L’Iran au seuil nucléaire: jusqu’à quand?


L’Iran au seuil nucléaire: jusqu’à quand?

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A Vienne, Barack Obama a décidé de faire confiance aux Iraniens. Si l’on enlève nos lunettes d’avocat pour prendre de la hauteur et proposer une lecture politique de l’accord entre l’Iran et la coalition « 5 + 1 » (les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne), on s’aperçoit qu’au-delà des deux à trois années à venir, tout ou presque repose sur la bonne volonté de Téhéran.

Sur le fond, le compromis négocié à Vienne est simple : la communauté internationale reconnaîtra à l’Iran son statut de puissance dite « du seuil » et, en échange, celui-ci s’engage à y rester. Autrement dit, on reconnaît et on accepte le fait que l’Iran a tout ce qu’il faut pour produire une arme nucléaire et la lancer (notamment des missiles), et qu’au cas où il souhaiterait s’en doter une simple décision et quelques mois (on ne sait pas exactement combien) lui suffiront pour le faire. Voilà pour ce qui est du concret et du réel. Ensuite, ces faits majeurs sont emballés dans des dispositifs et des mécanismes élaborés, visant plusieurs objectifs : d’abord forcer les Iraniens à diminuer certaines de leurs capacités, afin d’allonger le temps nécessaire entre la décision de produire une bombe et la possession d’une arme opérationnelle, et ensuite vérifier que la République islamique ne triche pas.

Un système « surveiller et punir » sera donc mis en place pour un contrôle des sites et des activités, ainsi que des mécanismes permettant de réagir rapidement et durement en cas de non-respect de l’accord. Or, la faiblesse intrinsèque de cette logique se situe justement sur ce point précis. Assez vite – en deux ou trois ans, peut-être moins – l’Iran pourrait arriver à ses fins, à savoir la récupération de ses avoirs gelés et la levée des sanctions, et ainsi priver la coalition internationale de son principal levier de pression et de punition. Certes, l’accord prévoit un mécanisme de rétablissement des sanctions que les Américains qualifient de quasi-automatique (« snap back »), mais il faut être naïf pour croire que cela est possible.

Il suffit d’imaginer un scenario simple. Nous sommes en 2018, l’économie iranienne tourne à fond et, bien que certaines restrictions soient officiellement toujours en vigueur, dans les faits, elles sont contournées et ne gênent pas vraiment. Les entreprises américaines et européennes investissent beaucoup et espèrent encore plus. Et puis un jour, l’AIEA reçoit d’un service de renseignement quelconque des informations inquiétantes concernant une activité interdite. Les promoteurs de l’accord font croire que la piste pourrait être vérifiée en quelques jours et les sanctions rétablies si besoin en quelques semaines. Qui peut le croire ? L’Iran commencerait sans aucun doute par nier, puis enchaînerait en proposant ses propres interprétations des articles et alinéas de l’accord. Et puisqu’« un flagrant délit » n’existe pas dans les relations internationales (ceux qui sont en position de force n’ont qu’à nier l’évidence avec énergie et constance, ils finiront par semer le doute), il faudrait donc négocier, vérifier, débattre, chercher un compromis. Entre temps, les intérêts économiques seraient mobilisés. Est-ce que PSA ou Total, pour ne citer que ces deux exemples, resteraient les bras croisés face à la perspective d’un gel de leurs activités récemment renouvelées dans le pays ? Et les Russes ? Voteraient-ils les sanctions au Conseil de sécurité ? N’auraient-ils pas d’autres calculs géostratégiques à ce moment ? Et la Chine ?

Alors, sans doute, l’accord prévoit cette possibilité et stipule qu’en cas de veto au Conseil de sécurité les autres membres de la coalition pourraient rétablir les sanctions chacun de son côté. Sauf que Barack Obama vient d’expliquer qu’il fallait arriver à un accord rapide parce que certains membres de la coalition (notamment des pays qui ont accepté de réduire leurs échanges avec l’Iran) commençaient à se montrer impatients et que le régime de sanctions allait donc s’écrouler. Or, puisque Obama croit que les sanctions ne sont pas efficaces si elles ne sont pas portées par une large coalition, pourquoi ne serait-ce pas le cas dans deux ou trois ans ? Autrement dit, pour punir une infraction iranienne il faudrait remobiliser la Russie et la Chine, sans parler de la France, du Royaume Uni et de l’Allemagne. Difficile d’imaginer une telle prouesse diplomatique.

Contrairement à ce qu’a dit Obama, cet accord est donc fondé sur la confiance et non pas sur la vérification. Il pense que l’Iran ferait le choix d’une levée des sanctions internationales en échange de l’enrichissement à un niveau militaire de l’uranium ou de la fabrication de plutonium, parce qu’il souhaite le dégel des avoirs bloqués à l’étranger et une amélioration du niveau de vie des Iraniens. En fait, rien n’empêche l’Iran d’avoir les deux. N’oublions pas que le nucléaire militaire est un objectif stratégique de l’Iran depuis le Shah qui, il y a plus de quarante ans, avait compris qu’il s’agit non seulement d’une carte géostratégique maîtresse mais surtout d’une police d’assurance vie pour le régime. Et puisque cela n’a pas changé, puisque les ayatollahs pensent eux aussi que la bombe sanctuarisera leur pouvoir, pourquoi imaginer qu’ils y renonceront définitivement sans y être contraints ?

Reste une question importante et sérieuse : y a-t-il une alternative ? La réponse d’Obama est non, le « marché » conclu est tout simplement le seul possible. Dans quelques années, voire quelques décennies, quand cela n’intéressera plus que les somnambules accros à la chaîne Histoire, on saura peut-être si on aurait pu mieux faire. D’ici là, il faut admettre que quand la première puissance du monde – flanquée de cinq membres permanants du Conseil de sécurité et de l’Allemagne – nous dit que c’est le meilleur accord possible, elle a raison par définition.

*Photo : Ebrahim Noroozi/AP/SIPA/ENO101/772534203016/1507141627



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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