Aurélien Marq nous rapporte le témoignage de Kahina, ex-salafiste
Rencontre inattendue, et heureux hasard. Sur Twitter, une internaute a commenté un de mes messages pour me faire remarquer, avec autant d’érudition que de délicatesse, que je m’étais trompé. Je pourrais dire que j’avais manqué de clarté, mais la vérité c’est tout simplement qu’elle avait raison. Et ce fut le début d’une série de conversations aussi stimulantes que chaleureuses.
Nom de plume: Kahina
Et cette jeune femme m’a fait l’honneur de sa confiance. Elle m’a parlé d’elle: ancienne salafiste, apostate, menacée de mort (ainsi que des proches) pour avoir eu le courage de suivre sa conscience plutôt que les prescriptions d’une secte. Elle m’a envoyé son histoire, et c’est peu de dire que son témoignage m’a ému. Je lui ai suggéré de le publier, je lui ai demandé de le faire: il est trop précieux pour ne pas être partagé. Elle a fini par accepter. J’espère que nous aurons encore bien d’autres occasions de la lire, ce qu’elle écrit est passionnant.
Elle a choisi pour nom de plume Kahina, la reine guerrière des Imazighen. Une héroïne qui s’est battue et qui est morte pour défendre son peuple. Les historiens ne savent pas si la Kahina était païenne, juive ou chrétienne, et peu importe! Ce qui importe, c’est qu’elle était une femme qui a eu le courage de se battre pour la liberté des siens.
La parole est à une de ses héritières.
Je suis née et j’ai été élevée dans une famille maghrébine musulmane classique. On fait le ramadan, on applique les restrictions alimentaires, on fait la prière. Surtout, on est convaincus qu’Allah existe et que nous, musulmans, sommes privilégiés et meilleurs que ces pauvres mécréants, ignares et dépravés, parmi lesquels nous vivons, car nous vivions en France. C’est un islam parfaitement pacifique mais un islam d’ignorance, car nous venant de grands-parents illettrés via des parents illettrés, qui ne nous ont transmis que le peu qu’ils en ont entendu par-ci, par-là.
Les imams gênés quand on les questionne
Certains aspects de l’islam nous posent problème, comme je pense à la majorité des musulmans « de culture ». Notamment le mariage avec une petite fille de six ans, l’esclavage légal, le statut de la femme, la violence de certains versets coraniques… Mais c’est notre religion, on n’a pas le choix, on fait avec, on trouve des excuses, on essaie de contextualiser. Et c’est bien souvent une démarche purement personnelle, qui ne se fonde sur aucune source tangible ou érudite. Il s’agit de se convaincre soi-même.
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Mais je suis de nature curieuse. En grandissant j’ai voulu approfondir, j’ai tenté de saisir un peu mieux cette religion, j’ai lu le Coran (sans tout comprendre). A ce moment-là, j’étais particulièrement troublée par l’idée du destin, de la prédestination. J’ai donc cherché des réponses, écouté énormément de conférences, posé beaucoup de questions à des imams. Pour moi, la prédestination n’avait aucun sens et je me suis rendue compte que mes questions gênaient plutôt les imams, qui finissaient invariablement par me reprocher de faire preuve d’une arrogance sans borne en tentant de comprendre la volonté d’Allah. Il fait ce qu’il veut comme Il veut, et j’étais une blasphématrice si je continuais à multiplier ces questions, car c’était mettre en doute la justice, la grandeur et la perfection d’Allah. J’étais donc priée de me remettre en question, moi… et c’est ce que j’ai fait, finalement.
Au début de ma quête, j’ai surtout écouté Hassan Iquioussen et Rachid Haddach, des prédicateurs francophones qui embellissent la religion et en minimisent les horreurs. C’était ce dont j’avais besoin à ce moment-là. J’avais besoin de me sentir convaincue. Dès lors, je me suis investie dans la religion, j’ai appris à faire certaines choses « parce qu’Allah me le demande ». Et il faut toujours faire ce qu’Allah demande. J’ai démissionné de mon travail et j’ai mis un petit hijab. Ça restait très soft.
Du coup, j’avais du temps pour un peu mieux apprendre la religion, et j’ai notamment découvert tous les châtiments promis aux mauvais musulmans. Et ça fait peur. J’avais alors cessé de me poser des questions – ce n’étaient que les insufflations du sheytan pour me faire dévier du bon chemin. J’avais entamé une vie où les notions de bien et de mal avaient disparu pour laisser place à celles de halal et de haram.
