Alors que la question de l’immigration fait la Une de tous les médias, les logements nécessaires à ces populations comme à celles qui vivent déjà dans les pays concernés se font de plus en plus rares et précieux.
A Dublin, face à la pénurie d’habitations d’urgence, il semble donc que les services sociaux mettent en place officieusement la préférence nationale dans le relogement des personnes sans domicile fixe. Un rapport de l’ONG Crosscare[1. Organisation liée à l’archevêché de Dublin qui œuvre à l’accueil de personnes immigrées en situation de grande précarité.], non publié mais montré aux journalistes de l’Irish Times, indique en effet que le Central Placement Service (CPS), l’instance chargée de l’aide aux personnes sans logement, renvoie les immigrés, mais aussi certains Irlandais récemment revenus de l’étranger, vers d’autres services. Et ce malgré l’obligation légale qui lui est faite de les prendre en charge.
Le rapport relève notamment des critères de sélection « douteux ». Mais la Dublin Region Homeless Executive (DHRE), administration responsable de l’action du CPS, réfute évidemment cette accusation. Son porte-parole, interrogé par l’Irish Times, assure au contraire que tout est fait pour prendre en charge les immigrés en situation précaire : « Un migrant indigent, qui risque de se trouver sans logement et qui se présente à la CPS, sera traité. Nous placerons cette personne et sa famille dans un hébergement… Nous cherchons toujours à empêcher que les gens dorment dans la rue, et à trouver une réponse efficace à ce problème. »
Cependant, le nombre de logements aujourd’hui disponibles en Irlande est inférieur au nombre de demandeurs. Pour cette raison, la DHRE a mis en place des critères de sélection assez stricts d’accès à ces habitations. Les personnes provenant de l’espace économique européen (les 28 de l’UE plus le Liechtenstein, la Suisse, la Norvège et l’Islande) doivent avoir un travail ou prouver qu’elles ont travaillé au moins un an en Irlande. Celles ne ressortissant pas de cet espace doivent en plus prouver qu’elles ont vécu en Irlande au moins cinq ans, en continu ou à différentes périodes.
Il semble pourtant que ces règles ne soient pas suffisamment strictes, puisque l’association Crosscare relève dans son rapport que la procédure de sélection des personnes se résume à une discussion rapidement expédiée. Le texte, daté de début mars, précise notamment que les personnes sont « sommairement renvoyées à la porte [du CPS] après quelques questions hâtives concernant leur nationalité ou leur période de résidence dans le pays ».
Ces demandeurs sont pourtant concernés par la NCU (New Communities Unit), une sous-administration uniquement en charge de l’accueil des populations immigrées. Face à cette situation, Crosscare note qu’elle a dû prendre en charge « au moins 80 » personnes indument renvoyées par le CPS alors qu’elles correspondaient aux critères de l’administration.
La DHRE refuse de prendre officiellement en compte ce rapport qu’elle dit juger « non fiable ». Elle semble pourtant bien avoir entendu certaines voix réclamer ces dernières années que l’on mette les logements irlandais à la disposition des familles irlandaises en priorité. Des slogans xénophobes avaient même été tagués sur quelques maisons de familles immigrées : « les Noirs dehors » ou « les maisons locales pour les locaux seulement ». À l’époque, de tels incidents avaient choqué de nombreux Irlandais, provoquant des rassemblements de soutien aux victimes.
Mais il semble que les partisans de la préférence nationale aient fini par l’emporter et que, face à la grave crise du logement, l’opinion des responsables eux-mêmes ait changée. Et si la stratégie présumée de l’administration irlandaise n’est pas comparable aux agissements de quelques excités, elle reste symptomatique d’un changement de rapport aux populations étrangères. Idée honnie hier, encore peu assumée aujourd’hui, la préférence nationale serait en passe de devenir un réflexe inconscient au sein de l’administration irlandaise.
*Image : wikicommons.
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