Le 30 décembre 2006, le dictateur déchu Saddam Hussein était exécuté par pendaison après un procès de plusieurs mois qu’il avait su transformer en tribune d’imprécation. Sa condamnation à mort pour crimes contre l’humanité venait sceller sa victoire symbolique éphémère sur les Américains et les autorités irakiennes de transition. Dans la vidéo obscène de ses derniers instants, on entend l’un de ses bourreaux – chiite – glorifier la mémoire du grand ayatollah martyr Mohammed Baqr as-Sadr. Fondateur du mouvement chiite Da’wa (prédication), ce dernier poussa également son dernier soupir la corde au cou, condamné par une justice aux ordres du Baath irakien, sur lequel il avait jeté l’anathème dans l’une de ses fatwas. Quelques mois avant la guerre Iran-Irak, le dignitaire religieux paya de sa vie la solidarité des Chiites – majoritaires en Irak- avec Téhéran. Un attentat contre le vice-Premier ministre[1. Équivalent du titre de vice-président, Saddam exerçant seul les fonctions de chef de l’Etat, de Premier ministre et de nouveau Saladin…] chrétien de Saddam Hussein, un certain Tarek Aziz, fut le parfait prétexte pour assassiner ce Khomeyni irakien en puissance. Comble du scabreux, un tracteur traînera le cadavre de Baqr as-Sadr et ceux des membres de sa famille exécutés avec lui dans les rues de Nadjaf, ville sainte du chiisme. Mais toutes les victimes de la potence ne sont pas égales devant la postérité : Saddam n’est plus le martyr d’aucune cause, le fleuve de l’oubli recouvre son cadavre décomposé, alors que l’islamisme fait encore recette de l’Atlas au Waziristan.
Trente-trois ans plus tard, de l’eau a coulé sous les ponts du Tigre et de l’Euphrate. Saddam renversé, arrêté, jugé puis pendu, son ancien vice-Premier ministre devenu chef de la diplomatie croupit sous les geôles des nouveaux maîtres de l’Irak, chiites ménageant la chèvre américaine avec le chou iranien dont ils dépendent. Condamné à sept et dix ans de prison en 2009-2010 pour avoir participé aux massacres des Kurdes et des Chiites dans les années 1980, Tarek Aziz attend actuellement l’exécution de sa peine capitale dans les couloirs de la mort. Or, le président de la République Jalal Talabani, pourtant opposant kurde de longue date à Saddam Hussein, a certifié qu’il ne signerait « jamais » l’ordre d’exécution d’Aziz, qui soufflera ses soixante-dix-sept printemps cette année. Sa clémence n’épargne pas Mikhaïl Johanna – de son vrai nom non arabisé – des tourments de la détention. Atteint de goutte, dépressif au bout du rouleau, Aziz en est réduit à implorer le Vatican, dont il fut l’oreille auprès de Saddam, pour abréger ses souffrances. L’ancien hiérarque baathiste en est ainsi réduit à exhorter la justice carcérale de l’achever, ses jours étant désormais trop lourds à supporter. Triste fin de vie pour le soleil noir de l’ancienne république nationaliste arabe irakienne qui joua si longtemps le rôle de caution chrétienne d’un régime maintenant la coexistence religieuse sous la fermeté de sa bride.
Imagine-t-on la vie d’un Tarek Aziz libéré de ses chaînes ? L’amateur de cigares cubains, grand admirateur des films de la Nouvelle Vague, ne retrouverait pas ses petits idéologiques dans le Moyen-Orient éclaté de début de troisième millénaire ressemblant à une fin de siècle. L’Iraq démembrée par la chute de Saddam, la Syrie en passe de subir le même scénario, Damas étant débordée par sa majorité sunnite, remake inversé de la chute de Bagdad en 2003, l’intervention américaine en moins, les pétrodollars qataris en plus. Les Alaouites sont déjà voués au « cimetière » et les Chrétiens promis à Beyrouth.
Un certain nationalisme arabe est mort avec Saddam en 2006 puis Georges Habache[1. Fondateur du Front de Libération Populaire de la Palestine (FPLP) qui se définissait comme un nationaliste arabe, marxiste et chrétien.] en 2008 et la chute prochaine des derniers décombres de la maison Assad. Baathiste et chrétien, l’homme aux lunettes à double foyer paraît d’un autre temps. Que les éventuels bourreaux de Tarek Aziz se rassurent : sa lente agonie a déjà commencé…
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