Nidal Shoukeir est spécialiste des Pays du Golfe, il est chercheur à Paris VIII et titulaire d’un master « diplomatie et négociations stratégiques » à Paris XI.
Antoine Colonna : Un vent nouveau semble souffler dans les chancelleries du Golfe persique. Le Ministre des Affaires étrangères saoudien Saoud Al-Faysal a affirmé cette semaine que son pays était prêt à négocier avec l’Iran, qui a accepté sa main tendue. Comment expliquez-vous cet amorce de rapprochement entre ces deux ennemis historiques ?
Nidal Shoukeir : L’Arabie saoudite n’a pas le choix : elle a constaté que les diplomates iraniens étaient désormais reçus dans toutes les capitales du Golfe et que les Occidentaux, Washington en tête, commençaient une politique d’ouverture. En réalité, on en revient àl’époque du président iranien Khatami qui, de 1997 à 2005, avait tenté un rapprochement entre Riyad et Téhéran. Les deux grandes puissances régionales, chiite et sunnite, se voient aujourd’hui forcées à se parler car tous les dossiers politiques ou religieux de la région sont bloqués (Syrie, Irak, Liban). Mais attention, les problèmes ne sont pas réglés pour autant. La concurrence entre les deux capitales pour le leadership du monde musulman demeure.
Le revirement saoudien a coïncidé avec la visite en Arabie de Chuck Hagel, le secrétaire américain à la Défense américain. Washington aurait-il poussé Riyad à lancer cet appel du pied à Téhéran ?
Washington a certainement dû influer sur l’appel saoudien au dialogue, mais cela ne date pas d’aujourd’hui. En réalité, la position saoudienne s’explique autant par des pressions intérieures qu’extérieures. Le véritable risque qui peut peser sur le Royaume est plus de nature intérieure avec les problèmes liés à la succession dynastique. Sans règles claires, les rivalités entres générations sont fortes et les arbitrages complexes. Dans ce contexte, le changement radical, qui se manifeste par l’acceptation du dialogue, est interne. Sur le dossier nucléaire iranien, la sécurité du Golfe, il doit y avoir des pressions, mais Washington ne peut pas forcer la décision.
De plus en plus isolée, la monarchie wahhabite craint-elle qu’à terme, l’Iran ne la supplante comme meilleur allié de Washington dans la région ?
L’Arabie saoudite reste un partenaire fondamental pour les Etats-Unis. Si Washington et Téhéran se rapprochent, cela ne veut pas dire que Riyad sera écarté du jeu. L’Arabie saoudite a une place symbolique dans l’Islam, c’est la Terre sainte. Et, pour les Américains, rompre avec Riyad serait une erreur dans la lutte anti-terroriste.
Que faut-il donc attendre d’un éventuel axe américano-irano-saoudien ?
Le rapprochement entre l’Arabie et l’Iran est un bon signal pour toute la région : la « rue » va être stabilisée et les tensions entre chiites et sunnites vont descendre d’un cran. On va assister assez rapidement à une baisse des cours du brut, notamment parce que l’Iran va lever la menace militaire qu’il fait peser sur le détroit d’Ormuz, la clé du Golfe persique. Il faudra suivre avec attention l’élection présidentielle au Liban qui sera un véritable test pour voir si l’apaisement décidé dans les chancelleries produira des effets sur le terrain. Du même coup, le Qatar, qui soutient les Frères musulmans, va aussi être forcé de calmer le jeu, ne pouvant s’opposer à la ligne définie par les deux grandes puissances régionales.
Jusqu’à présent, le Qatar appuyait inconditionnellement les mouvements issus des Frères Musulmans, comme le Hamas palestinien. Or, après avoir désavoué son allié syrien, le Hamas tente actuellement de se rapprocher de l’Iran. Qu’en est-il réellement ?
Le Hamas est tiraillé par de fortes divisions internes. Si Khaled Mechaal joue la carte du Qatar, une partie importante du mouvement s’est effectivement rapprochéedu Hezbollah et de l’Iran. Mais le Hamas suivra le même chemin que les autres, celui de l’apaisement. Les relations vont donc être moins tendues au sein de cette formation, de même qu’entre le Hamas et le Fatah.
*Image : wiki commons.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !