Nous sommes priés de croire que l’islam est compatible avec la République, la démocratie et l’Etat de droit. Oser interroger ce dogme frôle dangereusement l’islamophobie, ce qui risque bientôt d’entraîner l’inéligibilité, si toutefois les nouveaux maîtres du pays de Voltaire parviennent à exclure du débat public tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Mais réjouissons-nous ! La France, au moins, ne punit pas de mort le blasphème, contrairement à des pays qui puisent pourtant leur inspiration législative dans une idéologie « compatible avec la République, la démocratie et l’Etat de droit »…
Soyons sérieux.
Je ne doute pas que la pratique qu’ont de l’islam un certain nombre de nos concitoyens soit parfaitement compatible avec les valeurs de la République française, à commencer par celle d’élus comme Malek Boutih ou Amine El Khatmi. Certains, comme Abdennour Bidar, Michel Renard ou Leïla Babès, ont même conceptualisé cet islam des Lumières, afin d’offrir à ceux qui veulent y croire les outils intellectuels et théologiques nécessaires. Musulmans, ils ont régulièrement défendu les valeurs les plus nobles de la France alors que nos représentants élus, Français « de souche » et non-musulmans, les abandonnaient par paresse intellectuelle, par lâcheté ou par intérêt.
Là où l’islam domine, l’islam réprime
Mais entre autres choses, ils ont en commun de savoir et d’avoir le courage de dire que leur islam n’est pas « l’islam », mais un islam. Ils ne se prétendent pas représentants ni représentatifs d’une communauté. Le sont-ils ? Difficile à dire. L’étude de l’Institut Montaigne tendrait plutôt à montrer qu’ils sont douloureusement minoritaires.
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Pire, un constat douloureux s’impose, à l’heure où l’islam en général mais aussi l’islamisme gagnent en influence sur notre sol. Pratiquement aucun pays dont l’islam est la religion culturellement dominante n’accorde à ses habitants non-musulmans les droits que la France garantit à tous ses citoyens, quelle que soit leur religion.
L’exemple de l’apostasie est à ce titre significatif. Cette simple mise en pratique de la liberté de conscience est punie de mort en Arabie saoudite, au sultanat de Brunei, en Iran, au Koweït, aux Maldives, en Somalie, au Yémen… et sanctionnée par de lourdes amendes ou des peines de prison en Indonésie, au Maroc, à Oman, au Pakistan (ou la peine de mort est également possible), etc. Des peines similaires frappent le blasphème.
« L’Islam est la religion naturelle de l’homme »
La déclaration du Caire du 5 août 1990, ratifiée par 57 états et souvent appelée « déclaration islamique des droits de l’homme », est également éclairante. Elle spécifie par exemple que :
– « Les pères et leurs remplaçants ont le droit de choisir l’éducation de leurs enfants à condition de sauvegarder leurs intérêts et l’avenir de ces derniers à la lumière des valeurs morales et des normes de la Loi islamique (charia). » (article 7)
– « L’Etat fournira les moyens nécessaires pour (…) que l’homme puisse connaître la religion islamique. » (article 9)
– « L’Islam est la religion naturelle de l’homme. Il n’est pas permis de soumettre ce dernier à une quelconque forme de pression ou de profiter de sa pauvreté ou de son ignorance pour le convertir à une autre religion ou à l’athéisme. » (article 10)
– « Tout individu a le droit de jouir des fruits de sa production scientifique, littéraire, artistique ou technique (…) à condition que sa production ne soit pas contraire aux normes de la loi islamique. » (article 16)
– « Tout individu a le droit d’exprimer librement son opinion d’une manière non contraire aux principes de la Loi islamique. Tout individu a le droit d’appeler au bien, d’ordonner le juste et d’interdire le mal conformément aux normes de la Loi islamique. » (article 22)
– « Tous les droits et libertés énoncés dans ce document sont subordonnés aux dispositions de la Loi islamique. » (article 24)
– « La Loi islamique est la seule source de référence pour interpréter ou clarifier tout article de cette Déclaration. » (article 25)
Pourquoi l’islam de France serait-il différent?