Violer, c’est halal?
Il y a un verset très commode dans le Coran qui m’a beaucoup aidé à supporter toutes les contraintes : «Il se peut que vous détestiez quelque chose alors que c’est un bien pour vous. Et il se peut que vous aimiez une chose alors qu’elle vous est néfaste. C’est Allah qui sait, alors que vous ne savez pas.» (Sourate Al Baqarah, verset 216)
Donc même les choses a priori détestables, on les fait. On met un jilbab, on se lève en plein milieu de la nuit pour prier. On jeûne régulièrement le lundi et le jeudi. La polygamie devient une bonne chose, puisque halal. On admet que la femme est inférieure à l’homme, car telle est la volonté d’Allah. L’homme peut imposer des rapports sexuels à sa femme, c’est-à-dire la violer, c’est halal. À l’inverse, écouter de la musique c’est mal ; la mixité, c’est mal ; serrer la main, c’est mal… Plus aucune valeur morale, en fait.
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Et faire le bien devient certes une obligation, mais on ne fait le bien que dans l’espoir de la récompense, ce qu’on appelle fissabilillah, ce qui veut dire « dans le sentier d’Allah ». Au fond, on ne cherche pas à être une bonne personne, seulement à obéir pour être récompensé et surtout ne pas être puni, car si tu fais suivre une mauvaise action par une bonne, la mauvaise est effacée… Et un jour, on apprend que le summum de la bonne action, c’est de tuer pour Allah !
Voilà la vie de salafi… La différence avec Daesh réside dans le fait que le salafisme juge cet état islamique illégitime (ou plutôt le considère comme un concurrent), et estime que les conditions du djihad ne sont pas réunies. Mais si demain un prédicateur saoudien décide de lancer une fatwa pour déclarer la guerre sainte contre l’Europe, les salafistes auront le devoir de prendre les armes…
J’ai pleuré et je n’ai plus cru
Et un jour… Tout a commencé à basculer.
En discutant avec des « islamophobes », je me rendais lentement compte que toutes les questions que j’avais mises de côté n’étaient pas résolues pour autant. Et qu’elles étaient légitimes. Quand le doute s’est insinué en moi à ce niveau-là, j’ai commencé à paniquer. J’ai eu énormément de débats, de discussions… Ma force venait du fait que je ne cherchais pas à convaincre, mais à être convaincue. Je cherchais la vérité.
J’étais en plein questionnement, et cette recherche de la vérité était mon seul moteur. J’ai alors découvert un type, un Arabe non musulman du Moyen-Orient, qui diffuse des traductions de fatwas islamiques. Je l’ai interpellé en lui disant « OK cool, ces vidéos sont dégueulasses, mais somme toute ce sont des types que personne ne connaît, et que personne ne suit. »
Il m’a répondu : « D’accord, et qui suis-tu, toi ? »
Entre parenthèses, il faut comprendre que pour les salafistes, il y a Dieu, Mohamed, les salafs, c’est-à-dire les compagnons de Mohamed et leurs premiers successeurs, et juste après les savants. On boit leurs paroles. On ne peut pas les contredire, car ils ont étudié l’islam toute leur vie. Donc ils sont les plus aptes à comprendre et à transmettre le message. Au final, nos savants sont sacrés à nos yeux et nous avons une confiance quasi absolue en ce qu’ils disent.
Ensuite, il m’a présenté des vidéos et des textes de savants que j’admirais. Il m’a inondée de fatwas violentes ou farfelues de mes savants favoris. Une vidéo concernait le cheikh Al-Fawzan justifiant la peine de mort pour apostasie. Une autre du cheikh Al-Arifi expliquant tranquillement comment battre une femme pour la faire obéir. J’étais chamboulée. Après ces échanges en public sur un réseau social, nous avons beaucoup communiqué en privé.
Un autre échange m’a marqué. Un jour, un de mes correspondants a publié la photo d’une femme battue, avec œil au beurre noir, en disant que cela avait été fait en application d’un verset du Coran (sourate 4, verset 34). J’ai débattu avec lui à ce sujet, en mentionnant une exégèse rapportant que l’homme peut frapper sa femme, mais pas dans le but de lui faire mal, et qu’il ne doit utiliser que le bâton de siwak, pas davantage.Bref, je défendais cette position, et mon correspondant m’a bloquée. J’ai cru avoir gagné, l’avoir laissé sans argument, et j’ai été ravie… pendant peut-être deux secondes. Puis je me suis rendue compte de l’horreur que j’étais en train de défendre…. J’ai pleuré, et je n’ai plus cru !
