ces conditions, un retour au franc, aussi périlleux soit-il, est la meilleure solution. Croyez-moi : la France ferait mieux de quitter l’euro ![/access]
L’Allemagne disparaît, Thilo Sarrazin, éditions du Toucan, 2013 (trad. Jean-Baptiste Offenburg).
*Photo: Eric Allen Bell.
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