«L’Iran semble reculer, ce qui est une bonne chose pour toutes les parties concernées et pour le monde», a dit Trump le 8 janvier. L’analyse du camouflet iranien par Gil Mihaely.
Après l’assassinat ciblé de Qassem Soleimani, une figure importante du régime et un proche du guide suprême Khamenei, l’Iran s’est engagé à venger sa mort.
Dans les premières heures de mardi dernier, les Iraniens ont lancé une salve de missiles visant deux grandes bases militaires irakiennes abritant des militaires et du matériel des forces américaines ainsi que de nombre de leurs alliés. Si l’Iran s’arrête là – et rien n’est moins sûr – la séquence militaire qui a commencé par l’attaque des drones américains vendredi à 1h20 du matin à Bagdad se termine avec un KO pour l’Iran dont la riposte était un fiasco, sans parler de la bousculade meurtrière pendant les funérailles de Soleimani qui a coûté la vie à une cinquantaine de personnes selon les médias officiels iraniens. Imaginez ce qu’un épisode mortel similaire aurait provoqué dans un pays occidental, et avec quelles conséquences politiques et médiatiques. En Iran, en revanche il s’agit d’un chien écrasé ! Mais revenons à cette fameuse revanche. Dans le cas qui nous intéresse, parler de « revanche » est un pur abus de langage.
Dégâts matériels légers, communiqués triomphants
Selon les photos des missiles iraniens qui ont raté leurs cibles et n’ont pas explosé, il s’agit très probablement des missiles de croisière made in Iran de la famille Soumar, peut-être même le tout dernier modèle, Hoveyze, opérationnel depuis quelques mois. Selon les sources américaines et irakiennes, entre 12 et 22 missiles ont été tirés sur les deux bases irakiennes d’Ein el Assad (base aérienne) et Qayarrah Ouest près d’Irbil, dans la province kurde. Selon les images prises par un satellite commercial, la base aérienne d’El Assad a été touchée par cinq missiles qui ont provoqué des dégâts matériels relativement légers. Les communiqués des gardiens de la révolution (armée bis d’Iran mais aussi une méga entreprise économico-mafieuse) et du guide de la révolution ont été triomphants, annonçant 80 morts et des dégâts considérables.
Pour de tels résultats et une telle communication, des États-majors sont limogés honteusement dans les pays occidentaux. Pas en Iran.
Et d’ailleurs très vite, face à ces mauvaises performances du système d’armement le plus sophistiqué de l’industrie militaire iranienne, la machine à sur-interpréter s’est mise en marche : les Iraniens, ces géniaux joueurs d’échec, ont fait exprès de rater ! Dans leur humanité, ils ont épargné des vies humaines pour contribuer à la désescalade… Les bouchers de 2009 et de novembre 2019 ont été touchés par la grâce…
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Ce bilan minable est caractéristique de l’Iran. Leurs milices en Syrie sont nullissimes. Il aura fallu que leurs ennemis – les bras cassés de Daech – soient encore plus nuls qu’elles pour qu’elles arrivent à bout des quelques milliers de frères Kouachi. Avec un nombre incroyable de bavures et des pertes énormes ! L’armée syrienne était encore plus mauvaise, sans parler de ce qu’on appelle par courtoisie « l’armée irakienne » laquelle s’est évaporée au début de l’été 2014 devant les milices d’el Baghdadi. Voilà les adversaires de l’Iran et leur benchmark… Tactiquement donc, pour reprendre la phrase du guide suprême, une claque retentissante a été affligée ces derniers jours en Mésopotamie, mais elle a brulé la joue de l’Iran. Dans un contexte plus large, les choses sont moins nettes.
Pousser les Iraniens à débarrasser leur pays du régime qui l’étouffe depuis 40 ans
La force des Iraniens est leur fanatisme (ils ne doutent jamais), leur idéologie islamiste, leur mépris de la vie humaine et la patience. Rien d’autre. Leurs performances techniques sont déplorables, ils n’ont même pas une armée de l’air digne de ce nom, mais derrière la colline il y a toujours des bataillons de martyrs prêts à inonder les lignes ennemies. Ainsi, la seule manière de vaincre l’Iran est d’empêcher les zélotes qui la dirigent de joindre le nationalisme au fanatisme chiite.
Quand les Iraniens se sentent visés en tant que nation souveraine, ils se rangent derrière leur gouvernement, même s’ils sont très nombreux – et cela se voit assez souvent – à le détester. La rage qui avait fait suite à la répression terrible des manifestations de novembre est passée au deuxième plan. La colère et l’humiliation de la mort de Soleimani l’ont remplacée. Voilà ce qui est réellement dommageable pour Trump et la stratégie occidentale des sanctions qui vise à réduire le soutien de la population au régime. Au lendemain de cette séquence très tendue, l’Iran est certes affaibli, mais le régime tient bon grâce à sa capacité de mobilisation du sentiment national.
Selon les services de renseignements américains et britanniques, le Boeing d’Ukraine International Airlines a été abattu par des missiles qu’auraient tiré les forces militaires iraniennes. Ainsi s’expliquerait l’accident ayant abouti à la mort de 176 passagers et membres d’équipage. Cette information, qui s’appuie notamment sur l’imagerie spatiale et des écoutes (communications et messages électroniques), est corroborée par une vidéo prise par des Iraniens et vérifiée par le New York Times.
Ces images semblent montrer un missile explosant près d’un avion au-dessus de Parand (une ville nouvelle créée après la révolution de 1979 pour servir de résidence aux employés de l’aéroport international de Téhéran), l’endroit où le vol 752 d’Ukraine International Airlines a cessé de transmettre son signal. Il faut rappeler que les ogives missiles sol-air sont déclenchées par une fusée de proximité et donc, comme c’est le cas dans cette vidéo, ils ne touchent pas directement leur cible mais explosent au moment où ils commencent à s’en éloigner. La raison est simple : on ne peut jamais savoir qu’un objet se trouve au point le plus proche d’un autre objet avant que la distance entre les deux commence à croître, indiquant que ce point vient d’être dépassé.
Si ces informations sont vérifiées (il ne s’agit pour l’instant que d’une grande probabilité), on peut en tirer plusieurs conclusions. Tout d’abord, comme indiqué plus haut, cet incident suggère que le niveau des forces de défense aériennes iraniennes laisse à désirer et serait comparable à celui des leurs collègues syriens et russes (ceux qui ont abattu par erreur l’avion de Malaysian Airlines en 2014). Le brigadier général Alireza Sabahifard a donc des soucis à se faire. Mais si ses hommes ont effectivement cafouillé, il peut être tranquille pour le moment : la stratégie de communication iranienne consistant à nier en bloc le protège. Si comme on dit à Téhéran, l’avion ukrainien a souffert d’une grave avarie technique, pas besoin de limoger le général chargé des batteries sol-air ni de faire une enquête. Et c’est ainsi que les ayatollahs creusent leur tombe. Un peu à la façon des dirigeants de l’URSS dont la série Tchernobyl a si bien su dépeindre la fin.
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