Europe: reprise ou méprise?


Europe: reprise ou méprise?

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Raymond Barre avait l’habitude d’infliger à ses auditoires cette sentence répétitive : « Les faits sont têtus. » Vu la réaction des dirigeants et des médias européens à l’échec de l’euro, il serait plus juste de dire que « l’idéologie est plus têtue que les faits ». Face à cette logique suicidaire qu’Éric Zemmour a diagnostiquée pour la France et qui semble aussi à l’œuvre dans l’espace européen, nous nous conterons de dire : « Les chiffres sont têtus. » Les dernières données des économies européennes, publiées le 13 mai, indiquent en effet deux tendances : une amélioration marginale de la situation d’ensemble en premier lieu et, en second lieu, une panne de l’investissement à peu près générale.[access capability= »lire_inedits »]

Pour une fois, les médias mainstream n’ont pas cherché à dissimuler la médiocrité de la situation française masquée par le chiffre favorable de 0,6 % de croissance trimestrielle. Ils avaient raison : la décomposition du résultat est éclairante. Décomposons donc la croissance française du trimestre écoulé :

–        0,5 % de stocks supplémentaires dans l’industrie et la distribution ;

–        0,8 % de contribution de la consommation ;

–        moins 0,2 % pour l’ensemble des investissements (sous la rubrique « Formation brute de capital fixe ») ;

–        moins 0,4 % pour l’impact du commerce extérieur : baisse des exportations, hausse des importations.

En même temps, le secteur privé aurait encore détruit 13 400 emplois durant le trimestre écoulé. Ce dernier chiffre, le plus éloquent, confirme la stagnation de l’économie, avec, une fois déduits les stocks supplémentaires, une croissance de 0,1 %…

Donnons encore deux précisions nécessaires à mes lecteurs qui ne se baignent pas chaque jour dans le fleuve de l’analyse économique. Premièrement : l’acte de vendre ou de transporter est pris en compte par la comptabilité nationale. Ainsi, lorsque la France importe plus pour sa consommation, la vente et le transport des produits concernés entrent dans le décompte de la consommation. Paradoxalement, ces importations supplémentaires contribuent à la croissance comptable. Deuxièmement, la consommation du premier trimestre n’a pas été gagée par la distribution de revenus issus de nouveaux emplois productifs. Or, tant que les entreprises ne créeront pas de nouveaux postes de travail, la croissance, aussi faible soit-elle, sera vouée à s’éteindre.

Le plus surprenant est que la baisse de l’euro et celle des carburants n’aient pas dynamisé les exportations et l’investissement. Sur les neuf derniers trimestres écoulés (c’est-à-dire depuis la chute du prix de l’énergie et l’affaiblissement de l’euro), la France a affiché huit baisses et une seule hausse des variables concernées. Quel est alors le mot juste ? Asthénie, langueur, ou plutôt nécrose ? Le choix est difficile…

Il n’y pas là de quoi arrêter l’exercice d’autosatisfaction du président normal et de son équipe. Nul doute qu’ils « maintiendront le cap » vers un futur de plus en plus improbable. Mais les données publiées par nos voisins laissent perplexe.

La zone euro s’inscrit à 0,4 % contre 0,3 % le trimestre précédent, grâce au chiffre français, dont on a vu la fragilité, au chiffre italien, positif (0,3 %) pour la première fois depuis trois ans, et au chiffre espagnol[1. Ces trois pays représentent plus de la moitié du PIB de la zone euro.] (0,9 %), qui témoigne d’une reprise forte mais à partir d’une situation de dépression tout aussi forte. Cependant, l’Angleterre a ralenti[2. David Cameron, largement réélu, a peut-être bénéficié des derniers feux de la reprise anglaise.] (0,3 % seulement) et la surpuissante Allemagne a déçu (un malheureux 0,3 %).

La déception allemande vient de la faiblesse de ses exportations industrielles vers les États-Unis et l’Asie[3. Qui préfigure peut-être des ralentissements en cours dans ces grandes régions du monde.], mais aussi de la médiocrité de l’investissement. Dans ce domaine, l’Angleterre est aussi à la traîne, avec un taux d’investissement de ses entreprises parmi les plus bas des grands pays d’Europe. Enfin, l’Italie, qui affiche une baisse de 30 % de l’investissement par rapport au niveau d’avant la grande récession, s’attend à une nouvelle baisse en 2015, annoncée par les enquêtes effectuées auprès des chefs d’entreprise de la péninsule.

Pour finir, n’oublions pas la Grèce. Sans doute, avec une production à peine supérieure au quarantième de la zone euro, on aurait pu oublier le cas hellène. Mais la magie diabolique de l’euro fait que ce confetti économique compte bien autant qu’une économie majeure. Alors que les négociations pour le refinancement grec piétinent et que le FMI prend des dispositions préalables pour agir dans l’hypothèse d’un défaut de paiement d’ici à juillet prochain, on apprend que l’économie locale a rechuté (deux trimestres négatifs consécutifs). Nos amis grecs sont promis à un été chaud, au propre comme au figuré.[/access]

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*Photo : Wikipédia.org

Juin 2015 #25

Article extrait du Magazine Causeur



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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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