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Islam: chic, encore une affaire d’images du prophète!


Islam: chic, encore une affaire d’images du prophète!
L'étudiante Aram Wedatalla à Minneapolis, 11 janvier 2023 © Kerem Yücel/AP/SIPA

À l’université Hamline, dans le Minnesota, la dictature de la minorité musulmane pourrait finalement coûter son accréditation à l’établissement…


La décision récemment médiatisée de la petite université méthodiste de ne pas conserver Erika López Prater, professeur associé qui avait montré en octobre dernier une peinture représentant l’ange Gabriel et le prophète Mahomet, continue à susciter des remous outre-Atlantique. 

Des associations de défense de la liberté d’expression, mais aussi le Conseil des relations américano-islamiques (CAIR) à son niveau national, contrairement à sa branche minnésotaine, ont critiqué la sanction infligée à l’enseignante, et l’université pourrait perdre son accréditation pour non-respect de la liberté académique. 

Alors que la polémique fait rage et que l’enseignante dont le contrat n’a pas été renouvelé a porté plainte, l’établissement privé, qui n’est pas soumis au premier amendement de la Constitution, vient d’admettre qu’il a commis des erreurs.

C’est l’étudiante Aram Wedatalla qui avait dénoncé le Dr López Prater. En décembre, elle a déclaré dans un journal de l’université qu’elle avait été stupéfaite par un cours : « En tant que musulmane et personne noire, je ne me sens pas à ma place, et je doute avoir jamais ma place dans une communauté où l’on ne m’estime pas en tant que membre, et où l’on ne me montre pas le même respect que je lui montre. » L’étudiante soudanaise, qui préside l’Association des étudiants musulmans de Hamline, vient poser un nouveau défi à la pensée qui a présidé la confection de la démocratie américaine en imposant la volonté de la minorité et en refusant la liberté d’expression.

Free speech

Alexis de Tocqueville n’avait sans doute pas imaginé que la minorité pourrait un jour menacer d’imposer sa volonté à la majorité ou la faire prévaloir sur les libertés. Dans De la démocratie en Amérique, le philosophe dit ne pas connaître « de pays où il règne en général moins d’indépendance d’esprit et de véritable liberté de discussion qu’en Amérique ». Tocqueville souligne aque la majorité y définit les limites de la pensée et que celui qui en sort « est en butte à des dégoûts de tous genres et à des persécutions de tous les jours », et il estime que l’omnipotence de la majorité pourrait conduire à la perte de la liberté, car elle « aura porté les minorités au désespoir ». Son observation est de plus en plus contredite par des faits divers devenus faits de société. La liberté d’expression est de plus en plus menacée par des minorités, tant sur les campus publics soumis au premier amendement que dans les universités privées où la liberté académique est attaquée.

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Mme López Prater avait organisé, le 6 octobre 2022, un cours en ligne sur un « Compendium des chroniques » contenant les premiers récits islamiques illustrés, écrits par Rachid al-Din au XIVe siècle. Sachant que la représentation de Mahomet n’est pas acceptée par tous les musulmans – elle l’est généralement par les chiites -, le professeur avait prévenu les étudiants qu’ils pouvaient s’absenter le temps de la diffusion. Nul n’était censé être surpris, le syllabus de ce cours sur l’art dans le monde indiquait dès la rentrée que des images de Mahomet seraient présentées, et l’enseignante avait déjà demandé au début du semestre aux étudiants de la contacter s’ils avaient des inquiétudes. Aucun d’entre eux n’avait réagi, selon elle. Toutefois, un mois plus tard, l’université lui a signifié que son contrat ne serait pas renouvelé.

La représentation montre l’ange Gabriel pointant son doigt vers Mahomet et lui délivrant la première révélation du Coran. Si elle est, de façon extrapolée, conforme à la foi musulmane selon laquelle le livre saint des musulmans a été révélé à Mahomet par l’intermédiaire de l’ange, elle ne respecte pas l’interdiction aniconique de représenter les anges ou le prophète (liée à la crainte de l’idolâtrie et au refus d’imiter la création divine). Melle Wedattala a saisi l’administration qui a rompu son contrat avec l’enseignante. La présidente de l’université, Fayneese Miller, a cosigné un courriel déclarant que le respect des étudiants musulmans « aurait dû prévaloir sur la liberté académique ». Selon elle, « il était important que [les] étudiants musulmans, comme tous les autres étudiants, se sentent en sécurité, soutenus et respectés à l’intérieur et à l’extérieur [des] salles de classe. » 

Safe spaces pour musulmans sensibles

Le « cercle formidable autour de la pensée » que trace la majorité, ainsi que le dénonçait Tocqueville, est désormais le cadre fixé par la minorité qui le restreint toujours plus. 