Quelles garanties avons-nous que l’islam de France serait différent ? Qu’il respecte vraiment nos droits, et n’essaierait pas de nous en priver s’il estimait en avoir le pouvoir ? Jusqu’ici, son influence semble plutôt tournée vers la défense d’intérêts strictement communautaristes et le refus de toute critique, ce qui augure plutôt mal de sa fiabilité. Ses instances officielles, en tout cas, ne sont très clairement pas des partenaires dignes de confiance, entre le CFCM qui refuse la liberté de conscience et la Grande Mosquée de Paris qui, dès 1996, voulait empêcher Salman Rushdie de venir en France et diffuse des propos foncièrement hostiles à toutes les autres religions.
Je comprends que nos concitoyens musulmans en aient assez de devoir sans cesse se justifier. Mais nous n’y sommes pour rien si la monstruosité a aujourd’hui « pris le masque de l’islam et pas un autre masque », comme l’écrit Abdennour Bidar. S’ils veulent collectivement établir des relations saines avec le reste de la communauté nationale, ils doivent nous prouver qu’ils sont différents de tant de leurs coreligionnaires dans le reste du monde. Car, pour paraphraser Pascal Bruckner, ce n’est pas au nom de Jésus, Vishnou, Yahvé, Bouddha, Zeus ou Amaterasu que l’on cherche aujourd’hui à détruire notre civilisation ou à nous priver de nos libertés.
Les musulmans de France ne peuvent plus se taire
Les musulmans de France ne peuvent plus se contenter de protester de leurs bonnes intentions, si sincères soient-elles. Ils doivent s’engager activement, assumer de prendre clairement parti, en militant pour que soient accordés aux non-musulmans vivant dans des pays musulmans les mêmes droits que ceux dont les musulmans souhaitent bénéficier dans les pays non-musulmans.
Ils trouvent normal qu’un non-musulman puisse librement se convertir à l’islam ? Qu’ils réclament qu’un musulman puisse sans crainte se convertir à une autre religion ou à l’athéisme, du Maroc au Pakistan.
Ils veulent construire plus de mosquées en France ? Qu’ils demandent avec force à l’Arabie saoudite de donner aux non-musulmans vivant sur son territoire le droit d’avoir des lieux de culte.
Ils veulent pouvoir enseigner l’islam ? Qu’ils acceptent qu’on le critique comme n’importe quelle autre croyance, qu’ils agissent pour mettre fin aux lois réprimant le blasphème.
Ils pensent être victimes de discriminations ? Qu’ils obtiennent dans les pays musulmans l’égalité de tous pour le recrutement dans la fonction publique et l’accession aux postes à responsabilités.
Vivre-ensemble ?
D’ores et déjà, en France et ailleurs, des musulmans œuvrent dans ce sens. Et la plupart le font sans espérer la moindre contrepartie de notre part, uniquement par conviction et par humanité. Mais ils ne sont pas au pouvoir, et même en France semblent minoritaires.
Pourtant, il n’y a pas d’autre solution. L’islam doit impérativement, partout où il est dominant, accorder aux autres les droits qu’il veut que les autres lui accordent là où il est minoritaire. L’islam de France doit y travailler activement, c’est l’une des principales conditions de sa crédibilité. Faute de quoi, il sera toujours suspecté de taqîya, soupçonné de vouloir instrumentaliser le vivre-ensemble pour asseoir sa domination mais de vouloir, une fois doté de suffisamment d’influence, mettre fin au pluralisme, à la diversité, et à l’égalité.
La défense de l’égalité des droits entre hommes et femmes, de la mixité, et de la liberté des femmes y compris dans les pays musulmans est une autre condition, mais c’est aussi un autre sujet.
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