Accueil Politique Isabelle Saporta: « J’ai un vrai problème avec la disneylandisation de Paris »

Isabelle Saporta: « J’ai un vrai problème avec la disneylandisation de Paris »

Entretien avec une ambitieuse


Isabelle Saporta: « J’ai un vrai problème avec la disneylandisation de Paris »
Isabelle Saporta ©Philip Conrad / Photo12 / AFP

Isabelle Saporta se présente avec Gaspard Gantzer comme l’alternative face au duel annoncé entre Anne Hidalgo et Benjamin Griveaux. L’ancienne journaliste revient sur son parcours et nous expose son programme axé sur l’écologie. Elle voit en Gaspard Gantzer une « troisième voie » pour la mairie de Paris, pas moins.


Martin Pimentel. Face à Anne Hidalgo, Benjamin Griveaux et probablement Rachida Dati et Cédric Villani, est-ce que Gaspard Gantzer a des chances de l’emporter à Paris ?

Isabelle Saporta. Oui, j’y crois vraiment. Je me lance dans une bataille car j’ai envie de la gagner, et je veux y mettre toutes mes forces. Si on se lance dans la bataille en pensant qu’on va la perdre, ce n’est même pas la peine d’y aller. Et, d’ailleurs, on ne va pas la gagner pour nous, on va la gagner pour les Parisiennes et les Parisiens, parce qu’on a un beau projet, enthousiasmant, et qu’on a envie de changer leur vie. Au début c’est toujours comme ça, on a l’impression qu’il y a des pôles un peu dominants qui se partagent l’affiche, mais je pense qu’à la fin, ce sont les idées qui vont gagner, celles de personnalités qui seront un peu en rupture avec le monde politique traditionnel.

Il y a un moment où on décide de se retrousser les manches et d’arrêter de faire des constats accablants en demandant à nos politiques de s’en saisir, où l’on décide de s’en saisir soi-même. Je vais essayer

Peu avant les élections européennes, où Europe Ecologie Les Verts (EELV) a fait un joli score, vous avez annoncé être en couple avec Yannick Jadot. S’ensuit la polémique que l’on connaît. Après un été où vous avez été assez discrets, voilà que vous avez annoncé au mois d’août que vous alliez seconder Gaspard Gantzer pour la mairie de Paris. Les coups d’éclat, ça semble être votre truc. Est-ce que Yannick Jadot vous encourage dans cette démarche auprès de M. Gantzer ?

Non, je n’aime pas les coups d’éclat ! Mais, je reconnais avoir une personnalité un peu volcanique. Je me suis effectivement affichée avec mon compagnon le soir de cette victoire parce que j’étais très fière de lui, et que c’est une campagne où on s’est beaucoup battu tous les deux. J’étais très fière d’être là.

Mais cette campagne pour Paris est toute autre : c’est une campagne municipale, de proximité, et c’est pour moi mes premiers pas en politique. Gaspard Gantzer est venu me voir dès la fin du mois de juin et m’a proposé cette idée de tandem. J’avoue que je n’étais pas du tout préparée, même s’il m’a rappelé que je voulais rentrer en politique lorsque j’ai quitté RTL, et qu’il m’en offrait la possibilité. Je n’ai pas répondu « oui » tout de suite. J’ai voulu réfléchir. J’ai posé des milliards de questions à Gaspard Gantzer, pour savoir jusqu’où il était prêt à aller sur les cantines, la vie au quotidien, la végétalisation de la ville, la lutte contre la canicule, bref surtout les projets écologiques. Quand j’ai été sûre que l’on parlait la même langue, j’ai eu envie d’y aller.

Bon, mais avec Yannick Jadot des Verts [qui vont présenter un autre candidat NDLR], y a-t-il eu des discussions compliquées ?

Vous savez comment ça se passe dans un couple ! Au début, il n’était pas forcément enchanté par cette perspective, mais il l’est maintenant car il est fier de moi, et, effectivement, j’avais besoin de cet engagement politique, qui ne pouvait pas se faire ailleurs que là. Il est à mes côtés.

Vous dites dans l’Opinon qu’Anne Hidalgo est comptable de la gestion de la ville depuis 20 ans. De votre côté, vous revendiquez une « parole libre » et donc votre fibre écolo. Vous avez fait Sciences Po Paris mais vous êtes « une bleue » en politique. De son côté, Gaspard Gantzer n’a jamais été élu non plus, même si Emmanuel Macron avait essayé de le parachuter pour les législatives, auxquelles il avait renoncé. Tout ceci étant rappelé, est-ce que ce n’est pas un peu prétentieux de vous présenter d’ores et déjà comme la « troisième voie » ?

