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Laïcité: Macron installé, l’islam de France peut s’envoler


Laïcité: Macron installé, l’islam de France peut s’envoler
Emmanuel Macron à bord du nouveau TGV entre Paris et Rennes, juillet 2017. SIPA. 00813556_000006

Pour Emmanuel Macron, ce pragmatique qui croit que tout – y compris la dimension culturelle – découle de l’économique, la laïcité est un non-sujet : il ne pense pas « qu’elle soit réellement menacée »[tooltips content=’Le Monde des religions, 4 mai 2017′]1[/tooltips]. Il a néanmoins promis de respecter la loi de 1905 à laquelle les Français sont attachés. C’est donc avec ses lunettes idéologiques que le nouveau président aborde la question de l’intégration républicaine de l’islam. Il y a sans doute réfléchi. Et il sait pouvoir compter sur son ami Hakim El Karoui. Ex-directeur des fusions acquisitions Afrique-Méditerranée chez Rothschild, militant actif de la diversité en entreprise (il a fondé l’influent Club XXIe siècle, ainsi que les Young Mediterranean Leaders, sur le modèle du réseau franco-américain des Young Leaders dont il fut membre en 2007 et 2008, comme Macron et Philippe qui ont participé, ensemble, au programme de 2012), cet ancien conseiller de Jean-Pierre Raffarin à Matignon a soutenu la campagne d’Emmanuel Macron.

Mais El Karoui est aussi l’auteur du rapport « Un islam de France est possible » paru en octobre 2016. Et ce qui s’apparente fort à une note politique portée par le think tank libéral institut Montaigne expose une véritable stratégie parfaitement adaptée à la vision macronienne de l’homme et de la société. Les recommandations de ce rapport risquent donc de former le squelette de la politique du président quand il décidera de se pencher sur le sujet « islam de France ». Du reste, la tribune publiée dans le JDD, avant la parution des bonnes feuilles du rapport, par El Karoui et d’autres futurs soutiens d’Emmanuel Macron comme Bariza Khiari et Rahmene Azzouzi, donne une idée des prétendants à la direction de cet « islam de France »[tooltips content=’« Appel des 41 » paru dans le JDD du 31 juillet 2016, rassemblant des personnalités se présentant comme « musulmanes » qui veulent refonder l’islam de France et intitulé « Nous, Français et musulmans, sommes prêts à assumer nos responsabilités ». Il avait été suivi d’une vive polémique puisque, en énumérant les victimes des attentats islamistes, les signataires avaient « bêtement » oublié les victimes de Merah et de l’Hyper cacher.’]2[/tooltips]

L’enquête de l’institut Montaigne a suscité dans l’opinion des commentaires inquiets. Elle révélait l’ampleur de la diffusion de l’idéologie islamiste et du conservatisme religieux au sein de la communauté musulmane française, en particulier chez les jeunes. Mais on a peu commenté les analyses et les recommandations. On a eu tort, car celles-ci impliquent une refonte radicale de la laïcité que la République a instituée dans le droit en 1905.

L’explication-réflexe socio-économique

El Karoui reprend régulièrement dans son analyse la cause socio-économique (« la précarité ») pour expliquer la plus grande religiosité et le ressentiment de la jeunesse musulmane à l’égard de la société française. La volonté de « vivre en terre d’islam » affirmée par près de 30 % de l’échantillon reflète selon lui l’absence de « perspective de l’amélioration de leur condition sociale […] sous l’effet des discriminations et des inégalités ». Voilà bien la lecture de l’homo-economicus occidentalo-centré, pour qui l’engagement religieux ne peut être qu’un palliatif au malheur social. La radicalité religieuse, un fait culturel voire théologique ? Pensez donc ! Comme nos politiques après chaque attentat islamiste, El Karoui trie le « bon » du « mauvais » musulman. Il excommunie les Kouachi et autre Abaoud, les « ce n’est pas ça, l’islam », pour déculpabiliser les musulmans du surgissement de l’islam politique et en faire porter la responsabilité à toute la société française. À l’instar d’Emmanuel Macron qui l’a laissé entendre après les attentats de novembre 2015, El Karoui écrit : c’est « notre échec à tous ». Vient alors la liste des discriminations en tous genres subies par les jeunes musulmans, suivie par la solution : la discrimination positive que l’on nous sert, en vain, depuis Chirac… El Karoui recommande aussi de « les inclure de nouveau dans le récit national en tant que musulmans ». Étonnante requête de ces passionnés de la diversité : classer les citoyens par religion ou quantité de mélanine (les fameux « racisé-e-s »), tout en accusant la société française de racisme.

