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Trump: une croisade sans ingérence


Trump: une croisade sans ingérence
Donald Trump et son vice-président Mike Pence rendent hommage aux morts pour l’Amérique, Arlington, 19 janvier 2017. SIPA. AP22001665_000041

L’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche a provoqué la stupéfaction dans le monde entier. Comment celui que tous les médias nous ont présenté comme un aventurier semi-débile a-t-il pu battre Sainte Hillary Clinton ? Le traumatisme a obscurci les esprits et il était très difficile, sans un travail assez fastidieux de recherche, de savoir ce qui nous attendait avec l’arrivée au pouvoir de cet homme politique atypique et des équipes qui l’entourent depuis déjà un bon moment. Pour appréhender les enjeux de cette élection, il faut faire l’effort d’échapper aux considérations morales et à l’impasse cognitive dans laquelle nous plongent des médias inconsolables du départ de Barack Obama.

Dissidents « made in » Goldman Sachs

Dans l’histoire récente des Etats-Unis, la conquête du pouvoir par les Républicains a toujours marqué une volonté de changement de l’ordre mondial. L’abandon des accords de Bretton-Woods par Nixon pour financer la guerre du Vietnam, la mondialisation néolibérale de Reagan pour financer la course aux armements contre l’URSS, les croisades de George W. Bush pour confirmer l’hégémonie mondiale des Etats-Unis, sont autant d’illustrations de cette vision des choses. L’alternance démocrate ne faisant que poursuivre le nouveau dispositif mis en place quitte à l’amender à la marge. Les déceptions des mandats Obama trouvent leur origine dans ce constat : Guantanamo est toujours ouvert, en Afghanistan rien n’est réglé, le Moyen-Orient est à feu et à sang.

Donald Trump a surpris avec la nomination prématurée de son équipe destinée à gouverner. Celle-ci laisse apparaître une vraie rupture avec les idées jusqu’alors dominantes dans les sphères militaires, financières, énergétiques et même religieuses. Le dénominateur commun de ces nominations hétérodoxes est tout d’abord une proximité ancienne avec le nouveau président, et l’originalité dissidente de ces personnages dans leur sphère d’influence habituelle.

Avec l’avènement du capitalisme financier au début du mandat Reagan, toutes les administrations successives ont eu recours à des figures de Wall Street. Obama n’a pas fait exception en nommant Hank Paulson pour sauver le système lors de la crise des subprimes. Sous les quolibets des commentateurs français ignares, Donald Trump a donné l’impression de poursuivre cette tradition en s’entourant d’anciens de Goldman Sachs tels que Gary Cohn, Steven Mnuchin, ou encore Steve Bannon. Sauf que, Goldman Sachs, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne représente pas l’archétype de l’élite financière américaine. Celle-ci est incarnée par les banques de dépôts traditionnelles (Merrill Lynch, Morgan Stanley, Bank of America) et non par la banque de financement et d’investissement qu’est Goldman. Ce groupe d’intellectuels (car ils le sont tous) veut promouvoir un capitalisme ultralibéral au niveau national, un marché du travail non régulé, l’abandon de l’Obamacare, l’annulation du Dodd Franck Act qui prévoyait la régulation du système financier.

Dans le domaine international, ce sera en revanche un dirigisme éventuellement coercitif. A priori, la nouvelle administration n’a pas l’intention de réduire la dette publique, dont l’ampleur équivaut à l’épargne mondiale soit vingt mille milliards de dollars. Sa stratégie semble s’orienter vers une augmentation nominale de la dette avec une inflation supérieure à l’augmentation des taux et des salaires.

Quant à la dette externe, d’environ huit mille milliards de dollars, l’objectif est de la convertir en dette interne en rapatriant les capitaux de l’étranger, dont le tiers est détenu par les firmes transnationales américaines. Il n’est pas sûr que cela leur soit demandé gentiment.

Une haine assumée de l’islam

Autre particularité de cette nouvelle administration, la présence de nombreux hauts gradés de l’armée pour le moins atypiques. Tous sont des dissidents très politisés de l’establishment militaire. On les a connus exaspérés par les frustrations générées par la présidence Obama.

