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Ioulia Timochenko, pas sainte mais martyre…


Ioulia Timochenko, pas sainte mais martyre…

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L’Ukraine n’est pas un pays sexy, si l’on met à part le groupe d’intervention féministe Femen, dont l’évocation sur les sites internet fait monter en flèche le nombre de visiteurs. Pour le reste, ce pays, qui servit de modèle à Hergé de dictature est-européenne sous le nom de Bordurie, évoque les vastes plaines de terres noires (tchernoziom), les mines de charbon du Donetsk et la grande porte de Kiev des Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski.

Depuis l’éclatement de l’URSS, en 1992, l’Ukraine, devenue indépendante, connaît une vie politique agitée. Dans un premier temps, les anciens apparatchiks communistes, dont le premier président du pays, Leonid Koutchma, était la figure de proue, procédèrent, à leur profit, à la désoviétisation de l’économie. Alors que ces oligarques construisaient des fortunes, les gens ordinaires voyaient leur niveau de vie se dégrader, et regardaient avec envie leurs voisins polonais, slovaques ou hongrois accéder à une vie meilleure et à une démocratie véritable par leur intégration au sein de l’UE.

En 2005, ce fut l’explosion : la « révolution orange » – couleur adoptée par les contestataires pro-européens – fit annuler l’élection présidentielle qui avait porté au pouvoir Viktor Ianoukovitch, candidat des ex-apparatchiks, permettant à son rival, le pro-européen Viktor Iouchtchenko, d’accéder à la présidence.[access capability= »lire_inedits »]

À côté de la face grêlée de Iouchtchenko[1.  Au début des années 2000 Viktor Iouchtchenko fut victime d’une tentative d’assassinat à la dioxine perpétré par les services spéciaux ukrainiens. Il survécut, mais resta défiguré.], un visage de femme incarna cette révolution. Sa chevelure blonde (teinte) était rassemblée en une tresse circulaire, à la manière des paysannes slaves pour bien montrer combien elle était attachée aux traditions du terroir. Pourtant, derrière ce visage bucolique se cachait une redoutable femme d’affaires et de pouvoir. Partie de rien, à moins de 30 ans, elle avait bâti avec son mari la plus importante société de distribution pétrolière et gazière du pays, non sans avoir arrosé de prébendes corruptrices les responsables politiques de l’époque. En 1996, elle fonda son parti et fut élue au Parlement. Principale opposante à Leonid Koutchma avec Iouchtchenko, elle fut nommée Premier ministre en janvier 2005 par ce dernier, et s’employa à rapprocher l’Ukraine de l’Union européenne. Mais les rapports avec Iouchtchenko se dégradèrent, et elle fut limogée en septembre de la même année. Le Président fut pourtant contraint de la rappeler en 2007, à la suite de la victoire  du «  Bloc Ioulia Timochenko » aux élections législatives.

En 2010, elle se présente à l’élection présidentielle contre le pro-russe Viktor Ianoukovitch, qui l’emporte de justesse. Mais comme son influence reste importante, surtout dans l’Ouest de l’Ukraine, plus tournée vers l’Europe que vers la Russie, Ianoukovitch et ses amis ont résolu de l’abattre par tous les moyens. C’est ainsi que les accusations d’abus de pouvoir, de corruption et même d’assassinat politique ont été formulées contre elle par une justice ukrainienne totalement inféodée au pouvoir de Ianoukovitch. Les juristes mandatés par l’UE pour évaluer la légalité de la procédure menée à son encontre ont conclu que le procès intenté à Timochenko relevait d’un pur et simple règlement de comptes politique. Bien qu’exclue de la campagne électorale de l’automne 2012, son parti obtint plus de 25% des suffrages, arrivant en deuxième position derrière le Parti des régions de Ianoukovitch. Ce dernier réussit pourtant à se maintenir au pouvoir, grâce à un changement du mode de scrutin et à une alliance avec les communistes. Ioulia Timochenko, condamnée une première fois à sept ans de prison en 2011, souffre de douleurs dorsales aiguës dues à une grave hernie discale. Grâce à l’intervention de Joachim Gauck, président de la RFA, et de Stephen Harper, premier ministre du Canada, elle a été transférée de sa prison dans un hôpital de Karkhov, en Ukraine orientale, mais reste privée de tous les moyens de communication, hormis les visites de sa famille et de ses avocats. Le 18 janvier 2013, un nouveau procès contre elle va s’ouvrir, où elle devra répondre d’accusations tout aussi fantaisistes que lors du premier.

Ioulia Timochenko n’est certes pas une idole immaculée du combat démocratique, à l’image d’une Aung San Suu Kyi ou  d’un Nelson Mandela, et l’Ukraine est davantage un régime autoritaire corrompu qu’une dictature sanglante. Ce n’est pas une raison pour détourner notre regard des mauvaises manières qui lui sont faites.[/access]

*Photo : Wiki commons.

Janvier 2013 . N°55

Article extrait du Magazine Causeur



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