Deux ou trois choses sur le burkini


Deux ou trois choses sur le burkini

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L’édito d’Elisabeth Lévy sur le burkini est simplement parfait, à deux nuances près. La première est qu’il n’est pas seulement parfait : il est plus que parfait quand elle ose avouer, à propos de l’interdiction du burkini: ”ma fibre libérale souffre doublement, pour le burkini et pour l’interdiction”.

Nous sommes en guerre

La seconde est que ses arguments n’évitent pas toutes les fausses pistes : la seule bonne raison de combattre le birkini par tous les moyens adéquats, c’est que nous sommes en guerre. Premier point : un libéral authentique se sent forcément mal d’avoir à interdire le port d’un vêtement exhibant une conviction ou une affiliation quelconque dans l’espace public. Cette liberté est l’essence même du libéralisme, qui refuse que l’Etat, la société, ou sa majorité impose leur loi dans la manifestation des convictions et dans les moeurs des personnes privées.

On aimerait tellement ne pas avoir à assumer le mauvais rôle qui est d’interdire aux femmes, ici,  ce qui leur est imposé ailleurs. Mais c’est une fausse piste que de se justifier en disant que ce vêtement-là est intrinsèquement le signe de la servitude de celle qui le porte. Car si cette servitude est volontaire, comme ce peut être le cas en France, il n’appartient pas à une société libérale d’émanciper les femmes contre leur gré.

On ne peut donc pas condamner un vêtement comme le burkini ou le voile islamique pour leur signification intrinsèque. Cette signification est toujours sujette à interprétations et à contestations. On ne peut les condamner, les combattre, voire les interdire qu’en raison de leur signification contextuelle. Nous sommes en guerre. Aujourd’hui et maintenant, ces vêtements font allégeance à l’islamisme politique qui nous agresse. Si l’on n‘osait pas admettre que nous combattons les emblèmes de l’islamisme conquérant et non des vêtements significatifs et insupportables en eux-mêmes, il faudrait étendre le même jugement et la même condamnation aux femmes juives ultra orthodoxes qui portent des vêtements similaires, sans nous agresser pour cela.

Un double cheval de Troie?

Il faut donc se résoudre à prendre des mesures spécifiques et discriminatoires contre l’islamisme de combat, au nom de principes généraux qui ne s’appliquent qu’à lui. Ce n’est pas discriminer les musulmanes de France ou leur imposer un apartheid, puisque l’immense majorité d’entre elles ne l’adoptent pas.

On a toutefois d’autant plus mauvaise conscience à l’égard de ces baigneuses qui sont aussi couvertes que la femme du Déjeuner sur l’herbe de Manet est nue, qu’on nous assure de tous côtés que le burkini est en réalité un cheval de Troie qui marche à l’envers. Porter ce vêtement ambigu serait faire, en douce, le premier pas vers l’émancipation, puisqu’il permet à ces femmes musulmanes d’aller à la plage, ce que Daech ne tolère pas, et d’y aller sans leurs maris, leurs pères ou leurs frères, puisqu’ainsi couvertes, leur surveillance est devenue superflue.

Il se peut que le burkini soit un cheval de Troie en deux sens opposés. Il se peut qu’il couvre une part de ruse chez certaines de celles qui l’arborent, de même que le fait de porter le voile peut apporter à certaines  jeunes filles le sentiment de ne pas trahir leur religion tout en faisant des études et en travaillant comme les hommes.

Pour ces raisons de principe et de fait, un libéral, et une libérale encore plus, aimerait tenir un discours d’accommodement raisonnable du genre : « pourvu que vous alliez à la plage, et pourvu que vous y alliez sans vos maris vos pères et vos frères, nous consentons à cet habit, quoiqu’il nous déplaise profondément en ce qu’il heurte notre conception de la femme. Mais nous ne pouvons pas l’interdire et porter atteinte à votre liberté puisque ce burkini ne porte pas atteinte à la liberté des femmes qui ne le portent pas.” Comment répondre, en libéral, à cette objection?

Si on répond que le burkini est un drapeau, et que c’est pour cette raison qu’on a le droit de l’interdire, on entendra Edwy Penel répondre comme il vient de la faire à Apolline de Malherbe qui lui opposait cette phrase de Finkielkraut, que tout vêtement ou signe d’appartenance peut être considéré comme le drapeau d’une appartenance particulière laquelle est libre de se manifester dans l’espace public.

