Le 6 mai dernier, après s’être vu reprocher de les avoir oubliés, Emmanuel Macron a annoncé une série de mesures en faveur des intermittents. Pas tout à fait un plan Marshall, assez tout de même pour rassurer en partie le monde du spectacle. Cruel dans l’ensemble, le confinement a néanmoins eu un double mérite : mettre en évidence la détresse parfois extrême des intermittents autant que leur importance dans un monde en quête d’édification culturelle. S’il est apparu qu’il ne serait pas sage de les abandonner à leur sort, il est aussi apparu que l’Etat n’était pas le seul à pouvoir leur venir en aide : entreprises publiques et privées de l’audiovisuel ont lancé des fonds, dont la portée économique, politique et symbolique mérite d’être étudiée.
« Année blanche »
Le 6 mai, Emmanuel Macron annonçait, lors d’une visioconférence, que « les droits des artistes et techniciens intermittents seront prolongés d’une année au-delà des 6 mois où leur activité aura été impossible ou très dégradée ». Autrement dit, grâce à cette « année blanche », les droits à l’assurance chômage des salariés du spectacle courront jusqu’à fin aout 2021. Cette annonce était la principale demande des collectifs « Année noire » ou « Culture en danger », et a été accueillie avec soulagement par les premiers concernés.
Le soulagement ne concerne en revanche pas le système d’assurance-chômage, sur lequel le régime des intermittents, structurellement déficitaire, pèse déjà en temps normal à hauteur d’environ 1 milliard d’euros par an. Un déficit qui s’explique par la nature même de ce système, reposant sur un principe de solidarité entre travailleurs et demandeurs d’emploi : les employés jouissant d’un CDI paient pour les autres, CDD, intérimaires et intermittents, travaillant de façon discontinue. CQFD.
Loin d’être spontanée, l’annonce de Macron intervient après une levée de boucliers de la part de nombreux acteurs culturels, et ne saurait donc être envisagée autrement que sous l’angle de l’opportunisme. L’exécutif se devait de réagir, d’autant que le confinement, s’il a révélé l’extrême précarité de nombre d’intermittents, a aussi mis en évidence leur importance. Dans un premier temps par défaut (ou par le vide), en plongeant dans le silence nos vies habituées à l’ébullition : tout lieu favorisant la proximité entre individus pouvant contribuer à la propagation du virus, il est devenu inconcevable de maintenir les festivals et les concerts, de laisser ouvert les musées, les galeries, les théâtres et les salles de cinéma. De la même façon, les tournages de films ou séries télévisées ont été interrompus.
Dans un second temps parce que le monde de la culture a su se réinventer et continuer de nous enchanter, l’offre culturelle s’adapter. Dès le début du confinement, les acteurs culturels se sont illustrés par des démarches désintéressées, de nombreuses initiatives sont apparues pour fournir un large choix d’œuvres (lives musicaux depuis des salons, films et livres mis à disposition gratuitement, etc.) comme pour répondre à un besoin vital. Une démarche salvatrice. Nous nous sommes tournés vers l’art pour supporter la situation, pour surmonter l’ennui et l’angoisse : en témoigne l’importante consommation de livres, de films, de séries et de musique ces dernières semaines.
Derrière cette offre culturelle renouvelée, des « petites mains » ayant souffert des mesures de distanciation sociale liées à la pandémie, et en souffrant toujours. Comment évaluer l’étendue des pertes liées à la crise sans savoir quand serait le retour à la normale, la date à laquelle les lieux de culture pourront de nouveau accueillir des spectateurs ? Comment faire en sorte que les artistes et techniciens qui en vivent puissent tenir jusqu’à ce que leur activité reprenne ? Si l’exécutif a répondu tard et de façon parfois un peu évasive à ces questions, d’autres acteurs ont pris le relai.
Les entreprises du secteur à la rescousse
Dès le début de la crise, de grosses entreprises publiques, comme France Télévisions, ou des plateformes privées comme Netflix et Facebook ont très rapidement prévu des mécanismes de soutien pour venir en aide aux intermittents du spectacle qui subissaient l’arrêt des tournages. Déjà financeur de 50% de la création audiovisuelle tricolore, France Télévisions a ainsi décidé d’augmenter de 20 millions d’euros son budget dédié à cette activité pour le passer de 420 à 440 millions d’euros. Delphine Ernotte, la présidente du groupe, s’est par ailleurs engagée à raccourcir les délais de paiement, et à passer des conventions pour continuer les développements. France Télévisions, enfin, toujours selon Delphine Ernotte, négocie actuellement avec les partenaires sociaux un « système de fonds abondé tant par l’entreprise que par les salariés de façon à ce qu’il y ait un élan de solidarité. L’entreprise France Télévisions, mais aussi les salariés à travers le don de RTT, contribuent à alimenter ce fonds de soutien aux intermittents. »
De fonds, il en est également question chez Netflix, qui a annoncé aux premières semaines du confinement le déblocage d’une enveloppe de 100 millions de dollars, dont 85 millions sont destinés aux équipes travaillant sur les productions Netflix en France et dans le monde, tandis que les 15 restants, dont un million pour la France, reviennent à des fonds d’urgence visant à soutenir l’industrie audiovisuelle et cinématographique dans son ensemble. Même son de cloche pour l’Adami, organisme de gestion collective des droits des artistes-interprètes ayant aussi mis en place un fonds de soutien en faveur de ces derniers.
Ces initiatives ne se substitueront pas à l’assurance-chômage, qui continuera d’indemniser les intermittents, et c’est heureux, entre deux contrats, comme elle le fait pour les CDD et les intérimaires dans des proportions bien supérieures. Elles pourront en revanche soulager cette dernière, tout en apportant une aide précieuse, pourquoi pas, aux salariés du spectacle n’ayant, de peu, pas réalisé assez d’heures pour prétendre au statut d’intermittent (il faut avoir travaillé 507 heures sur 12 mois pour cela). Le mécanisme des fonds de soutien émanant d’entreprises de l’audiovisuel est intéressant puisqu’il transfère aux professionnels du secteur une partie de la responsabilité de l’Etat, entreprises dont on peut imaginer qu’elles sont davantage au fait des besoins réels des salariés qu’elles emploient, et donc plus à même de calibrer leurs aides.
Si le dispositif de don de RTT mis en place par France Télévisions a vocation à rester exceptionnel, il a ceci d’intéressant qu’il confère aux salariés de l’audiovisuel les mieux lotis le soin d’aider les salariés du même secteur les plus précaires, évitant ainsi à un segment du public se sentant peu concerné par la situation des intermittents de mettre la main à la poche. Enfin, et c’est peut-être le plus notable, la patronne de France Télévisions, en proposant de raccourcir les délais de paiement et en injectant 20 millions supplémentaires dans la création audiovisuelle, offre aux intermittents de la visibilité et, partant, une certaine sérénité d’esprit. Sans doute ce qui leur manque le plus en ce moment.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !