Alors qu’il fait l’objet d’une contestation populaire de plus en plus forte, et qu’il est fragilisé par la défaite de ses proxys du Hamas et du Hezbollah et la chute du régime d’Assad, le régime des mollahs iraniens affiche des faiblesses structurelles qui pourraient bien le conduire à sa perte.
C’est un évènement passé inaperçu, qui en dit pourtant long sur les fragilités de la République islamique d’Iran. Le 23 octobre, des clercs du régime réunis en séminaire à Qom, appelaient à la reconnaissance de l’État d’Israël dans ses frontières de 1967. Dire qu’une telle prise de position apparaît plus que singulière, alors que l’État hébreu livre une guerre sans merci aux proxys terroristes de l’Iran, est un euphémisme. D’abord, parce que Qom, ville sainte du chiisme, est par excellence l’un des centres du pouvoir des mollahs. C’est là qu’ils sont formés, et qu’ils forment à leur tour, au sein de l’université religieuse de la ville, ceux qui deviendront les agents d’influence de la République islamique d’Iran. Ensuite, parce qu’une telle prise de parole ne reflète absolument pas la position officielle du Guide suprême, Ali Khamenei, qui menace de rayer Israël de la carte.
Bras de fer
Faut-il voir, dans cette contradiction, le signe d’une fracture au sein du régime iranien ? C’est en tout cas ce qu’explique une source iranienne proche du bureau du guide suprême, avec qui nous avons longuement échangé par messagerie cryptée : « Il y a aujourd’hui un bras de fer qui se joue entre les conservateurs, et les réformateurs. Mais ce serait une erreur de croire que leur opposition marque une différence idéologique. En réalité, les deux camps se font la guerre car les réformateurs, qui tiennent avec les Gardiens de la révolution islamique une partie de l’économie iranienne et les circuits de contrebande, pensent qu’un conflit avec Israël est mauvais pour leurs affaires, et que la République islamique n’y survivra pas. »
Des propos confirmés par l’un des experts qui connait le mieux les arcanes de la République islamique : le Franco-iranien Matthieu Ghadiri. Cet ancien agent double du contre-espionnage français, qui vient de publier Notre agent iranien (éditions Nouveau Monde), a été infiltré au sein du Corps des gardiens de la Révolution islamique. Et il l’affirme : « le premier président du courant réformateur était Mohammad Khatami, élu en 1997. Avec son élection, tout le monde, aussi bien en Iran qu’à l’étranger, pensait que le régime allait changer et devenir acceptable et fréquentable. D’ailleurs, Chirac l’a reçu en visite officielle à Paris fin 1999. Depuis, les réformateurs sont très influents dans les ministères, en particulier celui des Affaires étrangères. Mais ce que l’on oublie, c’est que les réformateurs iraniens ne sont pas des modérés et que la seule chose qui les différencie des conservateurs est la façon dont ils veulent gérer les affaires. Ces deux courants adhèrent à la constitution islamique, sont antisémites et s’opposent à la laïcité, les libertés individuelles et la démocratie libérale. Les réformateurs font donc semblant d’être modérés pour rassurer le monde occidental, mais dans les faits, leurs divergences avec les conservateurs ne sont pas profondes ».
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Si le courant réformiste veut éviter le conflit avec Israël et les Etats-Unis, c’est aussi parce que les relations avec les partenaires russe et chinois connaissent quelques fausses notes. Moscou se montre peu favorable à l’idée de soutenir les mollahs dans le cas d’une guerre avec Israël et ses alliés occidentaux, quand Pékin s’émeut de plus en plus des leurs velléités militaires, lesquelles pourraient – en cas de chute du régime – mettre fin au flux de pétrole iranien bon marché.
Eviter l’escalade
La victoire de Donald Trump est aussi une source d’inquiétude à Téhéran. Selon la chaine Iran International (appartenant à l’opposition au régime), Abdullah Naseri, l’ancien PDG de l’agence de presse officielle iranienne (IRNA), aurait indiqué, le 7 novembre, que le Guide suprême et le Corps des Gardiens de la Révolution ont « peur de Trump », et que son accession à la Maison Blanche allait avoir pour conséquence l’affaiblissement de leur influence au Moyen-Orient. La raison de cette analyse tient au fait que le régime se sait affaibli sur le plan militaire, mais aussi voire surtout sur le plan intérieur.
Les récentes frappes israéliennes sur l’Iran ont mis à mal une importante partie de son système de défense anti-aérien iranien. En conséquence, un certain nombre d’officiers du Corps des Gardiens de la révolution et de sa force al Qods (l’unité d’élite en charge de ses opérations extérieures), se montrent critique vis-à-vis de la stratégie d’Ali Khamenei. Pour eux, Téhéran n’a pas les moyens d’une guerre avec Israël et ses alliés. Leur conclusion est qu’il faut trouver une entente avec les pays occidentaux, États-Unis en tête, afin d’éviter le pire. Une posture alarmiste au plus niveau de l’État, qui s’explique par le fait que les frappes ciblées orchestrées par Israël au Liban et en Syrie ont décapité une partie du commandement du Hezbollah, et tué plusieurs officiers de la force la Qods. Or, puisque les officiers de ce corps ont chacun son propre réseau d’informateurs, ces derniers sont de fait « HS » suite à l’élimination de celui avec lequel ils étaient en contact. Résultat : face à Israël, Téhéran est à la fois plus fragile et moins bien informée.