Plenel le sophiste

Edwy Plenel, on le connaît, n’a pas laissé  à Apolline de Malherbe le loisir de compléter la pensée de Finkielkraut: le burkini est le drapeau d’une idéologie, oui, mais pas d’une idéologie comme les autres. Il est le drapeau d’une idéologie qui tue et qui cherche à imposer sa loi à certains territoires de notre pays. C’est pourquoi la démocratie libérale doit le combattre : face à l’islamisme conquérant, notre liberté est en état de légitime défense.

Alors, surtout, n’invoquons pas des arguments biaisés pour le combattre : ce n’est pas parce que le burkini représente une atteinte à la dignité des femmes qu’on est en droit de l’interdire tout en respectant les droits de l’homme. C’est parce qu’il est le drapeau d’un ennemi, en temps de guerre. Une guerre qui est tout à la fois militaire, policière et culturelle.

Ceci est la seule justification possible d’une mesure qui ne doit s’appliquer qu’à l’islamisme, puisque l’islamisme est le seul à faire la guerre à notre liberté.

Et puisque je tiens le micro, j’en profite pour ajouter quatre remarques, en style télégraphique s’il le faut.

Primo, un peuple libre et adepte de la démocratie libérale a le droit de défendre sa façon de vivre, ses moeurs, sa culture, son identité, bref, son être, comme tout vivant a le droit de vouloir « persévérer dans son être ». ( La formule est de Spinoza, respect!).

Secundo, nos mœurs ne sont pas seulement celles qui nous plaisent; elles ne sont pas seulement notre choix de civilisation. Elles sont supérieures aux mœurs archaïques et barbares qu’on leur oppose parce qu’elles résultent des progrès de LA civilisation. On n’a certes pas le droit d’imposer nos valeurs, nos principes et nos choix de vie à ceux et celles qui n’en veulent pas, mais ceux et celles-ci ont encore moins le droit de venir les combattre chez nous.

Tertio, le principe de « l’accommodement raisonnable » désigne l’effort auquel la société d’accueil consent pour que « les autres », les nouveaux venus, puissent s’y intégrer. Mais pour être raisonnable, cet accommodement doit être second et secondaire. C’est l’adaptation des nouveaux venus à la culture de la société d’accueil qui doit être accomplie en premier lieu. Sans volonté d’adaptation et d’acculturation de leur part, l’accommodement est le premier pas de la soumission.

Quarto, la bataille du burkini a provoqué un revirement spectaculaire chez nos révolutionnaires marxistes.  De l’ex-althussérien Etienne Balibar à l’ex-trotskiste Edwy Plenel, les voilà transformés en défenseurs véhéments des droits de l’homme, des droits des particuliers. Edwy Plenel se fait ainsi le champion des droits des minorités, des groupes particuliers, contre la domination de la culture commune, et Etienne Balibar dénonce même un « communautarisme d’Etat » dans la défense de la culture française contre le communautarisme islamiste dissident et agressif.

Si Marx pouvait lire cette apologie véhémente des droits de l’homme chez ses héritiers, il viendrait sans aucun doute  les désavouer en leur infligeant une Critique impitoyable. Je sais bien que Balibar et Plenel le savent, parce qu’ils connaissent leur Marx par cœur.  Cette remarque s’adresse donc uniquement aux lecteurs de Causeur qui n’auraient pas lu le livre que j’ai consacré à l’article de Marx intitulé Sur la question juive. Marx y fait le procès de la Déclaration des droits de l’homme et de l’émancipation politique qu’elle apporte. Il accuse l’émancipation politique de reconduire l’aliénation humaine, au motif qu’elle privilégie les droits de l’homme particulier sur les droits du citoyen. Selon lui, l’émancipation humaine exige l’abolition des droits de l’homme et même de l’homme  en tant que particulier, et sa transformation intégrale en citoyen, en membre exclusif de la communauté politique, par la disparition pure et simple de la société civile.

S’il lit Causeur d’où il est, Marx peut-il comprendre que ce retournement de veste chez ses plus fidèles adeptes s’explique, non par une conversion au libéralisme,  mais  par le remplacement des prolétaires par les musulmans dans le combat contre notre société ?

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André Sénik, professeur agrégé de philosophie.

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