Si l’on écarte la mauvaise foi des anti-hollandistes primaires, force est d’admettre que l’hypothèse d’une intervention en Syrie n’est pas uniquement fondée sur un discours moral et justicier. Quand bien même cette option s’appuierait sur l’émoi médiatique – ce qui n’est pas évident, l’opinion française étant partagée –, rappelons qu’en démocratie, l’émotion fait partie du jeu diplomatique. Les analyses les plus réalistes ne s’y trompent pas en l’intégrant dans le calcul coût de l’intervention/ bénéfice stratégique de leurs études prospectives. Ainsi rationalisée, l’émotion peut être utilisée à bon escient. Mais la future « intervention en Syrie » (une guerre qui ne dit pas son nom) a aussi des raisons stratégiques évidentes, que la compassion médiatique obscurcit.
Ici, l’exécutif joue sa crédibilité. Sans passage à l’acte, le discours politico-militaire risque de perdre de sa force, au cas où les menaces sur la fameuse ligne rouge à ne pas dépasser restaient lettre morte. De surcroît, le bombardement de cibles militaires syriennes, atteindrait par ricochet son fournisseur russe et ses alliés iraniens et hezbollahi. Il serait un signal évident pour le programme nucléaire iranien. Lequel, s’il devait déboucher, ne manquerait pas de pousser ses voisins à s’équiper de la bombe. La prolifération d’armes de destruction massive rendrait la région encore plus explosive, le mécanisme de la dissuasion ne faisant pas forcément effet dans un contexte religieux et clanique compliqué. Voilà la logique des diplomaties française et américaine.
Au fond, François Hollande et Barack Obama se ressemblent. Ce sont deux hommes intelligents, deux hommes de synthèse, assez pragmatiques et peu idéologues. Ils préfèrent le consensus et les compromis politiques à la guerre, autant par tempérament que par conviction. C’est pourquoi le bombardement en Syrie sera probablement plus cosmétique que destructeur si toutefois le Congrès américain veut bien y donner son aval. Rien à voir avec Belgrade en 1999 ou Bagdad en 2003. Mais tant du côté d’Obama que d’Hollande, un certain penchant à réconcilier sans arrêt les contraires peut apparaître in fine comme de l’hésitation.
Cela n’empêche pas les deux dirigeants de commettre de lourdes erreurs stratégiques. On peut discuter de la pertinence d’une stratégie qui consiste à s’appuyer sur les monarchies d’obédience wahhabite de la péninsule arabique contre l’Iran chiite. Ce choix laisse pantois, notamment à Bahreïn où l’Occident a observé les blindés saoudiens écraser la révolte sans s’indigner outre mesure.
Plus globalement, le soutien aux monarchies sunnites est peut-être guidé par des considérations pétrolières et militaro-industrielles. Pourtant, les ressources ne manquent pas de l’autre côté du Golfe… La politiquement de l’apaisement avec Israël qu’ont adopté les Seoud a sans doute joué, de même que les provocations et imprécations de l’ancien président Ahmadinejad à Téhéran.
Comble du paradoxe, les partisans de l’alliance avec le camp sunnite n’ont que le mot démocratie à la bouche ! Alors même que la démocratie en Iran, certes fragile et faussée par une théocratie prégnante, reste bien plus développée qu’à Riyad ou Doha. Et une éventuelle opération militaire en Syrie enverrait un mauvais signal au camp modéré iranien, lequel cherche des appuis pour enfin séparer le trône de l’autel.
Plus grave, dans cette affaire, la France risque de perdre tout crédit auprès des minorités religieuses. Depuis François Ier, la tradition levantine veut que Paris en soit la gardienne. Alors que la présence chrétienne, druze ou alaouite était jusqu’ici un gage de pluralisme au Levant, ces minorités sont aujourd’hui à la merci du jihadisme sunnite qui les menace d’une épuration religieuse. La France ayant abandonné sa mission protectrice, ces communautés se tournent tout naturellement vers la Russie et l’Iran.
Enfin, en bravant le probable veto du conseil de sécurité, la France scie la branche sur laquelle elle est assise. Du fait de l’histoire, elle s’est retrouvé miraculeusement à la table des cinq grands en 1945. En contournant l’ONU, elle délégitimerait ce subtil mécanisme garant de l’équilibre des forces et affaiblirait encore un peu plus sa position pour la suite…
*Photo : François Hollande.
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