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« Invasion », Jeanne d’Arc au pays des Nippons

Un superbe film de Kiyoshi Kurosawa sur la résistance à la perte des valeurs


« Invasion », Jeanne d’Arc au pays des Nippons
Kaho Sometani dans "Invasion" de Kiyoshi Kurosawa (2018) ©Art House Film

Kiyoshi Kurosawa né au Japon en 1955 est un cinéaste contemporain majeur. Il développe depuis le début des années 1980 au gré de ses films et téléfilms à l’étrange et fascinante beauté (Vaine Illusion, Seance, Kairo, Loft, Shokuzai, Real., Vers l’autre rive…) l’art de la maitrise d’un cinéma fantastique cérébral et métaphysique lié à des expériences narratives et sensorielles d’une grande force formelle et plastique.

La fin est proche

Invasion, l’un des plus beaux films de son auteur, est le remake par Kiyoshi Kurosawa de son long métrage précédent Avant que nous disparaissions. Tous deux sont adaptés de la pièce de théâtre du même de Tomohiro Maekawa. Les scénarios sont identiques: préparant une invasion de la planète Terre, des « extraterrestres » se font passer pour des êtres humains afin de mieux comprendre cette espèce qu’ils ne connaissent pas.

Reprenant à son compte les principes des films, téléfilms et séries de science-fiction et d’anticipation des années 1950 et 1960, consistant à rendre quasi imperceptible le remplacement des humains par une autre espèce, Kiyoshi Kurosawa s’intéresse plus dans sa dernière œuvre à la catastrophe en devenir, à la fin de l’humanité quasi-certaine et aux raisons qui l’ont menée à cette disparition inéluctable, qu’à l’effroi qu’elle peut provoquer sur les êtres humains. La différence est dans le traitement et la mise en scène des deux films. Alors que dans Avant que nous disparaissions, le cinéaste travaillait sur la forme et le suspense que permet le genre, flirtant avec les codes du blockbuster, avec Invasion, superbe film épuré, tendu, noir, il s’attache à restituer la peur de voir la disparition prochaine de l’humanité.

Nous sommes nos envahisseurs

Le film est centré autour du couple formé par Etsuko, ouvrière dans l’industrie textile, et de son mari Tetsuo, aide-soignant à l’hôpital de la ville. Etsuko commence à s’apercevoir qu’autour d’elle, le quotidien déraille : son mari semble de plus en plus absent et nerveux, sa collègue de travail égarée ne reconnaît plus ses proches, son chef devient étrange et maladroit… Tout a commencé par ces légers malaises ressentis qui semblent coïncider avec l’arrivée à l’hôpital d’un élégant nouveau chirurgien, le docteur Shiro Makabe…

Tenu par une mise en scène rigoureuse, des cadrages acérés, une grande beauté plastique, un jeu d’acteurs sobre et très émouvant, le film mêle avec une intelligence rare les scènes intimistes sur un couple menacé par le délitement et des scènes de catastrophe minimalistes montrant le monde menacé de disparition, ou plus surement d’invasion. Ce n’est pas un hasard si les extraterrestres volent en premier lieu, par une brève imposition du doigt sur le front aux humains, le sens de la famille, celui du travail, de la fierté, la force de la vie, le sentiment de peur. Tous, effarés, perdus dans un monde sans amour où les valeurs volées disparaissent, ils tombent en catalepsie. Seule, Etsuko, sorte de Jeanne d’Arc moderne, résiste par la force de son amour pour son mari et sa compassion pour les êtres humains. Dans une scène magnifique se déroulant dans l’appartement du jeune couple, elle serre son compagnon dans ses bras et lui dit qu’elle le protégera envers et contre tout. Kurosawa reprend un thème crucial dans son cinéma – comme dans Real et Vers l’autre rive – celui de la force et l’invincibilité de l’amour vrai face à tous les dangers et menaces intérieures ou extérieures. Sentiment qu’il développe à son paroxysme tant l’amour d’Etsuko est à la fois simple et ample. Etsuko est un être exceptionnel, quasi seul, un roc qui possède la force des humbles et la fiabilité de ceux qui croient toujours à la vérité de l’Amour dans un monde dominé par la perte des sens et des valeurs.

Cette planète désincarnée dont nous parle Kiyoshi Kurosawa est la nôtre, celle de l’ère de la sur-communication et de nos échecs philosophiques et politiques à concevoir un monde humaniste. Face à la perte des sens (des concepts), la grandeur de l’amour de la jeune Etsuko pour son compagnon laisse peut-être une lueur d’espoir devant l’invasion à venir. L’amour ne passera jamais. Il est plus fort que la mort.

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est directeur de cinéma.

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