Patrick Jankielewicz, rédacteur en chef de La Voix du Nord, annonce dans son éditorial du lundi 15 janvier, la décision du journal : ne plus permettre aux hommes politiques de relire leurs interviews avant publication.
Le refus de participer à un « plan de com »
Cette décision peut se comprendre quand on lit les justifications de Patrick Jankielewicz :
Jusque-là, comme la quasi-totalité de nos confrères, nous acceptions cette relecture sous prétexte que la parole d’un ministre a quasiment force de loi. Mais si certains des interviewés jouent le jeu en corrigeant à la marge des aspects techniques, la relecture est devenue un exercice de réécriture pour la plupart. Dernièrement, on nous a renvoyé un texte totalement ‘caviardé’, coupant des réponses qui avaient été faites et ajoutant des questions qui n’avaient pas été posées!
Révisés par des professionnels de la communication, les entretiens n’ont plus rien de naturel et deviennent aussi calculés que des discours préécrits. On ne saurait défendre cette pratique devenue apparemment courante.
Mais quand on lit que ce traficotage a posteriori a pour principal défaut de produire des propos « aseptisés », difficile de ne pas penser que notre personnel politique n’a pas besoin de cela. Il est très bien formé, déjà, à débiter des discours vides et plats, y compris en direct sur les plateaux de télévision. On ne peut pas dire que l’oral de nos hommes politiques soit tellement plus naturel et spontané que leurs entretiens écrits et scrupuleusement relus !
Alors, si l’on peut comprendre l’agacement de Patrick Jankielewicz, on peut aussi se demander si cette suppression de l’autorisation de relecture ne manifeste pas, de la part des journalistes, une volonté de reprendre un pouvoir dont ils se voyaient privés : celui de la sélection.
Égalité devant le droit à la relecture
Parce que tout est là : un entretien mené par oral (par opposition aux envois de questions par mail avec spécification du nombre de caractères autorisé) n’a pas vocation à être reproduit mot à mot. Outre la nécessité de nettoyer les phrases qui ont pu, dans le flot de la conversation, être bégayantes, interrompues ou plusieurs fois reformulées (et ce nettoyage implique déjà la possibilité de trahir la pensée de l’autre), l’entretien en version papier impose un calibrage contraignant en termes de place : le nombre de caractères est limité. Le journaliste doit donc effectuer un choix dans ce qui a été dit. Une idée qui nous est chère et que l’on a développée avec rigueur et conviction peut totalement disparaître dans la version finale d’une interview, tandis qu’un passage faiblard ou, à nos yeux, peu significatif, sera maintenu. Sans compter la surprise que l’on peut ressentir en voyant quelle citation a été retenue en titre de l’article !
Intervenant sur France Info mardi 16 dans la matinée (voir à 10h44) pour commenter la décision de la Voix du Nord, Patrick Jankielewicz signale que la pratique du caviardage d’interviews est propre aux « personnalités politiques d’envergure nationale », qui « l’imposent » (par une espèce de chantage puisque l’acceptation de l’entretien est soumise à cette condition). Les élus locaux ne s’adonnent pas à cela. Refuser la relecture à tout le monde est donc une manière de rétablir une forme d’égalité (même si tout le monde n’est pas formé à l’art de la parole publique). Comme le fait très justement remarquer Jankielewicz: après tout, le garagiste du coin pourrait aussi réclamer le droit de relire ses interviews ! Et moi je dis: pourquoi pas ?
Nous devrions tous avoir le droit de contrôler l’utilisation qui est faite de notre propos. Il ne s’agit pas de réclamer la possibilité de modifier la version écrite de l’interview mais de conserver le droit, en dernier recours, de la valider ou non. Et sa non-validation vaudrait interdiction de parution.
Il est frappant de voir le souvenir que laisse aux gens leur rencontre avec des journalistes. Toujours ou presque, l’impression que leur propos a été déformé par…
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