Autre point, et non des moindres : l’Iran est traversé par une crise économique d’une exceptionnelle gravité. Un Iranien sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté, et les 2/3 du territoire n’ont qu’un accès restreint à l’eau potable. À Téhéran (8,9 millions d’habitants), Machhad (4,1), ou Ispahan (2), des millions de gens peinent à se nourrir deux fois par jour. Dans un pays où la moyenne d’âge est de 32 ans, et la jeunesse surdiplômée, le chômage élevé (20%) exacerbe les tensions entre défavorisés et les privilégiés du régime. Partout en Iran, il est reproché aux dignitaires de la République islamique de s’enrichir sur le dos des autres, alors qu’il est de notoriété publique qu’au sein du Corps des gardiens de la révolution islamique, comme au plus haut niveau du gouvernement, des fortunes colossales ont été amassées par ceux-là mèmes qui réprimandent férocement toute forme de contestation populaire, même pacifique.
Un régime qui vacille
Pour Amir Hamidi, ex-agent spécial de la DEA (agence américaine de lutte contre les stupéfiants), spécialiste du Corps des Gardiens de la Révolution, cette situation est due à sa stratégie, jugée irrationnelle consistant à nier leur propre rôle : « la dernière fois que Khamenei a rencontré l’ensemble des membres de l’état-major du Corps des Gardiens de Révolution Islamique, il les a avertis que pour protéger le régime, ils devaient d’abord s’attaquer à ses faiblesses internes. Sauf que pour le faire il les a exhortés à connaître l’ennemi et à amplifier leur opposition aux États-Unis d’Amérique (…). Son obsession à blâmer les nations étrangères et à négliger de résoudre les problèmes intérieurs à l’Iran a cependant soulevé des inquiétudes quant à sa capacité à diriger efficacement le pays (…). Il suffit d’ailleurs de parler avec des fonctionnaires au sein du régime, pour mesurer leur niveau de défiance vis-à-vis de leur hiérarchie. »
Pour l’heure, malgré la contestation populaire et la crise économique, le pouvoir iranien ne tombe pas. L’avocat franco-iranien Hirbod Dehghani Azar, qui œuvre à la mise en place d’une cour pénale internationale pour juger les auteurs de crimes contre l’humanité en Iran, explique les raisons de cette résilience : « le régime vacille. Mais il tient encore par la violence, par les crimes qu’il perpètre et la mise en œuvre d’une politique tyrannique. Il fait aussi beaucoup de désinformation. Il a notamment fait passer des éléments de langage aux diplomaties occidentales pour leur faire peur. Les mollahs assurent par exemple que si la République islamique venait à tomber, alors il y aurait une partition du pays, ce qui est une aberration. »
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Iranienne réfugiée en France, Sepideh Pooraghaiee est activiste politique. Elle préside l’association « Renaissance Moyen-Orient », qui vise à sensibiliser et fournir des outils éducatifs sur les questions du Moyen-Orient. En contact quotidien avec différents mouvements de résistance à l’intérieur du pays, elle témoigne : «si le régime iranien continue de s’affaiblir, les militaires [en Iran il existe deux armées, celle héritée de l’ancien régime et le corps des gardiens de la révolution islamique créé en 1979 par décret de Khomeini] pourraient rejoindre la contestation populaire. Il faut donc l’anticiper, car si personne ne le fait, alors cela fera comme au moment de la révolte de Mahsa Amini, en septembre 2022. Tous ceux qui prendront le risque de descendre dans la rue seront réprimés avec force. » Résignée, elle ajoute : « cela me fait mal au cœur de le dire, mais Israël doit terminer le travail qu’il a commencé, et poursuivre ses bombardements contre l’Iran, même si cela a pour conséquence de faire des victimes. À l’intérieur du pays, les Iraniens le veulent et le disent. Ils savent que la faiblesse du régime tient au fait que le mouvement populaire qui s’oppose à lui est très fort. Il est indispensable de lui donner les moyens de poursuivre sa lutte ». La voix tremblante, la jeune femme poursuit : « il n’y a presque plus d’électricité en Iran. Les infirmières, les médecins et les gens éduqués cherchent à quitter le pays, pour fuir ce gouvernement barbare. Certains se suicident. Franchement, nous sommes désespérés. On se demande aussi ce que font les Américains. Ils ont des bases dans le golfe Persique, proches géographiquement de celles des gardiens de la révolution. Alors pourquoi ne les traitent-ils pas comme ils traitent les groupes terroristes sunnites ? Il faut être honnête : les gens sont fatigués. Si la République islamique se maintient plus longtemps, le pays finira par sombrer économiquement, car plus rien ne fonctionne. Cela aura des conséquences terribles pour le monde entier », prévient l’opposante, qui conclue : « il y a tant de compétences au sein de la population iranienne. Il est temps de lui faire confiance. »
En écho aux propos de Sepideh, Firouzeh[1], une étudiante en relations internationales de 25 ans à l’université d’Ispahan, nous confiait il y a peu : « dans le secteur privé comme au sein de l’administration, la contestation est de plus en plus importante, tout le monde le sait. Le gouvernement est à l’agonie. Le seul qui ne veut pas le voir, c’est le Guide suprême, alors que tout le monde sait bien que c’est fini, et que ce régime ne tiendra pas des années. C’est donc le moment où jamais pour le faire tomber ».
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[1] Son nom, son âge et son lieu d’études ont été modifiés à sa demande
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