Visibilité, ostentation, prosélytisme politico-religieux ? El Karoui ne tranche pas

Comme les médias l’ont relevé à la publication de l’enquête, les musulmans interrogés aspirent à une plus grande visibilité de l’islam dans l’espace public. El Karoui va dans le même sens, déplorant que « les mosquées françaises [soient] relativement modestes, voire invisibles » et regrettant qu’il n’y ait en France que trois mosquées cathédrales car « cela ne correspond pas à la réalité de l’islam français ».

L’herméneutique d’El Karoui arrive d’ailleurs à apprivoiser même les chiffres les plus compliqués à expliquer. 80 % des musulmans interrogés souhaitent que le halal soit proposé dans les cantines scolaires, alors que selon une étude Ifop (2015) 64 % des Français refusent de céder aux revendications communautaires dans les cantines publiques. 85 % des Français sont opposés au port du hijab à l’école en vertu de la loi de 2004 (Ifop, 2015) quand 60 % des musulmans sondés par l’institut Montaigne y sont favorables, en dépit de la loi[tooltips content=’Sans parler des 28 % de femmes musulmanes favorables sur le principe au port du voile intégral (p. 30).’]3[/tooltips]. Pour El Karoui ce n’est pas si grave : « 50 % d’entre eux [les musulmans vivant en France] suivent un chemin qui va les mener progressivement vers la sécularisation. » El Karoui va jusqu’à affirmer que « l’arrivée du salafisme et sa visibilité attestent, paradoxalement, de la relative bonne intégration de l’islam dans le paysage national ». D’ailleurs, les 28 % qui selon l’enquête affirment avoir une pratique religieuse régulière et sont favorables à l’expression religieuse sur leur lieu de travail, sont pour El Karoui des « musulmans sécularisés » qui font « évoluer le système de valeurs de la France contemporaine »…

Pour « inclure les musulmans dans le récit national », El Karoui compte sur l’école mais d’une étrange façon. 67 % des musulmans de l’enquête souhaitent que leurs enfants étudient à l’école publique l’arabe classique – celui de la langue coranique ? Qu’à cela ne tienne, El Karoui établit une équation habile pour satisfaire cette attente des musulmans et celle des pouvoir publics (à savoir la lutte contre la radicalisation) : « Enseigner l’arabe classique à l’école publique pour réduire l’attractivité des cours d’arabe dans les écoles coraniques et dans les mosquées », qu’il décrit plus haut comme principaux lieux de la radicalisation aux mains d’autorités étrangères. Il accuse en outre l’Éducation nationale d’avoir progressivement fermé l’accès à l’arabe dans le secondaire aux descendants d’immigrés musulmans, les obligeant « à se communautariser ». C’est oublier que ces fermetures de postes résultent de deux mouvements au cours des années 1990-2000 : la décrue des inscriptions en cours d’arabe classique car les familles et les élèves ne trouvaient pas satisfaction dans l’apprentissage laïque et académique de cette langue, et l’attractivité des réseaux parallèles alliant apprentissage de l’arabe et éducation coranique. On ferme des classes quand les élèves désertent. El Karoui continue en appuyant sa recommandation de l’enseignement de l’arabe à l’école par un argument fallacieux : il est « soutenu par une large partie de la population en situation de semi-bilinguisme ». Mais ce bilinguisme réfère à l’arabe dialectal : ces familles parlent l’arabe algérien, l’arabe marocain, etc. et non l’arabe classique ! Quant à son argumentaire sur l’arabe langue des affaires qui favorisera les businessmen franco-maghrébins, on atteint le sommet du ridicule. Quid du magistère de l’anglais dans ce monde là ?

 L’État républicain en deus ex machina de l’Islam de France ?

Quelle est la réalité de cette communauté musulmane de France qu’El Karoui a tant de mal ou de réticence à décrire ? Pour lui, nous sommes face à un « islam des collectivités », c’est-à-dire des territoires, des quartiers, des communautés d’origine, divisé et difficile à organiser. Sa solution ? Œuvrer « à la structuration de l’islam en France à la fois par les musulmans de France et par la puissance publique ». On y est ! L’État doit se mêler d’affaires relevant du culte en dépit de la neutralité laïque de la République. El Karoui souhaite que soient créées, sous l’impulsion de la puissance publique, des « instances théologiques gérées par une nouvelle génération de musulmans hors de la tutelle des États étrangers », dont l’objectif est de former « des instances capables de produire et de diffuser des idées et des valeurs françaises » dans une ligne théologique propre à l’islam de France. On leur souhaite bon courage pour définir une telle ligne vu les dissensions théologiques et politiques en islam.

