L’âge venant, je m’aperçois de plus en plus que l’on a l’histoire de sa géographie. La mienne est celle d’une Persane, née dans un pays majoritairement musulman, et qui s’est réveillé musulman un 11 février 1979 ! Paradoxe persan? Sur cette topographie intime, s’imprime la France qui n’est plus tout à fait celle de mon enfance, tel le visage de Joséphine sur la carte d’Italie, dans le Napoléon d’Abel Gance. Un dur passé qui ne passe pas… Exilé à Dacca, Khomeyni aurait-il joui d’une telle aura? A Paris, il conquit les plus grands esprits dont le philosophe Michel Foucault qui oublia son Surveiller et punir. L’Imam par-ci, l’Imam par-là, Neauphle-le-Château, nouvelle Mecque! Tout le monde fut gaga et resta baba… Les mises en garde furent écartées. Le droit à la différence était décrété. Le mot «révolution», on le sait, met toujours un intellectuel français en éruptive émotion. On vit de la spiritualité là où s’exerça la pire cruauté. Depuis, presque quatre décennies ont passé et l’Occident, malgré les crimes qui ont touché sa chair et son sang, persiste et signe dans l’erreur face à la terreur.
Fillon rompt avec la pensée accommodante
«Pas d’amalgame» même si tonnent et tuent les armes. Islam des Lumières lors même qu’on nous promet l’enfer. Le livre de François Fillon, Contre le totalitarisme islamique (Albin Michel, 2016) est une vraie rupture avec la pensée accommodante. Pour être franche, il ne m’apprend rien, sinon qu’il a été en Iran. Que ceux qui n’ont ni mon ascendance culturelle, ni mon expérience de vie le lisent. Ses références sont sûres mais surtout il rassure. Il se veut un président pleinement dans le Faire (titre de son autre ouvrage), sans tabou et avec pour seul totem, la loi républicaine.
Il invite à sortir de «l’aveuglement volontaire», manie bien occidentale déjà dénoncée par l’historien Marc Ferro. François Fillon met en exergue un proverbe persan: « Le serpent change de peau, non de nature » (p.43). Cédons donc à « la grande tentation: voir le monde par les yeux du serpent » (E.M. Cioran, Le livre des leurres), notre ennemi à nommer. François Fillon refuse d’aller vers l’Orient compliqué et désorienté, muni du dictionnaire des idées reçues, éternellement ressassées, face aux faits toujours têtus et une soif de sang jamais repue.
Le génie millénaire de l’Iran
Examinons d’abord la carte qui nous bouscule et fait comprendre l’implosion de certains Etats et la menace pour d’autres: celle d’un Moyen-Orient effervescent où ont surgi tous les problèmes générés par les tracés géographiques, sciemment ou non arbitraires, après les deux guerres mondiales du XXème siècle.
Qu’y voit-on? Des terres d’antiques civilisations, mais surtout des Etats nouveaux et artificiellement créés: l’Afghanistan (1919), l’Irak (1921), l’Arabie Saoudite (1936), la Syrie (1946), la Jordanie (1946), le Koweït (1961), le Qatar (1968), les Emirats Arabes Unis (1971), Bahreïn (1971), Oman (1971), le Pakistan (1947), le Bangladesh (1972), le Yémen réuni (1990). Etats artificiels et musulmans majoritairement sunnites et pour beaucoup sans peuple (comment peut-on être Qatari?), au service desquels la France a mis sa puissance de feu. Au milieu, l’on trouve une Turquie réduite dans sa superficie, après le dépeçage de l’Empire ottoman et séduite par son petit sultan. Enfin, surnage l’Iran toujours indépendant, même s’il a été zone d’influence et terrain du grand jeu de puissance mené par la Grande-Bretagne, la Russie/URSS et en dernier par les Etats-Unis. L’Iran musulman chiite et non-arabe, partant minoritaire, vieux routier de la Civilisation depuis quelques millénaires. Un pays qui n’a pas relégué son histoire préislamique dans la «Jahiliyya », l’ère de « l’ignorance ».
En Iran, la rigueur du régime n’a pas éclipsé une société civile instruite, dynamique et courageuse sur laquelle nous pouvons compter. C’est sans songer au lendemain que l’Occident a mis le pays sous sanctions, d’un revers de la main bien irresponsable. Un comble, il faut que ce soit une adversaire acharnée du régime des mollahs qui plaide pour le retour de Téhéran dans le concert des nations. S’y joue en effet le futur et la stabilité de toute la région. Les Russes en sont conscients et seront nos meilleurs alliés. Enfant, j’avais appris que notre plus grande frontière était notre bordure septentrionale de 2500 kilomètres avec l’URSS.
Dans ce domaine, l’analyse et la politique voulue par François Fillon rejoignent les raisonnements lucides de Jean-Pierre Chevènement et d’Hubert Védrine. En politique étrangère, on ne choisit ni ses partenaires, ni même le tempo de l’action, tant les certitudes sont vaines, mais on peut et on doit savoir proposer sa propre partition.
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