L’islam entend assainir la société
Je me suis demandé comment j’en étais arrivée là. Comment moi, la fille toujours un peu rebelle, pleine de joie de vivre, d’amour, de passion et d’ambition, j’en étais arrivée à défendre le droit d’un homme d’humilier sa femme. Ou plutôt ses femmes… Mais je refusais encore d’admettre que tout cela n’était que chimère. Je voulais croire. Je refusais d’assumer les conséquences (islamiques) du fait de ne plus croire.
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J’ai fait part de mes doutes à une amie musulmane très pieuse et très érudite, en prenant soin de minimiser autant que possible le trouble qui me rongeait. Et là, j’ai reçu une véritable claque. Toutes ces choses horribles que je défendais et auxquelles je voulais croire sont parfaites, inattaquables, dans leurs froides réalités, dans le prisme de la foi. J’ai alors vu une femme intelligente, aimante, tenter de me justifier, comme je l’avais fait tant de fois moi-même, tout le bien-fondé des châtiments corporels, qui visent à assainir la société, qui ont avant tout un but dissuasif. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’on recommande d’y faire assister un maximum de gens, en leur recommandant de n’éprouver aucune pitié pour ces horribles pêcheurs (sourate 24, verset 2).
Nous avons aussi évoqué la sagesse de l’assassinat de l’apostat, ou les bienfaits de la polygamie pour prévenir l’adultère. Mais enfin, enfin, je voyais combien tout cela était déraisonnable ! C’était une bonne chose, mais mécroire était encore au-dessus de mes forces. J’étais complètement perdue. Je n’étais plus assidue aux prières, mais l’arrêt de la prière signifie l’apostasie et je n’y étais pas prête, j’étais effrayée par mes propres pensées. Je me levais parfois en plein milieu de la nuit pour rattraper les prières manquées et pour implorer le pardon de mon Seigneur. Je lui demandais un signe, un seul minuscule signe pour me guider. Et le lendemain je recommençais, je remettais tout en doute, tout en question. Mais mettre en doute l’existence même de Dieu, c’était aussi remettre toute mon existence en question…
Se détourner de l’image du Prophète parfait
Le ramadan est arrivé. Je me suis dit que ce serait un moment décisif pour la suite. Qu’à terme je prendrais une décision, et que je m’y tiendrais. Je ne suis pas une personne indécise, et ces tergiversations sont pour moi la pire des choses. J’ai besoin de savoir où j’en suis. J’ai jeûné et prié tout le mois, et j’ai regardé chaque jour des vidéos de The Masked Arab (traduites en français), j’ai passé des heures à vérifier tout ce qu’il disait dans les sources islamiques. J’ai aussi découvert le « mariage » du prophète avec Safiya dans une vidéo d’un ex-converti, Ismaël Abu Adam. Et là aussi, tout venait directement des sources islamiques.
Au lieu de l’homme aimant et convaincant par sa piété et sa haute moralité que je m’imaginais, j’ai découvert un va-t-en-guerre qui massacrait ses opposants, terrorisait ses ennemis et était obsédé par le sexe. J’en ai été profondément écœurée. L’image de mon Prophète parfait, que j’aimais plus que mes propres parents, était brisée en mille morceaux, définitivement salie, souillée. J’ai alors pu réaliser que le Dieu pour lequel j’avais fait tant et tant de sacrifices au mieux n’existait pas, au pire était un sadique misogyne. Je me suis rendue compte que ce en quoi je croyais n’existait pas. Que j’avais fantasmé un Dieu et un Prophète, que cette religion avait fait de moi non seulement une femme soumise, et malheureuse, mais aussi un monstre capable de défendre l’indéfendable.
Dans un sentiment de désastre accompli, j’ai écrit ce texte. Comme pour réaliser moi-même, pour matérialiser ce que j’étais en train de faire. Et j’ai écrit ceci : il n’y a pas de dieu, et Mohamed n’est pas un prophète. Écrire cette phrase a été très difficile. Je savais que je franchissais un pas décisif.
Après l’avoir écrit, je m’attendais à ce que la terre cesse de tourner, ou à subir un châtiment avilissant, qu’il se passe quelque chose, quoi.
Mais j’ai simplement dormi comme un bébé.
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