En 2017, Bret Weinstein, un professeur de biologie, avait dû démissionner de l’Evergreen State College après avoir dénoncé la discrimination envers les étudiants blancs priés de ne pas se présenter durant une journée sur le campus. Invité à témoigner devant le Congrès en mai 2018, Weinstein avait déploré la fin de la culture du débat dans l’enseignement supérieur : « Lorsque les gens s’auto-censurent parce qu’ils redoutent d’être stigmatisés, ils peuvent ne jamais se rendre là où quelqu’un bloquerait leur discours ; et donc, même s’il n’y a aucune violation technique, l’effet est exactement le même. » L’ancien professeur avait tenu à préciser également que ces restrictions n’étaient « pas seulement une affaire de débats sur le campus, mais aussi de ce qu’un enseignant peut correctement enseigner dans un cours de biologie par exemple ».

Ce développement du « safe space » (espace protégé), notamment dénoncé par l’écrivain Bret Easton Ellis dans White, qui s’étend et où se réfugient des millenials incapables de supporter le débat, aurait-il été instrumentalisé par une étudiante musulmane qui n’ignorait pas le contenu du cours et a décidé de s’y inscrire malgré tout ?

Le 11 janvier, Wedatalla a tenu une conférence de presse avec d’autres étudiants musulmans et la fameuse branche locale du Conseil des relations américano-islamiques (CAIR). Elle a déclaré être « extrêmement blessée », et ne plus pouvoir suivre ce cours, tout en assurant s’être sentie écoutée par l’administration. Le directeur du CAIR-Minnesota, Jaylani Hussein, a abondé dans son sens en ajoutant que « l’islamophobie peut déployer ses racines partout, y compris dans le cas rencontré à l’université Hamline. » Ces derniers et récents propos arrivent alors que les critiques fusent de partout dans le milieu universitaire et médiatique américain, comme s’il s’agissait d’obliger l’université à ne pas revenir sur sa décision… 

Cependant, au niveau national, le CAIR dit refuser d’utiliser le mot « islamophobie » à la légère, et précise que c’est l’intention prévaut. L’organisation musulmane affirme distinguer entre les professeurs qui analysent des peintures à des fins académiques et les islamophobes qui les montrent pour offenser. Le CAIR, connu pour encourager les élèves, étudiants et parents musulmans à demander des accommodements raisonnables, aurait-il perçu un risque à soutenir les exigences de Melle Wedatalla et la décision scandaleuse de l’université ?

Le soutien à l’enseignante ne faiblit pas

Le Times cite Christian Gruber, professeur d’art islamique à l’université du Michigan, selon qui étudier l’expression artistique musulmane sans cette image issue des manuscrits persans, équivaudrait à faire l’impasse sur le David de Michel-Ange. Le professeur Gruber a lancé une pétition de soutien à sa collègue qui a recueilli plus de 16 000 signatures à ce jour.

Diverses associations soutiennent en outre l’enseignante, dont PEN America qui milite pour la liberté d’expression ou FIRE (Foundation for Individual Rights in Education). Cette dernière a écrit à la Higher Learning Commission (HLC), qui a délivré une accréditation à l’université Hamline, et lui a demandé de la révoquer, car les critères d’agréments ne sont plus respectés. En effet, le point 2.D. des conditions posées par la HLC dispose que « l’institution s’engage à respecter la liberté académique et la liberté d’expression dans la poursuite de la vérité dans l’enseignement et l’apprentissage. » Le 17 janvier, l’université a publié une déclaration disant qu’elle reconnaît que l’emploi du « terme islamophobe était erroné » et a affirmé n’avoir « jamais eu l’intention de laisser supposer que la liberté universitaire était de moindre valeur que celle des étudiants », ajoutant que les deux doivent coexister.Le New York Times souligne un dernier point important : en Amérique, les petits collèges et universités privés comme Hamline rencontrent une baisse des inscriptions et des pressions financières croissantes. Ils tentent donc d’attirer des étudiants des minorités en se montrant très accueillants envers eux.




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