Non, la France ne veut pas « déconstruire son histoire ». Le pays de France Inter est aussi celui d’Astérix et de Joséphine Baker. Comment se résignerait-il à ce que la guerre des races et des sexes soit la forme ultime du vivre-ensemble ? Quelques raisons d’espérer que le nouveau totalitarisme se cassera les dents sur l’esprit français.
La France résiste : il est possible que notre titre traduise un brin d’autosuggestion, un vague espoir que cette prophétie sera autoréalisatrice. Après tout, il n’est pas interdit de voir le verre au quart plein. Certes, l’actualité oppose de nombreux démentis à cet optimisme. À tous les étages de la société, des publicistes, journalistes, élus et people en tout genre, en bref des « manipulateurs de symboles » dont parlait le sociologue et ancien ministre américain Robert Reich, se battent la coulpe, surveillent leur langage et s’agenouillent au propre et au figuré devant les nouvelles vaches sacrées que sont les minorités sanctifiées par la victimisation réelle et/ou fantasmée.
La France n’échappe pas à la pression woke
Des lubies de militants groupusculaires s’invitent à l’université où des opinions délirantes sont doctement étudiées, comme le relate Erwan Seznec. On apprend de Philippe Pichot que la « Fondation Ayrault[1] », sacrée gardienne de la mémoire de l’Esclavage, se comporte en procureur zélé de la France, érigée à mots à peine couverts en bastion d’une oppression inscrite dans les gènes des Blancs –également désignés comme « non-racisés ». Aux frais du contribuable. Ainsi a-t-on vu ressurgir la « race blanche », non chez les ploucs du sud des États-Unis, mais chez les antiracistes de nouvelle génération.
Mathieu Bock-Côté a raison, c’est bien à une entreprise révolutionnaire que nous avons affaire. Si aux États-Unis, elle a déjà basculé dans la Terreur, en France, l’issue du combat est hésitante. Or, son enjeu n’est rien de moins que la survie de nos vieilles cultures et au-delà, de la Raison comme cadre anthropologique de la Cité. Fondé sur l’exaltation des souffrances « ressenties » (ou de certaines d’entre elles), le catéchisme woke érige en lois morales les caprices minoritaires tout en déniant aux individus le droit de vivre et de penser librement.
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Dans l’empire totalitaire de ce nouveau progressisme, l’être humain, découpé en rondelles identitaires, assigné à vie au camp des victimes ou à celui des bourreaux, est voué à triompher ou à expier. Faut-il le préciser, les héritiers du monde ancien, avec son cadre anthropologique fondé sur la différence des sexes et ses imaginaires nationaux, seront traités en résidus de l’histoire, c’est-à-dire qu’ils seront rééduqués ou muselés. L’avenir radieux et inclusif exige exclusions et contritions, bannissements et censures.
Déconstuire l’histoire sans déboulonner de statues ?
On a cessé d’attendre le salut du président de la République, dont la volonté de tenir les deux bouts de la chaîne confine à la duplicité. Un jour, il proclame que la République ne déboulonnera aucune statue, le lendemain il déclare à CBS que la France doit « déconstruire son histoire ». Bref, entre le monarque gaullien et le Justin Trudeau français, on ne sait à quel Macron se vouer. Et on finit par ne croire aucun des deux.
Il y a pourtant des raisons de penser que la vague woke refluera devant le village gaulois et sa détermination à persister dans son être. Au demeurant, même en Amérique du Nord, des intellectuels et des journalistes refusent de courber l’échine. Des écrivains noirs s’insurgent contre les procès intentés en leur nom. Cependant, on ne sait pas de quels ennuis et de quels torrents d’invectives ils paient leur audace. Jeremy Stubbs relate le cas d’Andy Ngo, contraint à l’exil par la violence antifa.
Les Français, irréductibles gaulois
Alors on se dit qu’il y a quelque chose d’irréductible au royaume de France. Tous les dissidents n’y ont pas été réduits au silence – et au chômage. L’une des explications est que, sur le front médiatique, le rapport de forces est moins désespéré que ne le laissent penser nos râleries répétées (et justifiées) contre les journalistes-prêcheurs. Dans la vie, il n’y a pas que France Inter, France 2, Le Monde, L’Obs, Mediapart et Le Parisien, dernier arrivé dans la bande des coupeurs de têtes et traqueurs de déviants. Face à cette indéniable force de frappe, largement financée par ma pomme (et la vôtre), ce qui est particulièrement irritant, ne se dressent pas seulement les méchants estampillés de Valeurs actuelles, L’Incorrect, Éléments, Boulevard Voltaire, sans oublier Causeur, et même Marianne, mais aussi des journaux dont la respectabilité n’est pas contestée. L’Express, Le Point, Le Figaro et beaucoup d’autres (sans parler de CNews) dénoncent régulièrement l’emprise islamo-gauchiste et la folie racialiste, féministe ou écologiste. La France n’est pas, loin s’en faut, épargnée par la pulsion de censure et d’effacement, mais on peut y survivre à une accusation de racisme ou de baisers volés, se remettre d’un lynchage numérique et même de plusieurs, la preuve par Zemmour et Finkielkraut. Bien sûr, il ne faut pas dépendre d’un employeur trop lâche, car certains se couchent au premier coup de vent numérique. Reste que, même sur les réseaux sociaux, les épurateurs trouvent à qui parler. De la scandaleuse éviction d’Alain Finkielkraut de LCI, on doit aussi retenir les protestations qu’elle a suscitées.
L’humour comme résistance au wokisme
Cette résistance s’enracine évidemment dans les tréfonds de la société. Cela tient peut-être, suggère Cyril Bennasar à la persistance de l’humour et du second degré, malgré la baisse du niveau et les progrès concomitants de l’esprit de sérieux. Comme l’observe encore Mathieu Bock-Côté, quelque chose dans l’esprit français se refuse à faire de la guerre des races et des sexes la forme ultime du vivre-ensemble. Notre tradition de nation politique, antérieure à « l’universalisme républicain », nous protège sans doute contre l’obsession raciale – s’il existe des Français de souche, il serait abusif de parler de « Français ethniques », comme on le ferait en anglais. D’autre part, la longue histoire du commerce entre les sexes nous immunise mieux que d’autres contre la chasse à l’homme lancée par les néo-féministes qui voient dans une amabilité galante la trace de la « culture du viol ».
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Dans son écrasante majorité, le peuple français n’est pas tombé dans le piège mortel tendu par une idéologie qui divise l’humanité en racistes et racisés. C’est que ce peuple n’est pas seulement constitué de « Français historiques », formulation que j’emprunte à Bock-Côté, mais aussi de tous ceux qui, à l’image de Sonia Mabrouk et de Gil Mihaely (voir leur dialogue), ont choisi de le devenir et de chérir les ancêtres qu’on leur offrait généreusement. Quand les indigénistes postulent l’existence d’une « culture blanche », établissant ainsi une frontière ethnique entre citoyens, des Français de toutes origines refusent avec constance de se définir par une couleur de peau tout en réclamant avec la même constance le droit de conserver leurs mœurs et leurs lois. D’après Sartre, l’antisémite crée le Juif. Le nouvel antiracisme a échoué à transformer les Français en « Blancs imaginaires ». Nous pouvons en être fiers.
[1]. La Fondation pour la mémoire de l’esclavage, dirigée par l’ancien Premier ministre de Hollande, porte-flingue en chef de Christiane Taubira. Erwan Seznec a déjà évoqué les manigances de cet organisme dans Causeur n° 87, février 2021.