Passons brièvement en revue les profils de ceux qui viennent d’arriver aux commandes : James Mattis, secrétaire général de la Défense, surnommé le « chien fou » ou encore le « moine soldat », en raison de sa rigueur morale, de son célibat sacerdotal et de son mépris pour le Pentagone et sa bureaucratie. Michael Flynn, contraint de démissionner de l’armée en raison de critique émises à l’encontre de ses supérieurs, qui réclamait de mettre Hillary Clinton en prison et dont la préoccupation principale est la guerre contre l’islam. John Kelly qui refuse de fermer Guantanamo ; Mike Pompeo, niveau directeur de la CIA, favorable à la collecte massive des données de communications des citoyens ; sans oublier le retour en grâce de David Petraeus, ex-patron de la CIA (en désaccord total avec la stratégie d’Obama) dont la carrière s’était brutalement interrompue à cause d’un scandale en partie sexuel.

Le dénominateur commun de ces militaires est une haine assumée de l’islam. Ils ne sont pas interventionnistes et il est probable que leur volonté de domination se dispensera d’interventions militaires directes, chat échaudé craignant l’eau froide. Cela laisse présager l’utilisation de dissuasions par intimidation, et de rodomontades à connotation nucléaire. Comme l’a déjà fait Donald Trump pendant sa campagne.

En matière énergétique, la nouvelle administration baserait sa politique sur un concept simple : être autosuffisant en quelques années. Ce qui signifie produire 12 ou 13 millions de barils par jour. Pour ce faire, elle vise trois objectifs :

a) Poursuivre l’extraction du gaz de schiste en faisant table rase des normes antipollution de l’air et de l’eau (d’où la présence de climato-sceptiques dans cette Administration).

b) Laisser passer le pipeline Keystone de l’Alberta vers le sud des Etats-Unis.

c) Subventionner les producteurs pétroliers aux dépens des autres énergies.

Un retour à l’esprit originel du capitalisme

À moins que la Russie ne fasse du dumping, cette stratégie devra s’accompagner d’une hausse du prix du baril à 70 dollars ou plus. La volonté d’intimidation de Trump ne pourra se faire qu’en réalisant cet objectif d’indépendance énergétique car depuis la guerre du Vietnam, les Etats-Unis savent qu’ils dépendent des autres pays producteurs. L’expérience cuisante du Moyen-Orient leur a fait mesurer encore un peu plus cette faiblesse.

Le désordre et la confusion que provoqueront ces changements, notamment la très probable baisse des salaires des plus modestes, dont la partie blanche a massivement voté pour Trump, devront être compensés par un retour du discours religieux, moyen d’assurer la cohésion sociale.

La religion et le conservatisme sont des éléments structurant du discours républicain (et même parfois démocrate) aux Etats-Unis. Cette dynamique fut poussé à l’extrême sous George W. Bush qui revendiquait un conservatisme moral. Cependant, jamais cette rhétorique n’a désigné d’autres religions. Or, le discours de cette nouvelle administration, mis en musique par Steve Bannon a des accents mystiques, une liturgie médiévale à peine voilée et prône une guerre des civilisations judéochrétiennes contre les autres. Autrement dit, chrétiens capitalistes contre islam fascisant.

Un retour aux fondements de l’éthique protestante et de l’esprit originel du capitalisme est donc à prévoir aux USA dans les années à venir, délaissant les opérations militaires à l’extérieur pour se concentrer dans une guerre interne contre l’islam et les athées.

Le nouveau pouvoir qui s’apprête à prendre les rênes de la Maison blanche possède incontestablement des traits claniques : il est familial (tous se connaissent et partagent la même « dissidence »), religieux et puissant dans un pays très endetté. Misant sur la coercition, pas nécessairement militaire, de l’ensemble du monde, cette administration laisse présager des années de pressions psychologiques afin qu’elle puisse assurer l’hégémonie américaine en imposant un nouvel ordre mondial sans intervenir. Jouant sur son imprévisibilité, Trump et ses hommes pensent gagner cette partie à moindre coût. La phase de la mondialisation néolibérale lancée dans les années 80 avec la présidence de Ronald Reagan est bel et bien terminée. La démondialisation que veulent initier Donald Trump et ses amis risque d’être assez rock ‘n’ roll.

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