Pour ce qui concerne le financement, El Karoui mise sur la redevance ponctionnée sur la consommation halal qu’il souhaite centraliser dans une « association musulmane pour un islam de France ». Elle serait accolée à la fondation pour l’islam de France qui s’occupera du volet culturel. La gouvernance de ces deux institutions est tout simplement aux mains de l’État républicain ! Elle sera assurée par des personnes qui « devront être cooptées par l’État » car c’est lui qui aura « conféré à l’association le monopole de la délivrance de cartes de certification permettant ainsi le monopole religieux [et que] l’État devra assumer la nécessité de renouveler à la fois les générations et l’organisation ». Les représentants du CFCM, selon lui délégitimés parce qu’aux ordres des pays d’origine, y seront de facto minoritaires, mais le sort de l’UOIF, qui a quitté le CFCM, n’est pas précisé. En demandant explicitement que la puissance publique accompagne « l’émergence de cette nouvelle génération de musulmans français en la nommant au conseil d’administration et à la direction générale de la fondation », El Karoui détruit le principe de neutralité laïque de l’État, mais aussi la représentativité démocratique des musulmans au sein de leurs propres organisations.

Le concordat comme rampe de lancement de la fusée « islam de France ».

Comme Emmanuel Macron, El Karoui s’accommode de la dérogation concordataire. Il demande même que le concordat soit étendu à l’islam afin de faire de l’Alsace-Moselle la base arrière de la construction de l’islam de France. Le régime concordataire favoriserait « un écosystème politique et juridique qui permet aux instances représentatives des musulmans de France à la puissance publique de faire émerger un islam français »[tooltips content=’On se rappelle qu’à l’été 2016, après le traumatisme des attentats du 14 juillet à Nice et de Saint-Étienne-du-Rouvray, une rumeur avait circulé sur le projet d’établir un concordat avec l’islam porté par le gouvernement de Manuel Valls. Suscitant le tollé des associations laïques, le projet avait été rapidement démenti.’]4[/tooltips]. Il demande – rien de moins ! – une chaire de théologie musulmane à l’université de Strasbourg et une école de formation des imams, financées par l’État pour un coût évalué à environ six millions d’euros. El Karoui souhaite optimiser le financement de « la gestion de l’islam au quotidien », voilà pourquoi ce sera aux collectivités locales de favoriser l’émergence d’un islam local, notamment par « la garantie de l’emprunt pour la construction de lieux de culte ». En cas de défaut de paiement de l’emprunteur, la municipalité (le contribuable) garante de l’emprunt n’aura donc d’autre choix que de rembourser… El Karoui va jusqu’à proposer « d’inscrire dans le plan local d’urbanisme des espaces réservés à l’édification de lieux de culte », ce qui signifie des terrains réservés voire préemptés par la municipalité pour y construire des lieux de culte même si aucune demande n’est encore formulée. Le clientélisme a de belles heures devant lui !

Avec prudence, dans ce qu’il nomme un « scenario optionnel », Hakim El Karoui propose d’actualiser la loi de 1905 pour prendre en compte les nouveaux cultes, et en particulier l’intégration dans le domaine public des lieux de culte construits après 1905. La nationalisation ! Ce qui obligerait l’État à procéder à un audit des cultes en contradiction avec la neutralité laïque. El Karoui fait croire aux décideurs politiques que ce « droit de regard dans l’affectation de l’édifice cultuel, sans influer sur l’orientation théologique lui permettrait d’avoir une meilleure connaissance des discours et des orientations prônées ». En clair, pour surveiller les mosquées radicales, on met tous les autres cultes sous surveillance. Il propose enfin que l’État participe financièrement à l’entretien des lieux de culte, ce que rejettent pourtant 77 % des Français (Ifop, 2015).

Dans ces conditions, on peut craindre que le pragmatisme revendiqué par le président serve d’alibi à la déconstruction du modèle laïque français. En effet, le projet exposé par Hakim El Karoui oblige l’État à se mêler des cultes et à les financer par l’impôt général. De surcroît, il ouvre la voie à une plus grande fracturation de la communauté musulmane, entre une majorité silencieuse prise dans un conflit de loyauté à l’égard d’un dogme théologique rigoriste, et une minorité tyrannique qui rêve d’un islam hégémonique.

Juin 2017 - #47

Article extrait du Magazine Causeur




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est enseignante.

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