Ces dernières années, « le complexe » est venu enrichir la nomenclature de l’UMP. Désormais, l’on n’est plus complexé par son poids, mais parce qu’on est de droite et qu’on aime la France. La psychologie a remplacé la politique. De là, l’essor du concept de droite décomplexée. En 2007, Sarkozy candidat s’en est fait le chantre. Pour l’emporter, il avait scruté les sondages. À l’américaine, il avait même fait le « profilage » de l’électeur FN. Depuis 2002, l’animal se révélait craintif et se montrait peu. C’est qu’il se souvenait encore des hordes de lycéens descendues dans la rue au cri de « Nous sommes tous des enfants d’immigrés, première, deuxième, troisième génération ! ». Jusqu’au jour où, cinq ans plus tard, Nicolas Sarkozy réussit à le retrouver et à l’appâter. Trop heureuse de trouver enfin un interlocuteur, cette France, honteuse et tête basse, lui a confié ses craintes, ses espoirs et sa confiance.
Lors de cette première campagne présidentielle, ses discours volontaires, sa véhémence, son exaltation de l’ordre républicain ont fait illusion. Ça y est, les Français avaient enfin retrouvé leur homme providentiel. Tous y ont cru. Les électeurs gaullistes traditionnels ont vu en lui un nouveau Bonaparte, ceux de la droite de la droite avaient le soulagement de voter sans encourir l’anathème. On allait enfin s’occuper de leurs inquiétudes. Trop vite malheureusement, les Français se sont aperçus qu’on les avait à nouveau dupés. L’énergie présidentielle n’était qu’une vaine agitation, du grand spectacle médiatique pour haranguer les foules crédules et exploiter leur complexe au lieu de proposer des réponses. Trop prolo dans ses déclarations, Sarko proche du peuple, est devenu un fantoche. Il fallait se rendre à l’évidence, il n’était pas le grand chef d’Etat qui proposerait une direction novatrice à la France avec des solutions pour la sortir de l’ornière.
En 2012, la première erreur stratégique des Fillon, Copé, Wauquiez, Le Maire et consorts est de n’avoir pas eu le courage de lui reprendre le parti. Face à un homme qui n’aurait jamais eu l’humilité de se remettre en cause et de laisser la place, il fallait que les éventuels concurrents s’allient. Au lieu de cela, par lâcheté et par suivisme, les caciques de l’UMP se sont tus alors que la victoire tendait les bras à la droite. Ils n’ont pas compris que la personnalité de Sarkozy rebutait tant les Français, que par dépit ils s’abstiendraient ou voteraient à gauche. Quand une grande nation comme la France finit par élire son président par défaut, c’est vraiment que l’on en est arrivé au déclin de tout, des idées comme de l’espérance.
Un an après la défaite, la guerre intestine Fillon/ Copé fait rage. Elle est indispensable pour départager le nouveau chef de l’après-Sarkozy. Au goût des Français, elle dure depuis trop longtemps car aucun des deux ne parvient à l’emporter. Un sondage BVA pour le Parisien révèle que 67% d’entre eux pensent que la situation n’est pas apaisée à l’UMP. L’après-Sarkozy se fait attendre. Pendant ce temps, ce dernier prépare déjà son retour sur les cadavres de ses deux rivaux. Roland Cayrol a raison d’affirmer que faire l’inventaire du quinquennat Sarkozy serait une erreur stratégique. Dans une position d’attente mortifère, l’UMP se regarde le nombril au lieu de proposer un nouveau projet cohérent pour la France qu’il pourra cette fois-ci honorer. Paradoxalement, la droite qui se voulait décomplexée, se révèle aussi complexée que ses électeurs. À ce propos, Copé déclare qu’ils « n’ont pas suffisamment eu le courage d’assumer leurs idées ». Cet aveu est signifiant et résume déjà les conclusions de ce possible inventaire. Une fois au pouvoir, rouler des mécaniques pour cacher sa frilosité et son impuissance n’a pas suffi. Nouveau mal du siècle franco-français, le complexe est apparemment contagieux. En effet, Sarkozy le magnifique n’a pas osé appliquer son programme et traiter frontalement des problèmes des Français. Comme les curés qui ne font plus de sermons engagés à la Bourdaloue ou à la Mascaron, la parole des hommes politiques s’est dépolitisée.
C’est que la France, c’est la loose. Interrogez les 360 sans-papiers de Clermont-Ferrand : comme le Samu-social ne pouvait pas leur trouver de solution immédiate, 25 d’entre eux se sont permis de porter plainte contre l’Etat français ! C’est qu’ils ont flairé la bonhommie française. Alors, la France complexée s’aperçoit que sa « gentillesse » spontanée a perdu sa signification étymologique de « noblesse de cœur » et qu’elle est devenue « signe d’affaiblissement ». Sa bienveillance et sa douceur à l’endroit de celui qui souffre se retournent contre elle. Pis, cette attention à l’autre et cette commisération deviennent des armes que les associations de défense des minorités utilisent allègrement pour reprocher aux Français tous les crimes de la Terre.
Au pouvoir, Sarkozy a fait comme Chirac qu’il méprisait tant, il a laissé la situation empirer. En cela, l’invisibilité de son successeur, François Hollande, coïncide parfaitement avec ce que l’on n’a cessé d’exiger des Français. S’il faut s’excuser d’être Français, s’il faut faire fi de la grandeur de notre Histoire et ne retenir que ses vicissitudes, alors devenons transparents. À force de faire honte aux Français de leur passé, on en a fait un peuple timoré qui essaie d’oublier ce qu’il a été. Le problème, c’est que chaque Français porte en lui, consciemment ou non, la nostalgie des temps où la France faisait encore l’Histoire. De Gaulle l’avait compris en transformant la défaite française contre les Nazis en victoire de la Résistance et des Alliés. Conscient du rôle qui lui incombait de jouer, il voulait redonner aux Français la fierté d’être Français. Aussi en écrivant ses Mémoires s’agissait-il non seulement de conforter sa figure de grand homme politique mais aussi de panser le traumatisme de la nation en poursuivant le mythe de sa grandeur. Cette exigence s’est peu à peu liquéfiée. En réalité, depuis 1995, la France n’a pas connu de réels dirigeants politiques, elle a élu un triumvirat de techniciens pour la diriger. Musset n’aurait jamais cru que les fantoches de Badine accèdent à la plus haute fonction de l’Etat. Comme Dame Pluche, ils font des bonds dans la luzerne.
N’en déplaise aux commentateurs politiques, le mythe du grand homme est vivace en France non par naïveté mais par goût de l’excellence. Ils désespèrent que le paysage politique soit incapable de leur offrir un homme de valeur à la hauteur de la fonction présidentielle. On peut trouver cela risible mais les Français aiment se réfugier dans la fiction et songer à une gloire disparue. Sarkozy n’a pu les faire rêver qu’un an. Il serait grand temps que l’UMP exorcise le spectre et dépasse le piège de l’inventaire. Si les convictions personnelles et les idées novatrices primaient enfin sur les complexes et sur les dissensions, l’UMP pourrait se mettre en ordre de bataille pour les municipales. Il serait grand temps. Au loin, la déferlante bleu marine s’esquisse déjà.
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