Interventions 2020, la compil du réac déprimé. Tous les articles et les tribunes de Michel Houellebecq paraissent dans une nouvelle édition revue et augmentée. Un régal.
Entre deux romans, Michel Houellebecq nous livre de courts essais et interviews sur des sujets de politique et société. Publiés à partir de 1992, la moitié de ces écrits figuraient dans le recueil Interventions 2, paru en 2009. À ceux-là, s’ajoutent de nombreux textes rassemblés pour la première fois en volume. On pourrait le nommer, « la compil de MH ».
L’art des titres
J’ai toujours apprécié les titres de Houellebecq. Ils collent à notre époque, à un instantané de notre époque plus précisément. La possibilité d’une île étant, selon moi, le meilleur. On a encore la possibilité de partir, chercher une île, c’est-à-dire un lieu aristocratique, pour reprendre la formule de Michel Déon, un lieu à peu près vierge, où l’on puisse échapper au bourrage de crâne permanent. Plus de réseaux sociaux, ce formidable tout-à-l’égout de haine qui nous contamine sans nous tuer, car le système nous veut consommateur apeuré, zombie narcissique et ignorant, mais surtout pas à l’état de cadavre. Sérotonine, c’était bien vu également. Un peu de faux bonheur dans un monde saturé d’images sanglantes. Soumission, alors là, c’était un coup de maître. Il tient la tête et la corde, ce titre. La soumission est partout, les collabos ont de beaux jours devant eux. Ce n’est pas un décapité qui changera la face hideuse de la France, grand corps agonisant devenu festin de la vermine.
A lire aussi: La légèreté criminelle du progressisme
Pour son prochain roman, je suggère à Houellebecq, en toute modestie, Résignation, ou peut-être Vaccin. Entre l’humour désabusé et l’humour noir. Car Houellebecq possède beaucoup d’humour. Ainsi, à propos de notre Totor Hugo : « Bon poète par endroits, Victor Hugo est aussi, souvent, grandiloquent et bête ; son rêve d’États-Unis d’Europe » en est un bon exemple ; ça me fait du bien, de temps en temps, de critiquer Victor Hugo. » Humour grinçant, certes.
L’Europe n’existe pas, rappelle Houellebecq. « Elle ne constituera jamais un peuple, encore moins le support d’une démocratie possible (cf. l’étymologie du terme), et cela parce qu’elle ne veut pas constituer un peuple. » Il réaffirme son opposition au traité de Lisbonne imposé simplifié en 2009 contre la volonté du peuple français. Houellebecq ajoute : « En bref une idée néfaste ou au mieux stupide, qui s’est peu à peu transformée en mauvais rêve, et dont nous finirons par nous éveiller. » Il lui arrive d’être optimiste.
Un écrivain trumpiste?
À l’heure où j’écris ces lignes, la réélection de Donald Trump est incertaine. Houellebecq, lui, trouve Trump pas si mauvais que ça. Il a été élu « pour défendre les intérêts des travailleurs américains ; il défend les intérêts des travailleurs américains. » L’écrivain ajoute : « On aurait aimé rencontrer plus souvent ce genre d’attitude, en France, ces cinquante dernières années. » Au passage, Houellebecq refuse de critiquer Vladimir Poutine. Il est donc résolument contre la bien-pensance en campagne permanente. Apprécier Trump et ne pas détester Poutine, on comprend le déchainement de la presse progressiste sous perfusion contre Houellebecq. L’écrivain ne participe pas non plus à « la nouvelle campagne de chasse au Zemmour ». Il est proche du polémiste, appréciant son côté catholique non chrétien. Du reste, Houellebecq se dit conservateur comme Benoit Duteurtre. Je le verrais plutôt réactionnaire. Pourquoi conserver une charogne ? Au détour d’un entretien avec Frédéric Beigbeder, Houellebecq reconnaît qu’il a beaucoup critiqué Philippe Muray. Il avoue : « Aujourd’hui, je m’aperçois qu’il avait raison sur tout, en fait. C’est horrible ce qu’on supporte. » Allez demander à un journaliste de Libé, de L’Obs, du Monde – liste non exhaustive – qu’il a parfois, souvent, fait le jeu de l’islamisme radical sous couvert d’antiracisme…
A lire aussi: Hidalgo, maire indigne!
Ce livre est revigorant. On l’ouvre au hasard, on lit un article. Enfin revigorant… Pas sûr que montrer le réel et non son image soit si revigorant que ça. C’est même franchement déprimant. Mais c’est une déprime douce, automnale, mélancolique en un mot.
Pitié sans emploi
De toute façon, il faudrait être stupide pour ne pas comprendre que l’Occident est condamné. Houellebecq : « L’Occident n’est pas pour l’éternité, de droit divin, la zone la plus riche et la plus développée du monde ; c’est fini, tout ça, depuis quelque temps déjà, ça n’a rien d’un scoop. » Il est en fin de vie. Pas comme le malheureux Vincent Lambert au moment où l’État a décidé de sa mort. La fin de vie, c’est quand on est âgé. Or, lorsqu’il fut victime de son accident de la circulation, en 2008, Lambert n’avait que trente-deux ans. Le texte de Houellebecq consacré à cette affaire très médiatisée mérite qu’on s’y attarde. Son point de vue est original et repose sur une argumentation précise.
L’État nous place sous couvre-feux, nous reconfine. Il peut également tuer les incurables, les inutiles, les grabataires, afin d’assainir une société « où la pitié n’aurait plus d’emploi. »
Michel Houellebecq, Interventions 2020, Flammarion.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !