Si pendant l’espace de deux années de nombreuses Iraniennes ont manifesté contre le voile obligatoire en Iran, leurs voix ont depuis été étouffées par la répression féroce des autorités iraniennes.
Le 27 décembre 2017, sur une armoire électrique de l’avenue Enghelab, Vida Movahed apparaissait, tête nue, brandissant au bout d’un bâton un hijab blanc afin de manifester contre le voile obligatoire.
L’image iconique de cette jeune femme de 31 ans venait alors mettre en lumière le mouvement féministe « My steathy Freedom »
Au cours des derniers mois de l’année 2017, fleurirent par milliers sur les réseaux sociaux, des photos de femmes et d’hommes arborant un hijab blanc. La campagne #WhiteWednesdays (mercredis blancs) fut largement relayée par la page Facebook du mouvement « My Steathy Freedom » crée par Masih Alinejad.
Cette journaliste iranienne, aujourd’hui exilée à New York, se bat depuis 2014 pour que ses concitoyennes puissent vivre tête nue dans la Perse des Mollahs et entend dénoncer le conditionnement des femmes à la servitude opéré par l’histoire, la culture et les normes familiales. Selon la journaliste, dans les pays où il est obligatoire, le hijab constitue un mur permettant de garder les femmes sous surveillance. Cela est particulièrement vrai lorsque le voile est obligatoire mais « même dans les pays musulmans » où il ne l’est pas, les femmes indépendantes doivent faire face aux pressions sociales et aux nombreux tabous.
À la suite du coup d’éclat de Vidah Movahed, de nombreuses Iraniennes, baptisées les « Girls of Revolution Street », suivirent son exemple en postant, chaque mercredi, sur les réseaux sociaux des vidéos et photos d’elles arpentant les rues iraniennes têtes nues et voile à la main.
En exerçant une forme de désobéissance civile, ces résistantes iraniennes avaient alors rejoint un puissant mouvement d’émancipation des femmes symbolisé par la lutte contre les dispositions de l’article 638 du Code pénal iranien qui sanctionnent les femmes qui apparaissent en public sans le voile islamique, d’une peine de prison de dix jours à deux mois ou d’une amende.
Les autorités iraniennes réagirent brutalement en faisait arrêter violemment ces femmes et en les envoyant en détention dans des prisons où la torture et le viol collectif sont monnaie courante. Le chef du parquet iranien et le haut responsable du tribunal révolutionnaire de Téhéran, avaient alors qualifié ces féministes d’« imbéciles », de femmes « infantiles », « mauvaises », « perverties », « malfaisantes », et les accusant d’association avec des « ennemis étrangers ».
Depuis janvier 2018, les autorités ont fait arrêter au moins 48 défenseurs des droits de femmes, dont quatre hommes selon Amnesty International. La plupart ont été torturés et condamnés à des peines d’emprisonnement et de flagellation à l’issue de procès expéditifs.
Le 2 mars 2018, Vida Movahed sera condamnée à une peine d’un an d’emprisonnement avant d’être libérée en mai 2019. La semaine suivante, Narges Hosseini, une étudiante en sociologie de 32 ans se verra infliger une peine de 24 mois d’emprisonnement pour avoir, selon les juges, incité le peuple à la corruption par le simple fait d’avoir ôté son voile en public.
Deux semaines plus tard, Maryam Shariatmadari, étudiante de 32 ans, subit à son tour les foudres de la justice iranienne en se voyant condamnée par la cour criminelle de la Province de Téhéran à une peine d’une année d’emprisonnement.
Au cours du mois de novembre 2019, des manifestations eurent lieu contre l’augmentation du prix du carburant annoncée par les autorités en prenant pour cible les plus hauts dignitaires de la République islamique. À cette occasion le gouvernement iranien, accusant les manifestants d’être des agents de l’étranger, procéda à une coupure de l’accès à internet d’une ampleur sans précédent. Dès lors, les Iraniennes ne pouvaient donc plus partager sur les réseaux sociaux leur combat contre le voile obligatoire. La pandémie mondiale qui s’ensuivit étouffa un peu plus leurs voix et mis un terme provisoire à campagne #WhiteWednesdays.
Alors que reste-t-il de ces résistantes et de leur combat pour leur émancipation?
Certaines, à l’instar de Shaparak Shajarizadeh, ont pris la lumière. Cette jeune femme de 44 ans est devenue l’une des porte-paroles du mouvement de contestation contre le voile obligatoire et pour l’émancipation des Iraniennes. Lorsque je l’ai rencontrée à Toronto, où elle vit désormais en exil, Shaparak Shajarizadeh me raconta comment elle dut fuir l’Iran avec son fils sous le bras, afin d’échapper à la peine d’emprisonnement que lui réservait la justice iranienne pour avoir manifesté contre le voile obligatoire.
Je fus frappée par sa grande bonté et son inaltérable détermination à continuer le combat contre le voile obligatoire depuis le Canada et à porter les voix des militantes emprisonnées dont son avocate, la célèbre Nasrin Sotoudeh. Avant qu’elle ne soit arrêtée, Nasrin Sotoudeh fut pendant de longs mois l’avocate des Iraniennes qui avaient été battues et emprisonnées pour avoir manifesté contre le voile obligatoire.
Incarcérée depuis plus de deux ans dans la prison d’Evin, à Téhéran, cette femme de 57 ans, a été condamné à 38 ans de prison et 148 coups de fouet pour « Conspiration contre le système », insulte contre le Guide suprême et incitation à la corruption. Le sort de cette militante des droits humains toucha de nombreuses personnes à travers le monde. Des pétitions virent le jour, poussant ainsi de nombreux responsables politiques à demander sa libération.
Depuis le 10 août dernier, Nasrin Sotoudeh a entamé une grève de la faim afin de demander la libération des prisonniers politiques menacés par la pandémie. Sous perfusion et ne consommant que de l’eau, du thé, du sucre et du sel, sa santé se détériore de jour en jour.
Quant à Masih Alinejad, les autorités iraniennes ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux appelant à son enlèvement après avoir obligé sa sœur à apparaître à la télévision d’Etat pour la renier et après avoir fait condamner son frère à huit ans de prison.
Désormais, la répression s’exerce au-delà des frontières iraniennes. Ces derniers jours, les autorités iraniennes ont demandé à la Turquie l’extradition de Maryam Shariatmadari, l’une des militantes contre le voile obligatoire. En 2018, cette étudiante de 32 ans, blessée au genou après avoir été poussée violemment du promontoire sur lequel elle brandissait son hijab, s’était vue refuser son transfert à l’hôpital avant d’être passée à tabac en prison. Condamnée par la Cour criminelle de Téhéran à une peine d’un an d’emprisonnement, Maryam Shariatmadari avait décidé de fuir en Turquie après qu’elle et sa mère avaient été sauvagement battues et arrêtées par les gardiens de la révolution en raison de sa popularité croissante sur les réseaux sociaux.
Preuve que ces deux années de désobéissance civile ont fini par imprégner l’inconscient collectif, ces dernières semaines, des Iraniennes ont trouvé le courage de dénoncer les nombreuses agressions sexuelles dont elles font l’objet au quotidien. Le mouvement a pris une telle ampleur que les autorités ont encouragé les victimes à venir déposer plainte.
Il nous faudra témoigner devant les générations futures que des Iraniennes se sont battues afin que jamais plus une femme ne soit arrêtée, battue, traitée de pute ou attaquée à l’acide pour avoir simplement choisi de ne pas revêtir l’instrument de son asservissement. Alors, avant qu’elles ne soient définitivement recouvertes par les prêches rageurs des Ayatollahs, entendons ces voix qui s’élèvent par-delà les frontières de la Perse éternelle.
Peut-être nous réveilleront-elles de cette torpeur mortifère dans laquelle nous sommes plongés, nous permettant ainsi de défendre pleinement nos valeurs républicaines face aux coups de boutoir assenés par les soldats de l’ombre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !