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Iran : la carotte sans le bâton


Iran : la carotte sans le bâton

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« Speak softly and carry a big stick », disait le président américain Theodore Roosevelt. Avec les Iraniens, Barack Obama a clairement changé de ton : il leur parle avec douceur. On attend qu’il s’empare d’un gros bâton.

Quand un nouveau cycle de négociations s’engage entre l’Iran et les « 5+1 » (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne), nous sommes toujours face à la même question : que veulent vraiment les Iraniens, ou plus exactement le régime et ses soutiens – Gardiens de la révolution, nomenklatura de fonctionnaires et autres bénéficiaires du système actuel ? Depuis juin dernier, le régime est plus que jamais dans une logique de survie, et ses intérêts, y compris géopolitiques, ne sont plus ceux de la nation. Si le « parler doux » d’Obama a certainement quelque chose à voir avec l’émergence récente d’un autre Iran, un bâton gros et crédible reste toujours de mise. Malheureusement, vu de Téhéran, c’est loin d’être le cas.

Vis-à-vis de ce qu’on a l’habitude d’appeler « la communauté internationale », le parti de Khamenei, le guide suprême n’a pas grand-chose à craindre. Les derniers signaux adressés à Téhéran lui laissent une marge de manœuvre considérable. Premier message : le rapprochement moyennement réussi entre Washington et Moscou. Déjà, quelques semaines après son installation à la Maison Blanche, Obama avait proposé à Medvedev le marché suivant : l’arrêt du programme de bouclier antimissile en Europe, en échange de l’appui de Moscou dans le dossier nucléaire iranien. Le marché est conclu le 18 septembre. La Maison Blanche annonce l’arrêt de l’implantation du radar à longue portée en république Tchèque ainsi que de la batterie de missiles intercepteurs en Pologne, et Dimitri Medvedev estime publiquement que les sanctions contre l’Iran sont « inévitables dans certains cas ». Les Iraniens peuvent se délecter de cette magnifique formule qui, tout en se donnant l’air de la fermeté avec l’adjectif « inévitable », se dégonfle avec « en certains cas ».

Le deuxième message a été tout aussi ambigu. En plein milieu du G20, Obama, Brown et Sarkozy, l’air grave, rendent publique dans une conférence de presse improvisée, l’existence d’un site nucléaire iranien non déclaré à Qom. Suit un discours musclé dénonçant le double jeu de Téhéran. Sauf que l’effet conjugué de la fermeté du discours et de la dramatisation de la mise en scène de cette conférence de presse était fortement atténué par des absences très remarquées. Les dirigeants de la Russie, de la Chine et de l’Allemagne, tous présents à Pittsburg, avaient mieux à faire. On peut comprendre Angela Merkel, qui, à quelques jours des élections législatives, n’avait pas intérêt à fâcher qui que ce soit, l’absence de Medvedev est facheuse. Quant aux Chinois, ils ont réitéré jeudi – jour de l’ouverture de négociations – leur opposition à des sanctions contre l’Iran. Pour eux, tout vaut mieux qu’une crise qui fera envoler le prix du baril, mettant ainsi en péril la croissance et la stabilité en Chine. De plus, la Chine vend à l’Iran entre 30 000 et 40 000 barils d’essence par jour, soit un tiers de ses besoins en carburants (l’Iran manque de raffineries) : on voit mal pourquoi elle adhèrerait à un nouveau volet de sanctions contre Téhéran. Bref, l’Iran peut raisonnablement considérer qu’un durcissement des sanctions, notamment sur le commerce d’ hydrocarbures, n’est pas à l’ordre du jour.

La carotte proposée aux Iraniens consiste essentiellement en la reconnaissance de leur pays comme une puissance au seuil du nucléaire militaire. Peu importent les détails techniques, les « 5+1 » sont aujourd’hui prêts à accepter un gel en l’état actuel des choses si Téhéran s’engage à jouer franc-jeu. Mais après l’affaire du site nucléaire de Qom, dernière d’une longue liste de tricheries, peut-on avoir confiance ? La réponse est non, tout simplement parce que Téhéran se sait déjà capable de déjouer pendant de longues années encore chaque tentative pour lui imposer le respect de ses propres engagements. Le régime pourrait donc encaisser à Genève les bénéfices d’une promesse de devenir raisonnables devenir sage et jouer « la vérité si je mens » avec l’AIEA.

Côté bâton, les Occidentaux n’ont qu’un méchant flic : Israël. Quoi que l’on pense de cette option militaire israélienne, de ses conséquences terribles et ses objectifs possibles (pas plus qu’un retard de quelques années du programme nucléaire iranien), son principal mérite est de d’être crédible. Les dirigeants iraniens sont donc obligés d’en tenir compte dans leurs calculs. Ils savent aussi qu’une frappe peut en cacher une autre : peu importent les couleurs peintes sur les ailes des avions d’une première frappe, la deuxième vague sera américaine. Contrairement à la destruction du réacteur irakien en 1981, dans le cas iranien, une opération 100 % ou même 80 % israélienne est impossible. Israël ne peut être que le déclencheur, par le jeu d’alliances et des ripostes, de quelque chose de beaucoup plus terrible et dangereux pour le régime.

Si la crise nucléaire devenue durable et la défiance de la communauté internationale ont rapporté à Khamenei des dividendes, les manifestations de juin lui ont montré que cette politique de brinkmenship – au bord du précipice – a aussi un prix. Cette fissure de la cohésion nationale iranienne a dévoilé le « ventre mou » du régime qui s’appuie désormais sur ses forces de l’ordre plutôt que sur sa légitimité. Or, si les bombardiers ne peuvent rien contre la légitimité (on l’a vue en Serbie), ils peuvent amoindrir la capacité d’un régime de faire face à une insurrection. En clair, les dirigeants iraniens doivent comprendre qu’une « option militaire » peut s’élargir pour inclure les points névralgiques de leur pouvoir, et risque d’ouvrir un boulevard aux forces susceptibles de remplacer les hommes en place. L’armée, menacée d’être engloutie et digérée par les Gardiens de la révolution, est une candidate évidente pour s’emparer d’une telle occasion.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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