Isabelle Saporta. Prétentieux ou ambitieux ? C’est très différent. Je pense que c’est très ambitieux. On a une ambition folle pour les Parisiennes et les Parisiens: cette ambition, c’est de changer notre façon de vivre au quotidien. Je rappelle qu’au fond Gaspard Gantzer a toujours fait de la politique, car il a été au plus près de Delanoë pendant 5 ans. De mon côté, j’ai pour ma part commencé à écrire mes livres et faire mes enquêtes il y a presque 20 ans maintenant. J’ai écrit des enquêtes de terrain qui étaient très politiques, parce qu’elles aspiraient à changer les choses. La question, c’est avant tout: est-ce qu’il y a un moment où comme moi on décide de se retrousser les manches et d’arrêter de faire des constats accablants en demandant à nos politiques de s’en saisir, ou est-ce qu’on décide de s’en saisir soi-même ? Je vais essayer. Je ne vous dis pas que je réussirai tout, mais au moins je vais essayer.

Vous quittez là vos sujets de prédilection, l’agriculture, le vin et la ruralité, pour vous lancer dans la capitale. Mais vous n’abandonnez pas votre fibre écolo. Actuellement, concernant le problème des retombées de plomb autour de Notre-Dame, est-ce que vous estimez que les autorités ont été défaillantes ?

Parfaitement défaillantes. Cela me touche particulièrement que vous abordiez ce sujet, car je pense que c’est ce scandale qui a achevé de me décider à rentrer en politique cet été. J’ai eu l’impression de revivre tout ce que j’ai déjà vécu sur les pesticides, le nucléaire, et plus largement sur toutes les questions où c’est à chaque fois la même histoire : les autorités se renvoient la balle. Là, on est le 2 septembre et Anne Hidalgo a fait un message très touchant pour souhaiter la bonne rentrée à tout le monde, mais pas un mot sur l’angoisse des parents. Rien, elle se planque, il n’y a pas d’autres termes. M. Blanquer, pareil: « Je crois que la mairie a fait ce qu’il faut, l’agence régionale de santé aussi ». L’agence régionale de santé a dit qu’elle pensait avoir fait tout ce qu’il fallait, mais qu’elle n’en était pas tout à fait certaine ; la préfecture, pareil. Le ministre de la Culture a été alerté neuf fois sur les dangers du plomb, mais rien. On est là avec des autorités qui ne font pas face et qui ne prennent pas leurs responsabilités. Il n’y aurait pas eu la chercheuse Annie Thébaud-Mony pour dénoncer ce problème, il n’y aurait pas eu les « Robin des Bois », il n’y aurait pas eu Mediapart, on n’en aurait pas entendu parler, et on aurait dit que tout allait très bien. Comme tout allait très bien avec le nuage de Tchernobyl. Je suis vraiment très en colère.

Gaspard Gantzer et moi sommes effectivement des personnalités de gauche. Mais, maintenant, le clivage droite/gauche ne veut plus rien dire. Aujourd’hui, la nouvelle matrice, c’est l’écologie

Vous êtes du quartier ? Où résidez-vous dans Paris ?

Non, je vis dans le XIVème, j’y suis née, et j’ai peur pour mes enfants, mais ce n’est pas que moi : tous les Parisiens sont concernés. En tant que mère de famille, je suis chamboulée par cette affaire.

Comment Gaspard Gantzer compte-t-il s’y prendre pour recouvrir le périphérique?

Non, on ne veut pas le recouvrir ! Ne serait-ce que parce qu’il y a des endroits où il est en hauteur. On veut carrément « le foutre en l’air », même si le terme est grossier. On veut le faire disparaître, sous des végétaux notamment. Il fait trente-cinq kilomètres, soit un arrondissement entier qu’on pourrait récupérer pour faire des espaces verts (quarante hectares), et pourquoi pas des maraîchages, des cultures bios, et aussi des logements sociaux, des habitations, des bureaux, des boutiques… Il faut faire vivre ce périphérique.

Mais, alors, comment va-t-on rentrer dans Paris ?

On ne va pas le faire en deux jours, mais en quinze ans. Nous organiserons un referendum ouvert sur Paris et tout le Grand Paris. Il faudra bien sûr beaucoup plus de transports publics que nous n’en avons à présent. Mais il faudra aussi réfléchir à cette rocade de l’A86, repenser nos transports. J’entends ce que vous dites sur le fait que c’est compliqué. Mais la question que je vous pose, c’est: est-ce que l’on continue à n’avoir aucune ambition pour Paris, comme on n’en a aucune pour la France, avec des gens qui sont capables de nous faire des projets à six mois près, ou est-ce qu’on a des gens qui rêvent en grand et veulent faire des projets qui changent radicalement notre manière de vivre dans les années qui viennent ? Je préfère avoir un peu, – enfin, beaucoup -, d’ambition.

On veut tendre la main au Grand Paris, à la banlieue parisienne, car on est tous Parisiens. L’idée, c’est d’abattre le mur. J’ai envie de rêver en grand.

La candidature de M. Gantzer est-elle une candidature de gauche ?

Gaspard Gantzer et moi sommes effectivement des personnalités de gauche. Mais, maintenant, le clivage droite/gauche ne veut plus rien dire. Aujourd’hui, la nouvelle matrice, c’est l’écologie. Soit on est capable de repenser nos transports publics, notre alimentation, notre industrie et nos commerces par ce prisme écologique, soit pas. La question est celle-là. Si j’avais une personnalité de droite aussi écolo que Jean-Louis Borloo avec qui discuter, lui qui a lancé le Grenelle sur l’environnement en 2007 et qui a essayé de transformer la France, je n’aurais pas hésité non plus, c’est évident.

Anne Hidalgo veut en permanence augmenter le nombre de millions de touristes qui rentrent à Paris. J’ai vu que, dernièrement, Gaspard Gantzer pestait contre le tourisme de masse à Paris. Comment comptez-vous limiter l’afflux touristique ? Et qu’est-ce que vous pensez tous les deux d’Airbnb ?

Gaspard Gantzer a pris des positions très fortes. Concernant Airbnb, que des gens qui ont du mal à joindre les deux bouts veuillent profiter d’un mois d’été pour sous-louer leurs appartements, ça peut être compréhensible. Mais dans ce cas ce n’est pas 120 jours, c’est 30 maximum. Avec Airbnb on assiste à un dévoiement au fond, de ces loyers trop chers. Airbnb fonctionne car on ne peut plus payer son appartement.

Moi, j’ai aussi un vrai problème avec la « disneylandisation » de Paris. On a vu avec la grande enquête sur les prix de l’immobilier que ne peuvent se payer des appartements à Paris seulement les gens qui ont des résidences secondaires qui ne sont en fait que des placements de luxe, où, de surcroît, ils ne mettent pas les pieds. On voit des quartiers entiers qui se vident de leur population. Il manque 1500 élèves dans les écoles parisiennes ! 12000 personnes quittent Paris chaque année. Les classes vont fermer comme dans les villages de France car on a décidé de faire de la capitale soit un Disneyland de luxe pour des personnalités qui peuvent se payer des appartements hors de prix, soit un Disneyland un peu cheap pour les multitudes de cars qui s’amassent dans Paris. Luxe d’un côté. Massification de l’autre. Ces cars créent une pollution énorme, et les gens ne visitent pas vraiment, ne s’arrêtent pas, un peu comme à Venise avec ses bateaux-immeubles. Paris ne peut pas être ça ! Je trouve ça dramatique.

Contrairement à Anne Hidalgo, ma priorité, c’est le quotidien des Parisiennes et des Parisiens, pas le tourisme. Pourquoi ne fait-on rien pour réfléchir à quelque chose qui sorte des sentiers battus du tourisme ?

Il y a effectivement des salariés pour qui c’est impossible de travailler à Paris et d’y vivre ; est-ce que M. Gantzer a quelque chose à leur dire ?

Il va falloir qu’on revoie toute notre politique, à commencer par la création de logements. Les familles ne peuvent plus rester à Paris, la ville doit donc contribuer à aider les gens qui veulent acheter. On va faire en sorte que la ville prête à taux zéro à tous les acheteurs potentiels qui sont dans les classes moyennes. On a un vrai problème à Paris : il y a 19000 logements pour les étudiants alors qu’il y en a plus de 300.000. Il y a un déficit colossal de logements sociaux. Or, vu ce qu’on gagne, plus des deux tiers des Parisiens pourraient y prétendre. Donc, il va falloir construire, on ne va pas se mentir. 12000 personnes quittent la capitale chaque année, ça ne peut pas continuer ainsi.

Que propose M. Gantzer sur les aspects sécuritaires? Des Parisiens sont ulcérés au nord de Paris, dans des quartiers proches du périphérique avec les problèmes de drogue, la « colline » du crack ou les migrants que l’on y rencontre. Il y a des habitants qui pensent que le quartier de La Chapelle n’est plus vivable. Qu’est-ce que propose votre programme ?

Avec Gaspard Gantzer, nous avons toujours défendu une police municipale à Paris. Nous n’avons pas découvert tout d’un coup de façon électoraliste que la question sécuritaire était importante, suivez mon regard…

Il va falloir qu’il y ait plus de présence policière dans ces quartiers, car il n’est pas pensable qu’une femme seule n’ose plus s’y promener la nuit. Il va falloir aussi traiter les problèmes de crack, du point de vue sanitaire comme sécuritaire. Chaque personne doit être suivie de façon sanitaire pour sortir de son addiction. Cela veut dire investir beaucoup de moyens, c’est évident. Il en faudra dans les métros aussi, en trouvant des accords avec la RATP, parce que cette ubérisation permanente de la société n’est plus possible. Il y a une semaine, à 9h du matin, à Réaumur-Sébastopol, j’ai failli me faire piquer mon portable: je me suis presque faite agresser par deux hommes ! Il n’y a jamais personne dans les métros, ni dehors la nuit, les gens « ont la trouille », ce n’est plus tenable.

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